Né à Laval, dans le pays de sa mère le 10 septembre 1926, Henri est le neuvième de dix enfants. Sa famille vit à Feytiat, près de Limoges, dans un domaine agricole de plusieurs fermes. Tout en étant les châtelains, ses parents exploitent eux-mêmes une bonne partie de la propriété. Henri étudie et passe son bac à Limoges et participe à la JEC (Jeunesse étudiante chrétienne), un de ces mouvements d’action catholique qui réunit, dans les années 1950, des catholiques engagés socialement. Ayant perdu deux frères à la guerre, il est dispensé de service militaire. Ouvrier agricole chez un autre frère, il prend la décision d’entrer, à 21 ans, au séminaire d’Issy-les-Moulineaux. Au bout de trois ans, il part en stage à La Souterraine, dans la première équipe creusoise de la Mission de France (plus connue sous le nom de « prêtres ouvriers », ce mouvement réunit des prêtres qui concevaient leur mission en dehors des murs des églises. Il sera interdit par le Vatican en 1954, avant d’être à nouveau autorisé en 1965. Ces prêtres trop rouges ou trop à gauche faisaient tache dans une église encore très conservatrice). Il travaille comme ouvrier agricole à demeure, c’est-à-dire qu’il loge à la ferme et ne retrouve l’équipe pastorale que le dimanche. En 1951, il rejoint le séminaire de la Mission de France basé à Lisieux. La différence saute à ses yeux : « À Lisieux, les élèves sont traités en hommes et prennent leurs responsabilités, tandis qu’à Issy on rappelait au règlement... » À la suite du limogeage du supérieur de Lisieux, le séminaire est transféré à Limoges en 1952. Henri est alors envoyé au Monteil-au-Vicomte (23), faisant équipe avec deux autres prêtres. Il travaille comme ouvrier agricole dans une grosse ferme de 30 hectares, puis est employé chez des agriculteurs plus jeunes, dans le village de Murat, à Vidaillat, qui voit arriver un des premiers tracteurs dans la région.1
Le 21 mars 1954, Henri est ordonné prêtre pour le diocèse de Limoges, à l’église de Feytiat. Il annonce son choix de devenir « prêtre pour le milieu paysan ». Dans son homélie, l’évêque ne trouvera pas mieux que de vanter les bienfaits de la soutane. Quelqu’un avait vu Henri entrer dans la cour du séminaire en tenue de travail, sans soutane... L’interdiction des prêtres ouvriers venait de tomber, mais l’interdit concernait assez peu les ouvriers agricoles et Henri poursuivit son engagement en passant entre les mailles du filet. Il racontait avec gourmandise l’achat d’une moto qui lui donnait enfin la possibilité de circuler plus librement et … sans soutane. La moto allait de pair avec la liberté missionnaire, voire liturgique, alors qu’on célébrait encore la messe en tournant le dos aux paroissiens. Cette génération pionnière ouvrait les portes de l’Église. Il passe ainsi 18 ans en Creuse avant d’être envoyé dans l’Allier en 1971 dans l’équipe rurale de Lurcy-Lévis. Les ouvriers agricoles n’existent plus, alors il apprend le métier d’électricien. Avec quatre autres prêtres, il porte la responsabilité des paroisses du secteur dans un contexte de grande déchristianisation. Les baptêmes le désespèrent particulièrement. Au bout de cinq ans, écrit-il, « je me fais difficilement au caractère de ce pays. Le plus désespérant est le rapport avec ceux qui demandent des sacrements à l’Eglise : la sacramentalisation que je suis obligé de faire est à l’opposé de ce que je pense ». Après une année de pause et de formation il revient en Limousin, côté corrézien, à Bugeat. Nous sommes en 1978. Il retrouve un emploi d’électricien tout en assumant la paroisse, toujours en équipe. Il trouve sur le Plateau Charles Rousseau, curé de Peyrelevade, qui « œuvrait à la mise en place d’un lieu d’Eglise qui ferait signe pour l’ensemble du plateau de Millevaches ». C’est ce qui deviendra en 1974 Les Plateaux limousins. Une maison est acquise au Villard, et le lieu va se développer, accueillir les fêtes du Plateau et servir de point de rencontre à nombre d’activités et de personnes qui croient en l’avenir d’un territoire que beaucoup jugent perdu. Henri apportera ses talents de bricoleur pour l’aménagement et l’entretien du lieu. En 1985, il s’installe à Gentioux (23) où il travaille toujours comme artisan électricien. Passionné de photo et de vidéo, il participe aux premiers reportages de Télé Millevaches colportant dans les bars les nouvelles du Plateau. On lui doit le premier générique déroulant de Télé Millevaches en un temps où le numérique n’existait pas : une longue feuille de papier qu’on enroulait avec une petite manette sur un tube de cuivre...
En 2001, la Mission de France le rappelle pour le service et l’entretien de sa maison-mère à Pontigny, dans l’Yonne. Ses talents de recycleur y font merveille. Dans ce secteur, il découvre une Église où des groupes de laïcs prennent part à la vie ecclésiale. En 2003, revenant sur ce qu’il a vécu, il dit avoir été interpellé profondément dans sa foi chrétienne par les non-croyants. « Je me suis toujours considéré et présenté comme prêtre au travail. Mais il serait mieux pour l’Église dans un pays, de se considérer d’abord comme quelqu’un d’un pays, travaillant dans le pays et ensuite comme prêtre. L’emprise du cléricalisme fait qu’on pense trop rapidement l’inverse. Si l’on vit vraiment avec les gens, pour la vie du pays, cela permet de réagir comme les gens, avec leur mentalité et leurs approches et donc de penser l’Évangile pour le pays. »
À 85 ans, il se rapproche de sa famille et réside à Limoges. Accueilli en unité Alzheimer ces trois dernières années, il s’est éteint le 14 juin 2022.
1 Voir le reportage de Télé Millevaches réalisé en 1992 dans lequel Henri raconte cette expérience : https://s.42l.fr/Henri