IPNS : Pourquoi avoir ouvert ce squat sur le plateau Millevaches ?
Notre démarche est de créer un réseau d’affiliations politiques au travers de la France entre militants libertaires et écologistes. Dans le cas précis de cette ouverture de squat, notre volonté était de créer un ancrage sur le plateau de Millevaches qui représente pour nous un terreau intéressant pour notre démarche politique tirée de notre expérience dans des ZAD (Zone à défendre) et que nous concevons en 3 pôles : un « pôle médiation » qui accompagne la transition des populations n’ayant pas eu l’opportunité d’être confrontées à cette culture militante, en visibilisant la finalité des deux suivants ; un « pôle insurrectionnel » objectant par les faits l’emprise des capitalismes sur l’espace et les ressources disponibles, visibilisant les vulnérabilités du système en vigueur pour laisser la place… au « pôle alternatif » se voulant innovateur, expérimental, à la recherche d’un modèle plus consciencieux de l’équilibre social et du vivant et selon nous particulièrement vigoureux sur le plateau (avec ses zones forestières et agricoles préservées, altitude, terreau militant, sauvegarde des traditions paysannes etc).
Pourquoi être passés par l’ouverture d’un nouveau squat alors que le plateau de Millevaches regorge de lieux d’accueil, d’alternatives et d’organisation ?
Le fait d’être accueilli nous place dans un rapport délicat, on attend de nous une certaine conduite adaptée au lieu alors que nous cherchons une liberté, celle d’expérimenter nos propres règles de vie pour innover. Par ce fait, nous nous exposons à des échecs pouvant compromettre la relation et les attentes de la personne accueillante. En bref, l’accueil place dans un rapport de domination. Au-delà de l’accueil, nous pensons que le fait d’être propriétaire n’est pas souhaitable. La propriété crée une dépendance à la sécurité qu’elle procure et fait glisser vers un conservatisme. Nous ne voulons pas être bridés par ces contraintes pour expérimenter des mouvements révolutionnaires dont nous nous inspirons (notamment le mouvement libertaire durant la guerre civile espagnole, la commune de Paris) et qui prônent notamment la propriété d’usage, l’abolition de l’argent et la redistribution des ressources collectivisées en fonction des besoins des membres, et non en fonction de leur contribution.
Vous avez rendu public l’occupation de ce bâtiment au même moment que la fête de la Montagne limousine qui se déroulait dans la commune voisine de Felletin. Pouvez-vous éclaircir le lien entre l’ouverture de ce squat et la fête de la Montagne ?
Cet été a été marqué par l’expulsion des dernières ZAD restantes en France, et s’inscrit dans un contexte d’amplification de la répression anti-squat. Beaucoup sont les militants jusqu’alors investis à plein temps dans ces lieux qui se retrouvent sans repères après l’expulsion. Dispersés, précaires, ils se retrouvent souvent isolés par manque de solutions de repli. Sur le plateau, malgré des perspectives intéressantes nous n’avons pas répertorié de lieu favorable à l’accueil inconditionnel, un cadre où la lutte pourrait proliférer selon nos convictions. Pour répondre à ce besoin nous avons décidé de créer ces conditions. La fête de la Montagne était un prétexte intéressant pour que ces gens venus de différents horizons puissent rencontrer les locaux et cerner le pouls politique de cette région et inversement. Nous n’avions aucun lien avec les organisateurs.
Le choix d’occuper cette maison a été aussi vivement discuté : d’une part, on vous a reproché d’occuper une maison décrite par ses propriétaires, comme leur maison secondaire qu’ils occupaient régulièrement et donc non vacante. De l’autre, on vous a reproché un choix de cible manquant de finesse, sans prise en compte du contexte de la commune et de l’identité des propriétaires, incluant un ancien élu local.
Cette personne a choisi de signifier que la maison était régulièrement occupée, ce qui est faux au vu des témoignages du voisinage n’ayant jamais vu une quelconque trace de passage au moins depuis 2006. De plus, d’autres éléments comme l’entretien de la maison (toiles d’araignées occultants les passages entres les portes, cadavres d’abeilles accumulées dans la cheminée indiquant sa non-utilisation etc) et des mesures anti-squats (volets condamnés, barbelés au fenêtre) nous permettent d’affirmer que les propriétaires ne résidaient plus régulièrement dans ce bâtiment. L’objectif sous-jacent à nos besoins de logement, c’est celui de s’attaquer à une élite méprisante qui n’hésite pas à orienter l’information pour se positionner en victime. Ils sont prêts à mentir éhontément à la population, aux forces de l’ordre et à la justice pour conserver un patrimoine dont ils n’ont nullement l’utilité, tandis que ce même patrimoine pourrait permettre de créer des dynamiques politiques et de loger des sans-abris. Nous ne venons pas réclamer la réquisition du logement, nous l’organisons.
Comprenez-vous le fait que certaines personnes aient été en désaccord avec votre méthode ? Certaines personnes ont regretté l’absence de concertation avec d’autres habitants pour la recherche d’un lieu adéquat, comme cela a été fait pour d’autres squats auparavant, et déplorent la fragilisation des relations tissées depuis plusieurs années avec des élus et d’autres habitants choqués par cette occupation ?
Nous n’avons pas le même constat de l’urgence que ces personnes. Nous pensons que l’heure n’est plus à la sensibilisation des plus frileux, mais qu’il est temps de se montrer offensif contre ceux qui saccagent la planète. Notre combat n’est pas local, nous nous battons contre des institutions et des dynamiques sociales. On ne s’attaque pas à ce propriétaire, mais à ce qu’il représente : nous faisons de lui un exemple. Ses pairs sauront alors que l’impunité n’est plus, que la justice sociale peut sévir. Il y aura forcément des intérêts locaux et personnels qui iront à l’encontre de nos initiatives. Nous pensons qu’il est impossible d’obtenir le consentement général. La tendance c’est de critiquer les initiatives, qui comportent leurs lots d’erreur ; mais que fait-on de la censure, l’inaction et la demi-mesure, qui cause à mon gout bien plus de problématiques.
A la suite de votre avis d’expulsion et à votre départ, avez-vous commis des dégradations dans le bâtiment comme décrit dans certains médias ?
Des fresques ont effectivement été peintes, par souci d’esthétisme, et sur un papier peint attaqué par la moisissure. Nous avons commencé à arracher les endroits critiques pour éviter la propagation. Par ailleurs on insiste beaucoup sur les dégradations superficielles mais rien n’a été signalé par rapport aux rénovations effectuées, le ménage, le rangement, l’entretien, les réparations, le débroussaillage… Concernant les dégradations, nous l’assumons comme une menace qui doit planer sur tous les propriétaires indignes qui laissent des logements vacants, favorisant alors la précarisation du logement et laissant alors mourir de froid les personnes de la rue. Les forces de l’ordre et leur drôle de transparence et les médias mainstream qui orientent l’information au profit de leurs propres propriétaires, manquent de crédibilité et cette affaire le démontre une fois encore. Nous tenons à rappeler que les dommages collatéraux occasionnés, restent anecdotiques face aux déboires du capitalisme que l’on cherche à endiguer.