Cette situation peut être appréciée suivant quatre points de vue qui permettent de mieux comprendre les tensions ingérables ayant présidées à la gestion de ce dossier. Quand on gère une collectivité publique le champ d’action est défini par quatre dimensions qui peuvent toutes, suivant le point de vue selon lequel on se place, porter une part de légitimité. Il est tout d’abord demandé à la collectivité de ne pas dépenser plus que ce qu’elle peut financer (on verra que sous une apparente simplicité cette première notion peut cacher de sacrés pièges). La seconde règle est celle de la bonne gestion du patrimoine de la collectivité. Bien gérer sera alors vu, un peu comme pour un propriétaire, comme savoir tirer un maximum de revenu du patrimoine dont la collectivité est dépositaire. La troisième logique est celle du partenaire impliqué dans chaque opération concernée. Son point de vue est évidemment celui de la logique de développement de son projet. Enfin la quatrième dimension est celle du développement territorial qui pourra prendre à rebours l’une ou l’autre logique précédemment évoquée ou même les trois à la fois.
À partir de 2014, Creuse Grand Sud s’est trouvée confrontée a des difficultés budgétaires importantes du fait d’une politique d’investissement menée largement au dessus de ses moyens et favorisant de manière déséquilibrée la ville centre, Aubusson, comme l’évoque un rapport de la Cour des comptes1, l’ensemble des déficits se montant à 4 millions d’euros ! Cette situation amène la Cour des comptes de Nouvelle Aquitaine à intervenir en 2017. Pour redresser la situation, elle impose une seule solution : la réduction drastique des dépenses de fonctionnement de la communauté de communes pendant six ans pour contribuer à l’assainissement des finances de l’EPCI (Établissement public de coopération intercommunale, en l’espèce la communauté de communes Creuse Grand Sud). Elle l’incite aussi, un peu comme la Communauté européenne débarquant en Grèce, à brader ses avoirs pour réduire son endettement. Si cette solution peut se comprendre du point de vue de la stricte gestion financière, elle fait l’impasse sur le développement du territoire qu’elle condamne à geler pendant six ans toute politique de développement.
Pour réaliser ces mesures de désendettement, la communauté de communes va donc chercher à tirer le meilleur parti de la vente des biens immobiliers en sa possession.
Extrait du rapport de la Cour des comptes :
L’investissement réalisé dans la cité de la Tapisserie d’Aubusson ne peut être « revendu ». Pas question non plus de penser vendre la piscine d’Aubusson (qui est de loin l’investissement le plus important) ou encore le boulodrome d’Aubusson qui n’ont pas véritablement de valeur marchande. C’est ainsi que le Foyer de Gentioux-Pigerolles devient le point central autour duquel va graviter la politique de vente des biens immobiliers. Il va donc s’ensuivre un forcing pour essayer de valoriser cet investissement qui n’est plus, dans cette situation, considéré que sous son aspect « valeur patrimoniale ». Sa valeur est fixée à 5,5 millions d’euros par les Domaines. Une proposition est faite par Pierval santé, un organisme gérant plusieurs structures au niveau national, à hauteur de 4,6 millions d’euros mais elle ne se réalisera pas du fait de l’opposition de l’occupant (l’APAJH) qui ne souhaite pas changer d’interlocuteur et contractualiser avec cet organisme.
On peut s’interroger sur les bizarres atermoiements du président de l’APAJH de la Creuse. Après avoir refusé de contractualiser avec l’acheteur potentiel, une contre proposition lui est faite : que l’APAJH achète le foyer pour l’euro symbolique avec engagement de prendre en charge les investissements nécessaires à la mise aux normes des équipements le nécessitant et à rester à long terme sur la commune. Mais les réunions de concertation entre la com com et l’association se passent mal. Se disant pris en otage dans les débats entre les différents protagonistes, le président annonce finalement la décision de l’APAHJ de déménager pour s’installer plus près d’une zone urbaine2. Avec, au final, un coût de très loin supérieur pour l’APAHJ puisque la nouvelle construction ne pourra pas se réaliser d’un coup de baguette magique et que l’association devra donc continuer à régler son loyer durant les trois ou quatre ans où elle restera encore à Gentioux, en sus des frais de construction de la nouvelle unité. Pas sûr que les intérêts des résidents ou des salariés sortent gagnants de cette décision.
Il nous faut pour la suivre remonter à la période de réalisation du projet en 1992. À cette époque les protagonistes du projet voyaient dans l’implantation du foyer un outil de développement du territoire y amenant d’une part la population des résidents et d’autre part celle des différents salariés qui viendraient assurer le fonctionnement de la structure. Aux yeux de ces protagonistes, il n’était (et il n’est toujours pas) question ni de réaliser une opération immobilière, ni d’organiser une activité lucrative amenant directement de nouvelles ressources financières au budget de la communauté de communes. L’opération devant simplement s’équilibrer financièrement. Projet d’animation du territoire, il a de ce point de vue parfaitement rempli son rôle jusqu’à ce jour, permettant à de nouvelles familles de s’implanter ou de rester sur la commune ou des communes avoisinantes et au territoire de profiter de la présence de l’ensemble de ces nouveaux habitants. En plus des différents impôts et taxes réglés par le foyer, l’apport d’une seule famille sur le territoire se chiffre en plusieurs dizaines de milliers d’euros par an, à multiplier par le nombre de salariés de la structure (une cinquantaine en moyenne). Quand on fait le total sur les trente années d’activité du foyer, on s’aperçoit que l’investissement initial, finalement assez modeste, mis en oeuvre par la communauté de communes a été particulièrement pertinent pour le développement de son territoire et de ses activités : école, sports et culture, que cet apport a contribué à maintenir ou développer.
Au-delà des clivages politiques et des questions d’ego, les tensions et les oppositions des différents protagonistes de ce dossier s’expliquent pour partie par ces différences de point de vue et de logique d’intervention. Comment sortir par le haut de cette situation, en privilégiant le bien commun et le souci d’un développement équilibré d’une communauté de communes dont les investissements restent largement « aspirés » par sa ville centre ? Pas de réponse sans remise à plat. Toute la question est de savoir si les différents protagonistes en sont capables et en ont envie. Et si la communauté de communes Creuse Grand Sud est en mesure de relever le défi.
Alain Détolle