Lors de l'audience du 6 décembre 2024 à laquelle il était convoqué devant le tribunal correctionnel de Tulle, pour avoir refuser de se soumettre à un test salivaire, Benjamin Rosoux, habitant de Tarnac, a fait la déclaration suivante devant ses juges.
« Madame la juge,Si je comparais devant cette cour aujourd’hui c’est que j’ai fait l’objet d’un contrôle de gendarmerie le dimanche 14 juillet 2024 à 17h, alors que je faisais une navette à la gare de Meymac depuis le petit bourg de Saint-Sulpice-les-Bois, commune de Haute-Corrèze qui compte 80 âmes aux beaux jours. Vous me permettrez de vous donner quelques éléments de contexte qui permettent je crois de considérer la procédure qui a été diligentée à mon encontre d’une manière différente que celle du procureur de la république. Je m’y trouvais depuis deux jours pour organiser la logistique de l’université d’été du Syndicat de la Montagne limousine, un syndicat d’habitant.es des communes rurales du plateau de Millevaches qui se réunissait publiquement pour discuter de problématiques qui touchent le quotidien du territoire : de la question de l’exploitation forestière, de la participation des habitant.es à la vie des communes, de la montée de l’extrême-droite dans la ruralité, de la solidarité avec les exilées, des diverses pressions préfectorales, tant administratives que financières, sur les acteurs associatifs du Limousin, ou encore de comment bien vieillir sur le plateau de Millevaches. À cette heure-là, je quittais donc un atelier de discussion sur les alternatives à l’Ehpad sur le territoire pour aller chercher quelqu’un à la gare à quelques kilomètres de là, quand je suis tombé, à à peine 200 mètres du bourg, sur un barrage de gendarmerie composé de 8 gendarmes et de deux véhicules bloquant la route. Notre week-end de réunions qui avait réuni près de 150 habitant.es et élues du territoire avait déjà eu par deux fois la visite des forces de l’ordre les jours précédents, relevant scrupuleusement, comme c’est leur habitude chez nous, les plaques d’immatriculation de toutes les personnes présentes.Confronté une nouvelle fois de manière évidente à une opération ciblée sur les participant·es à notre rassemblement public, studieux et pacifique, et étant la première personne à me présenter au devant de ce barrage, je m’étonne auprès de l’officier supérieur de cette nouvelle mesure de contrôle disproportionnée. Ayant exprimé calmement ma désapprobation de cette procédure manifestement discriminatoire à l’encontre des participant·es à notre réunion et ayant décliné mon identité, je refuse d’être soumis au test salivaire que l’officier veut m’imposer considérant qu’il n’était justifié par aucun motif de sécurité routière et représentait une tentative de pressurisation visant à dissuader la participation à notre rassemblement. Je précise que pour prouver ma bonne foi, je ne refuse que de me soumettre au test salivaire sur place et demande explicitement à être emmené dans un endroit où l’on puisse me faire une prise de sang, ce qui m’a été refusé par deux fois, une première fois par l’officier, une deuxième fois par le procureur contacté par téléphone. Je serai ensuite menotté et placé en garde à vue. Les gendarmes m’ont d’abord emmené à l’hôpital d’Ussel pour être présenté à un médecin, à ma demande, puis à la gendarmerie d’Ussel pour la première partie de ma garde à vue (curriculum et signalétique). La soirée avançant les gendarmes de Bugeat qui mènent l’opération décident de me transférer dans une autre gendarmerie, à Eygurande, à près de 38 kilomètres de Saint-Sulpice-les-Bois et à plus de 50 kilomètres de mon domicile. J’y passerai la nuit en cellule avant d’être interrogé à nouveau le lendemain matin en présence de mon avocate. Au terme de l’interrogatoire, à la mi-journée, l’officier de la gendarmerie de Bugeat (à 12 km de mon domicile) qui dirige ma garde à vue, me signifie la suspension administrative de 3 mois de mon permis de conduire ainsi que ma remise en liberté, et me raccompagne jusqu'au portail, charge à moi de trouver comment regagner mon domicile.Trois mois de suspension, un test urinaire de 93 euros et une visite médicale de 50 euros plus tard, à renouveler dans 6 mois car je suis titulaire du permis C, me voici devant vous. Le permis de conduire dans les petites communes du plateau de Millevaches est essentiel au maintien de la vie professionnelle et sociale. La généralisation du test salivaire autour des rassemblements politiques et sociaux du territoire est une mesure parmi d’autres de répression politique déguisée - au même titre que les suppressions de financements publics et les attaques administratives contre le secteur associatif qui se multiplient - pour mettre au pas les mouvements d’habitant.es ruraux qui tentent de prendre leurs vies en main et de faire barrage à la montée de l’extrême-droite. Voilà pourquoi j’ai refusé la banalisation de ce genre de contrôle en bord de route sans motif de sécurité, en exigeant une prise de sang plutôt que ce dispositif par ailleurs largement critiqué pour son caractère aléatoire (on dénote notamment de très nombreux faux positifs). Face à la concentration des pouvoirs dans les mains des préfectures opérée ces derniers mois sous l’égide du ministère de l’Intérieur et face aux attaques documentées de ces mêmes services contre les acteurs associatifs et syndicaux de Corrèze et du Limousin, il revient à chacun, chacune d’entre nous de prendre position. C’est là ce que j’ai fait. »
À l'issue de cette audience Benjamin Rosoux a été relaxé. En effet, le juge constatant que le prévenu avait « expressément sollicité une analyse sanguine » à ses yeux plus fiable qu'un simple test salivaire, a conclu que « le délit pour lequel il est poursuivi n'est pas caractérisé. »
Le 16 janvier 2025 avait lieu l'épilogue judiciaire de la 22ème édition de l'Enduro d'Aubusson (en 2022), cette course de 450 motos qui risquait de saccager les sources du Thaurion. On se souvient que les médias, y compris nationaux, avaient alors crié haro sur l'écolo après le défléchage du circuit qui avait amené ses organisateurs à arrêter la compétition en pleine course. Mais comme ce défléchage est resté un mystère, la préfecture de la Creuse s'est rabattue sur ce qui lui restait : les quelques personnes, une vingtaine, qui, visages découverts et en toute transparence, avaient installé une banderole sur le parcours pour empêcher les motards de passer sur le Thaurion. Elle a jeté son dévolu sur une des personnes présentes, Jean-Paul Gaulier, en cherchant à le faire passer pour le meneur de la fronde.
La banderole disposée par les défenseurs de l’environnement pour empêcher l’accès au chemin de la source du Taurion. © Photo Nicolas Cheviron
Un an après cette course et la manifestation, en octobre 2023, Jean-Paul Gaulier est convoqué à la gendarmerie de Gentioux où il apprend qu'il doit prendre rendez-vous avec les services de la Procureure de la République de la Creuse pour se voir signifier un « rappel à la loi » concernant « l'Enduro du Limousin » du 5 novembre 2022. Étonné de recevoir une telle convocation sans en connaître plus du motif, il écrit le 24 octobre à la Procureure « pour savoir quelle est la nature de l'infraction qui m'est reprochée et pour pouvoir, le cas échéant, préparer ma défense. » Dans la mesure où, d'une part il ignore le motif précis de cette démarche, d'autre part qu'il n'a pas commis d'infraction, il estime qu'on n'a pas à lui « rappeler la loi » et ne donnera donc pas suite à cette demande. Quelques temps plus tard, il est convoqué en gendarmerie où il est questionné par des gendarmes qui ne lui indiquent toujours pas les motifs de sa convocation. Donc, il se contente... de ne pas répondre à leurs questions. Enfin, le 10 juin 2024, il est convoqué devant le tribunal de Guéret pour « organisation d'une manifestation sur la voie publique sans déclaration, en l'espèce : avoir organisé une manifestation contre le passage de la course "Enduro du Limousin" ».
L'avocat de Jean-Paul Gaulier aura beau jeu de démonter cette accusation. « Organisateur de la manifestation » ? Ce n'est pas d'être sur une photo du rassemblement, parlant dans un mégaphone qui fait de lui son organisateur... « Sur la voie publique » ? Juridiquement le chemin communal qui mène à des parcelles privées où a eu lieu le petit rassemblement ne peut être assimilé à une route et plus précisément à une voie publique... « Sans déclaration » ? Comment aurait-il pu déclarer trois jours avant la manifestation contre un Enduro dont la préfecture de la Creuse elle-même n'a donné le tracé et l'autorisation officielle que... la veille de la course ? Mais au-delà de cette triple argumentation juridique, c'est le vide total du dossier qui a été dévoilé lors du procès du 16 janvier 2025. Même la Procureure semblait gênée aux entournures de devoir attaquer avec si peu de munitions... Les juges n'ont donc pu que constater la vacuité des accusations et ont prononcé la relaxe.« Ce que je retiens de cette histoire, conclut Jean-Paul, c'est que pendant deux ans on m'a harcelé avec cela : convocations à la gendarmerie, appels des gendarmes, procès... Et dans la foulée devoir préparer sa défense, contacter et rencontrer plusieurs fois un avocat... sans parler des frais engagés, en particulier pour payer l'avocat. Et tout ça pour ça ! On voit bien que de telles procédures ont pour but d'intimider ceux qui réagissent face aux destructions de l'environnement... »
C’était une première dans l’histoire du mouvement du Planning familial : le 6 décembre 2024, la préfecture de Corrèze a décidé unilatéralement de ne pas renouveler une convention de financement liée à un agrément toujours en cours. Une attaque inédite qui s’inscrit dans le climat actuel de défiance généralisée envers le maillage associatif et militant et la mise sous tutelle préfectorale de nombreux services de l'État, ici la délégation aux droits des femmes et à l’égalité.
Depuis 2021, le Planning familial de Corrèze est agréé EVARS (espace de vie affective, relationnelle et sexuelle). Cet agrément, valable jusqu'en 2031, permet d'obtenir un financement spécifique, par convention trisannuelle entre la direction aux droits des femmes (DDFE), le Planning familial et la préfecture. L'EVARS est donc à la fois un agrément et un financement.Or le 6 décembre dernier, la préfecture de Corrèze a décidé de ne pas renouveler cette convention tripartite et de priver le Planning familial de Corrèze des 20 430 € annuels dont l'association bénéficie au titre de l'EVARS, sachant que le Planning familial est le seul EVARS en Corrèze et qu'aucune autre structure n'est agréée... C'est la première fois dans l'histoire du mouvement Planning familial qu'un tel refus de renouvellement intervient. Cette décision brutale induit une mise en danger des habitants et habitantes parfois déjà affecté·es et très éloigné·es des possibilités d'information et d'orientation sur ces thèmes spécifiques (contraception, IVG, IST, violences...), et de prise en charge en première écoute dans le domaine de la santé sexuelle en général.Les insuffisances mentionnées dans le courrier de la préfecture qui servent de prétexte à cette coupe budgétaire ne sont pas établies (les bilans annuels de l'association montrent au contraire à quel point elle remplit ses missions). Ironie de la situation : il lui est reproché de ne pas intervenir en milieu scolaire alors que l'inspection académique a choisi de lui fermer les portes de tous ses établissements, et ce malgré un agrément spécifique et des propositions de partenariat renouvelées de nombreuses fois.
Le Planning familial 19 a décidé d'attaquer la décision préfectorale devant le tribunal administratif de Limoges. Il vient d'obtenir une première victoire. La préfecture a suspendu sa décision mais donne 30 jours au Planning pour se défendre. Ce revirement a été obtenu grâce à une forte et rapide mobilisation dans la presse locale (radio, journaux) et au dépôt d'une requête devant le tribunal administratif de Limoges le 13 janvier. La décision du 6 décembre était en effet entachée d'erreur de droit manifeste : il aurait fallu procéder à une évaluation contradictoire des 3 années passées de la précédente convention, ce dont s'était passé le préfet. Dans un nouveau courrier du 21 janvier (6 jours avant l'audience en référé), la préfecture a retiré sa décision du 6 décembre mais réitéré son intention de ne pas renouveler la convention, en donnant 30 jours au Planning familial 19 pour présenter ses observations. La décision attaquée n'existant plus, l'audience a été annulée et la préfecture condamnée à indemniser le Planning familial au titre des frais engagés.Ce faisant, la préfecture réintègre le cadre de la convention passée mais persiste à voir dans le bilan du Planning familial de prétendues insuffisances, sur la base de quelques chiffres parmi plusieurs dizaines, alors que l'instruction du dossier relève habituellement de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité qui n'a jamais émis la moindre critique.Il semblerait que la décision préfectorale soit davantage politique et cible une nouvelle structure parmi d'autres du maillage associatif du plateau de Millevaches, jugé trop militant par l'État. Mais ce qu'il y a de militant dans l'action du Planning familial 19 est précisément sa mission d'EVARS, à savoir assurer le droit à l'information en matière de vie affective, relationnelle et sexuelle à la population corrézienne.Dans le même temps, la préfecture a révélé avoir agréé EVARS une deuxième structure basée à Brive, partenaire occasionnelle du Planning familial sans que la DDFE ait jugé utile d'en informer le Planning familial. On peut voir ici la mise sous tutelle préfectorale de ce service déconcentré de l'État et une mise en concurrence par les services de l'État d'associations assurant une mission de service public. Cette manœuvre, selon le Planning, reviendrait à délaisser la population rurale de Corrèze en faveur du bassin de Brive, déjà mieux doté en structures d'information et d'orientation en la matière. Et s'il doit y avoir deux EVARS en Corrèze, les deux doivent obtenir le même financement. Il est en effet évident qu'on ne peut toucher toute la population corrézienne avec une subvention annuelle de 20 000 €... Afin de dénouer cette situation, le Planning familial souhaite initier un dialogue urgent avec le nouveau préfet de la Corrèze, et a sollicité un rendez-vous à cet effet.
C'est une histoire savoureuse que les gourmets de l'absurde dégusteront avec délectation. Pour un gâteau que l'excellent pâtissier des « Caries sages », de Peyrelevade, a confectionné en réponse aux propos nauséabonds dont Gérald Darmanin est coutumier, notre pâtissier a eut droit à cinq visites policières...
À l'été 2023, quelques mois après la grande manifestation de Sainte-Soline et la campagne de plusieurs journaux de droite comme Le Figaro ou Le Point sur le thème du plateau de Millevaches « repaire de l'ultra-gauche », Guillaume Guérin, le président LR de la métropole de Limoges annonce la venue de Gérald Darmanin en Limousin : « Il viendra à Limoges et sur le Plateau de Millevaches parler effectifs de sécurité et actions contre l'ultra-gauche. » (Pure effet d'annonce, le ministre ne viendra jamais...). Au même moment, Florian Rotureau, pâtissier corrézien qui aime jouer avec les mots et l'actualité (il n'est que de voir le nom de son entreprise...) entend sur France Inter dans l'émission de Charline Vanhoenacker, une linguiste expliquer ce qu'est l'antonomase (le fait pour un nom propre de devenir un nom commun) qui cite pour exemple ces personnes qui, n'aimant guère la politique du ministre de l'Intérieur d'alors, disent : « J'ai marché dans un Darmanin ». Le pâtissier qui avait déjà créé un gâteau au chocolat nommé le Zemmour (voir photo) ne résiste pas à inaugurer dans la même veine le Darmanin. Il poste sur son facebook la photo de la pâtisserie, accompagnée de celle de son parrain.
La plaisanterie n'a pas été du goût de tout le monde... Le 3 janvier 2023 les gendarmes de la Brigade de recherches de Tulle sont envoyés au domicile de Florian Rotureau. Les brigades de recherches assurent directement la direction des enquêtes complexes concernant la moyenne délinquance ou certains crimes (homicides, vols à main armée)... Il fallait au moins cela pour un gâteau ! Les gendarmes viennent remettre au pâtissier irrévérencieux une convocation à Tulle dans le cadre d'une enquête préliminaire pour « injure publique envers un corps constitué, un fonctionnaire, un dépositaire de l'autorité ou un citoyen chargé d'un service public, par parole, écrit, image ou moyen de communication par voie électronique. » Ne pouvant se permettre de faire deux heures et demi de route aller et retour pour si peu, Florian prévient les gendarmes qu'il ne pourra se rendre à leur convocation. Le 24 janvier, nouvelle visite, cette fois pour une convocation à la brigade de gendarmerie de Meymac (mais qui tombe le jour du marché de Felletin que « les Caries sages » ne peuvent pas ne pas honorer). Du coup, le surlendemain, troisième convocation, toujours à Meymac. Et deux autres fois les gendarmes se sont déplacés jusqu'au domicile du pâtissier qui n'était pas chez lui dont une fois, rapporte un voisin, à deux voitures avec 8 gendarmes ! On ne lésine pas face à l'humour !
À Meymac, lors de son entrevue, pour laquelle deux gendarmes en civil de la Brigade de recherches sont montés spécialement de Tulle, c'est bien le Darmanin (le gâteau) et sa publication sur facebook qui est au cœur des préoccupations des forces de l'ordre. Ne reconnaissant pas l'infraction, Florian refuse également de se faire photographier et de laisser ses empreintes, et décide d'attendre le procès. Ayant sans doute conscience du ridicule de la situation (et des rires que ne manqueraient pas de provoquer un jugement pour une innocente douceur – au goût certes un peu amer pour celui qui lui a donné son nom) le procureur classera l'affaire sans suite, ce que Florian apprendra par hasard en croisant dans un restaurant d'Ussel les deux gendarmes de la BR de Tulle...La morale de l'histoire est facile à tirer. Désormais, pour quoi que ce soit, fût-ce si peu, les gens ont intérêt à se tenir sages... Et entre le premier avocat qui a conseillé aux Caries sages de supprimer au plus vite le post controversé et le deuxième qui, au contraire, lui a dit de n'y pas toucher, en suivant les conseils du second Florian Rotureau a choisi de ne pas céder. Car, céder, c'est donner raison à un pouvoir qui pour se montrer fort en arrive à ne pas tolérer la moindre critique – fut-elle potache. Mais n'est-ce pas en réalité un aveu de faiblesse ? Pour finir, vous goûterez bien un petit Bruno (Retailleau) d'Agen ?
C'est une affaire qui secoue le village de Faux-la-Montagne en ce début d’année 2025 et qui ressemble beaucoup à un nouvel abus de pouvoir de la part des autorités préfectorales : un jeune chasseur, Paul, est visé par un arrêté préfectoral de dessaisissement d’arme de chasse. Avec lui, nous avons essayé de comprendre les enjeux autour de cette décision.
Début décembre, Paul, un habitant de Faux-la-Montagne et jeune chasseur depuis septembre 2024, a reçu un arrêté signé par la préfète de la Creuse Anne Frackowiak-Jacobs, lui ordonnant de se dessaisir de son arme de chasse et annulant son permis de chasser. Paul, qui a appris la nouvelle en pleine saison de chasse, a été notifié directement par la gendarmerie, sans signe avant coureur ni échange avec la Préfecture. Paul, qui avait récemment intégré un groupe de chasse de l’association de Faux/La Villedieu et qui participait régulièrement à des battues, a dû donc arrêter immédiatement de chasser avec son groupe et rendre son fusil de chasse.
Cette décision a été un choc autant qu’une surprise pour Paul. Et pour cause, il n'a jamais été condamné pour aucune infraction ni subi de plaintes à son encontre. Aucun incident n’a été lié à ses activités de chasse et il avait déclaré son fusil en bonne et due forme auprès du Système d'Information sur les Armes (SIA), le nouveau service en ligne permettant de recenser les détenteurs d’armes.En effet, le seul motif invoqué dans l'arrêté est l'existence d'un risque sécuritaire en cas de détention d’une arme par Paul. L'unique élément évoqué pour justifier ce risque est le contenu d’une enquête administrative du Service National des Enquêtes Administratives de Sécurité (SNEAS) transmise à la Préfecture en septembre 2024. Or, ce même arrêté énonce que les éléments de l’enquête, qui pourraient permettre à Paul d’y voir plus clair dans cette affaire, ne sont pas communicables pour des raisons de sécurité publique. Cette décision serait donc une mesure préventive pour empêcher cette personne de commettre des violences avec son arme.On voit ici le schéma, malheureusement classique dans un État policier, de restriction des libertés pour des motifs sécuritaires dont la prétendue sensibilité dispenserait l’autorité publique de justifier et de matérialiser les faits reprochés. Dans un État de droit, on pourrait pourtant s'attendre à plus de justification surtout pour une personne bien intégrée, travaillant quotidiennement auprès d’enfants pour la mairie de son village et n’ayant jamais eu affaire à la justice. En outre, même si la loi confère à la Préfecture ce pouvoir de dessaisissement d’armes sur une personne sans passer par la justice, cette procédure, sauf urgence, est censée être contradictoire, comme l'énonce l'article L.312-11 du code de la sécurité intérieure. Mais la Préfecture n' a pas respecté le droit en notifiant cet arrêté du jour au lendemain, sans aucune possibilité de contester ou de s'expliquer en amont de cette décision. Au cours de cette procédure contradictoire, ce chasseur aurait pu prendre connaissance des éléments qui lui sont reprochés et leur nature (personnels, politiques) et aurait pu démontrer qu'il ne représente aucun danger. Mais cette démarche aurait peut-être pointé du doigt l’absence d’éléments probants dans son comportement pour justifier cette interdiction. Pour contester cet arrêté, Paul doit maintenant passer par un recours au Tribunal Admnistratif qui s’étalera sur plusieurs mois, voire plusieurs années, avec les délais actuels de la justice. En attendant la décision de la Préfecture s’appliquera, laissant Paul dans une situation d’impuissance.
Mais est-ce que toute cette procédure est réellement motivée par des enjeux de sécurité, quand bien même fantasmés par la Préfecture ? Lorsque l’on constate que de nombreuses affaires judiciaires impliquant des violences ne sont que rarement assorties d’interdiction de port d’armes et de permis de chasser, on peut légitimement en douter. Pour exemple, récemment des agriculteurs membres de la Coordination Rurale (CR) ont été visés par des plaintes pour des dégradations commises dans les bureaux de l’Office National de la Biodiversité (OFB) et menaces envers le directeur de cette institution à Guéret en novembre 2024 dans le cadre d’un épisode du mouvement des agriculteurs. Parmi ces agriculteurs mis en cause et prochainement jugés au tribunal correctionnel, on retrouve Paul Marchon, leader local de la CR et par ailleurs chasseur actif au sein de l'Association communale de chasse agréée (ACCA) d'Aubusson. Malgré ces faits de violences reconnus par l’intéressé lors de sa garde à vue en décembre 2024, aucune mesure préventive de dessaisissement d’armes de chasse n’a été prononcée par la Préfecture de la Creuse. En résumé, même lorsque des faits de violence sont avérés et connus de la justice, la Préfecture de la Creuse se garde de prononcer un arrêté similaire à celui ciblant notre jeune Creusois. Dès lors, on peut se demander si cette procédure n’est pas une manière déguisée de mettre des bâtons dans les roues à une personne un peu trop active politiquement au goût de la préfecture. Vu le flou sur les fondements de la procédure, on est en droit de poser cette hypothèse.
Comme nous l’avons vu, cet arrêté repose sur un avis du Service National des Enquêtes Administratives de Sécurité (SNEAS). Une des missions de ce service est de vérifier que le comportement d’une personne n’est pas incompatible avec le fait de posséder une arme. Pour cela, ce service vérifie l’absence d’antécédents judiciaires mais consulte aussi une grande diversité de fichiers notamment ceux des renseignements. Face à l’absence de comportements dangereux ou d’éléments de vie personnelle problématiques au regard de la loi, on peut donc émettre l’hypothèse que Paul s’est vu annuler son permis de chasser en raison de son inscription dans des fichiers de police en lien avec des activités politiques.En effet, Paul est actif dans plusieurs associations et collectifs du plateau de Millevaches notamment en lien avec la défense de la forêt. Il raconte avoir participé à des manifestations écologistes contre des coupes rases et pour défendre des « forêts vivantes » sur le territoire. Est-ce suffisant pour faire valoir une interdiction de chasser pour la Préfecture ? Probable pourrait-on répondre.En effet, on connaît les tendances de la Préfecture de la Creuse à confondre opposition politique et violence politique notamment lorsque l’on parle de luttes forestières. En illustration, la manifestation du 5 octobre 2024 à Guéret qui a rassemblé plusieurs milliers de personnes dans la bonne humeur. La Préfète avait en amont interdit le passage du cortège dans le centre-ville piéton et devant l’entrée principale de la Préfecture et avait mobilisé un dispositif policier inédit pour Guéret (plusieurs compagnies de CRS et des camions avec canons à eau), prétextant des risques de dégradations et un noyautage du rassemblement par la prétendue mouvance d'ultra-gauche. On connaît la suite de l’histoire, une manifestation bon enfant, avec pour seul incident, la charge de policiers encagoulés dans la foule pour protéger la Préfecture de jets de... pellets. Or, on le sait, le milieu de la chasse et celui des militants écologistes sont souvent présentés comme opposés et les cas d’ « écolos chasseurs » ne courent pas les rues. On a donc peu de recul sur les craintes qu’a pu susciter dans les services préfectoraux cette nouvelle demande de permis de chasser de la part d’une personne engagée dans le mouvement de défense des forêts.
Et c’est d’ailleurs pour une de ces raisons que Paul déclare avoir voulu intégrer une association de chasse, pour rencontrer et défaire les préjugés qui peuvent parfois exister dans des groupes qui ne se croisent que rarement mais qui partagent et évoluent dans un même espace, celui de la forêt. Car au-delà de l’interdiction de la pratique de la chasse, activité ne faisant pas l’unanimité, la Préfecture, avec cet arrêté, sape la possibilité de rencontre et de transmission entre les aînés et la nouvelle génération et donc les possibilités de vivre ensemble sur notre territoire.En effet, Paul assure que pour lui, le retrait de son permis de chasser le coupe avant tout d’un lien social. Il commençait à s’intégrer dans son groupe de chasse qui lui ouvrait de nouvelles rencontres, en particulier avec les anciens. À leur contact, il découvrait une autre histoire du territoire et créait des liens de solidarité. Les parties de chasse et surtout les moments conviviaux associés étaient autant d’occasion de discussion qui permettaient de casser les préjugés entre les jeunes et les vieux, les arrivants et les familles patrimoniales, des occasions non négligeables dans notre contexte de crispation identitaire autour des questions de comment habiter sur le territoire.
En juillet 2024, un habitant d’Eymoutiers a déposé plainte pour « diffamation publique » contre Bruno Doucet, chargé de campagnes forêts françaises au sein de l'association Canopée. Ce dernier avait pénétré sur un terrain privé et diffusé une vidéo dans laquelle il s’insurgeait contre une coupe rase de feuillus. Dans le procès-verbal d’audition du plaignant, ce dernier accuse Bruno Doucet de l’associer à « de la propagande en période d’élection européenne contre le parti du RN ». La vidéo de Canopée, intitulée « Voter pour sauver les forêts ? » présente en effet des programmes électoraux : ceux du Rassemblement National (RN) et du Nouveau Front Populaire (NFP) - créé par ailleurs après les élections européennes : à l’occasion des législatives ayant suivi. Il critique le programme du RN et met en avant les mesures du NFP en faveur des forêts diversifiées et de la biodiversité.
Néanmoins, le nom du plaignant et propriétaire de la parcelle forestière n'est jamais mentionné (vous pouvez aller vérifier en regardant la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=X8mJ-Y3LrR8). La critique n'est d'ailleurs pas orientée vers le propriétaire (ce terme n’est pas employé) mais vers la coopérative forestière en charge de la coupe : Alliance Forêt Bois, première coopérative forestière de France. La vidéo mentionne simplement la ville d’Eymoutiers, sans donner d’indication de localisation précise. L’association du propriétaire forestier à cette « propagande électorale » semble donc ténue. L’association Canopée estime quant à elle être visée par de multiples procédures bâillon, venant notamment des propriétaires forestiers du Limousin : « Je vais au commissariat environ une fois par mois, expliquait Bruno Doucet lors d’une action à Clergoux (Corrèze) fin octobre. C'est très facile pour la filière de porter plainte : c'est gratuit et ils savent qu'ils sont plus nombreux. D'une certaine manière, cela nous épuise et nous empêche de faire notre travail. »