Depuis 2009 pour faire face à la fermeture du marché italien pour les veaux limousins, la direction de la chambre d’agriculture de Tulle recherche des solutions pour assurer le cycle de vie complet des broutards en Limousin. Elle est fortement appuyée par les directions du marché au cadran et de l’abattoir d’Ussel. Ces protagonistes en lieu et place de réfléchir à des projets d’entraide coopérative à quelques éleveurs sur un territoire limité, se sont tournés vers les Mousquetaires de la grande distribution : Intermarché, Ecomarché et compagnie.
Avec ces partenaires, ils ont monté un projet d’élevage agro-industriel gigantesque à l’image de la ferme des 1000 vaches laitières de la Somme. Ils entraînent avec eux quelques éleveurs et la majorité des élus de la communauté de communes des Sources de la Creuse pour construire un centre d’engraissement de jeunes bovins à Saint-Martial-le-vieux .
En 2010 quelques gros éleveurs et techniciens de Creuse et de Corrèze créent la “SAS Alliance Millevaches“. Elle se propose de construire un centre d’engraissement de 1 000 places avec l’intention de rassembler une cinquantaine d’éleveurs capables de fournir quelques 1 400 veaux par an. L’idée est d’assurer l’approvisionnement de l’atelier par des contrats avec des producteurs de proximité : en Limagne pour la paille, en basse Corrèze et dans la région Centre pour les céréales, les tourteaux de Colza et le maïs. Jean-Paul Denanot président du conseil régional et François Hollande président du conseil général de la Corrèze sont venus à la Courtine pour soutenir ce projet.
La communauté de communes des sources de la Creuse a déjà viabilisé un enclos de six hectares sur des terrains de la commune de St-Martial-le-vieux, avec ses infrastructures routières. Quatre hectares sont déjà loués à la société Thrid Step qui a construit un champ de panneaux photovoltaïques, aujourd’hui en phase d’achèvement. Sur le reste de l’enclos la communauté de communes s’engage à construire deux bâtiments de 180 mètres de long et un hangar de stockage. Ces bâtiments seront loués à la Société Alliance Millevaches qui assurera l’aménagement pour l’engraissement des broutards et le fonctionnement de l’atelier avec seulement trois salariés. Le projet prévoit aussi que les toitures soient louées à la société Thrid Step pour produire de l’électricité à partir de panneaux photovoltaïques.
Une troisième société est actuellement en voie de constitution sur d’autres terrains de la Com-Com pour une installation de méthanisation des 15 000 tonnes des déjections produites par l’élevage. Outre la production d’électricité, le méthaniseur séchera les substrats pour en faire de l’engrais et des pellets de bois.
Enfin, deux arrêtés préfectoraux de 2011 et de 2013 assurent l’aval des autorités de l’état à ce projet d’usine agro-industrielle pourtant en totale contradiction avec les vœux émis par les habitants du PNR de préserver sur leur territoire une agriculture enracinée dans son terroir et garante d’une alimentation saine pour tous. À la lecture des documents officiels se référant aux résultats positifs d’une enquête publique et du rapport de l’Inspection des installations classées pour la protection de l’environnement, on apprend avec stupéfaction que le PNR n’a pas donné d’avis ! Ces documents particulièrement travaillés et d’une exceptionnelle longueur sont truffés d’une multitude de dérogations qui laisse planer des doutes sur la complaisance des élus (PNR, chambre d’agriculture de la Corrèze, communautés de communes des Sources de la Creuse, conseil général et régional, etc) avec les vrais concepteurs du projet.
On ne peut dans ce court résumé énumérer les nombreuses questions non résolues dans les attendus des arrêtés préfectoraux. Retenons-en néanmoins quelques-unes et tout d’abord, celle, cruciale, de l’approvisionnement en eau. Pour son fonctionnement l’atelier a besoin de 40 m3 par jour ce que le syndicat des eaux de la communauté de communes ne peut fournir. Des forages sont projetés mais qui en assumera le coût ?
Par ailleurs, comme souligné plus haut, le projet a été vendu aux éleveurs avec la perspective de favoriser les approvisionnements en paille et tourteaux au plus près. Mais aujourd’hui aucun contrat d’approvisionnement de proximité n’est encore acté. La SAS Alliance-Millevaches s’oriente apparemment plutôt vers du soja d’importation pour l’alimentation des broutards. Si on prend en compte le fait que la société d’abattage Jean Rozé s’est aussi engagée à fournir les déchets de tous ses abattoirs pour le fonctionnement du méthaniseur et compte rapatrier la plupart des veaux pour les découper en région de Vitrée, on peut légitiment se questionner sur le bilan carbone de cet atelier d’engraissement. Baser l’alimentation des veaux sur des importations de soja c’est évidemment lier la rentabilité du projet au cours du marché mondial. C’est aussi cautionner le système aberrant de la production de soja à grande échelle dans les pays exportateurs tels le Brésil et l’Argentine. Entre déforestation de la forêt amazonienne, expulsion des petits producteurs, larguage de pesticides par avion, les Européens n’ont aucune fierté à tirer de leurs achats de soja, bien souvent transgénique qui plus est. L’agriculture bretonne basée sur ce modèle est en crise mais les grands groupes de l’agro-alimentaire, seuls à tirer encore profit de la casse sociale, environnementale, et économique de ce système de production, cherche à l’exporter vers d’autres régions pour maintenir leurs gains. C’est sans doute seulement pour ce groupe que le projet sera rentable car l’afflux des broutards sur le marché au cadran d’Ussel risque de déséquilibrer fortement le marché et de tirer les prix aux producteurs vers le bas.
C’est tout de même dommage qu’une région comme le Limousin qui bénéficie jusqu’à présent d’une image de marque en matière d’élevage se laisse embarquer dans un tel projet hors sol. Ah certes, ce n’est pas facile de résister quand on sait que la SVA Jean Rozé est un des leaders nationaux en matière d’abattoirs et que son PDG, Dominique Langlois, est aussi le président national de l’interprofession du bétail et des viandes (IBEV). La grande distribution siège là où il faut pour pouvoir contrôler la filière viande française. Mais qu’un tel projet voit le jour dans un parc naturel qui joue l’image de la petite loutre bien tranquille au milieu de ses espaces protégés, c’est prendre le risque en toute conscience de voir la Fédération des Parcs retirer son agrément au PNR de Millevaches, comme cela est déjà arrivé pour d’autres raisons il y a quelques années à celui du Marais-Poitevin !
En 2016, la Fédération nationale des PNR devra donner le feu vert pour le renouvellement de la charte du PNR Millevaches en Limousin. Comment pourra-t-elle soutenir ce projet gargantuesque d’agro-industrie entièrement piloté de l’extérieur en face des souhaits exprimés par les acteurs locaux d’une agriculture de qualité valorisant les circuits courts et les filières locales ?
Alain Carof et Solenne Garin
Association Novissen (nos villages se soucient de leur environnement) en lutte contre l’implantation de 1000 vaches laitières dans la Somme.