La régionalisation, l’obligation de se soumettre aux référentiels édictés par l’Office de l’Immigration et de l’Intégration, ont totalement désorganisé les dispositifs de premier accueil. La domiciliation, indispensable pour obtenir le premier rendez-vous en préfecture peut parfois prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Domicilier quelqu’un ne signifie pas seulement lui fournir une adresse, mais aussi transmettre son courrier, le traduire, l’expliquer, l’aider à rédiger une réponse. Il faut l’aider dans la constitution de ses dossiers, parfois l’accompagner en préfecture, le tout dans des délais très courts, avec beaucoup de disponibilité et une bonne connaissance du droit. Même une fois domicilié, le premier rendez-vous est long à obtenir, et certaines préfectures régionales ne mettent pas toujours les moyens nécessaires tant en nombre qu’en formation de leur personnel. Des préfectures ont été condamnées à plusieurs reprises pour non respect des procédures (délais, demandes infondées de documents, etc.). De ce fait, la période entre l’arrivée sur le territoire et le premier rendez-vous en préfecture peut durer plusieurs mois. Durant cette période, l’hébergement est assuré par les structures d’urgence (au mieux en hôtel ou CHRS, le 115), dans des squats ou dans la rue. L’aide aux démarches, le soutien financier et l’accès aux soins sont réduits à la portion congrue et souvent portés par des associations et les CCAS. C’est une période de grande précarité sociale, morale et administrative et les personnes étant dépourvues de statut risquent l’expulsion avant même l’examen de leur demande.
Les motifs de recours à la procédure prioritaire sont parfois très arbitraires. Avoir des empreintes digitales brouillées est un motif de refus. La notion de pays sûr est à géométrie très variable (et sert de variable d’ajustement). Déposer une demande d’asile quand on se retrouve en centre de rétention parce qu’on n’a pas pu se faire enregistrer à temps est considéré comme frauduleux, voire abusif. Les personnes non admises au séjour sur le territoire français (quoique maintenues sur le territoire dans l’attente de leur réadmission par le pays “compétent“), sont dépourvus de tous droits et aides.
Parmi ceux qui sont admis au séjour temporaire seul un petit nombre aura accès au CADA, le plus souvent au terme de plusieurs mois d’attente. La majorité reste dans les dispositifs d’urgence, quasi dépourvue de soutien social, moral et administratif, L’accompagnement dans leurs démarches est très limité. De ce fait l’aide à la rédaction du “récit“, pourtant capital pour l’accès à la procédure OFPRA, ou à la préparation de l’entretien, est souvent très sommaire et peut aboutir à des dossiers mal montés ou insuffisants au risque d’un rejet de la demande. L’autorisation temporaire de séjour (ATS) qui devrait être fournie de suite ne l’est pas toujours.
Les procédures sont longues et il est question de les réduire mais les personnes en charge des dossiers craignent que cela se fasse au détriment du soin porté à l’examen des situations. Des instructeurs de l’OFPRA ont signalé diverses pressions, les avocats qui défendent les dossiers à la CNDA ont récemment fait grève pour signaler l’inadéquation entre le montant de l’aide judiciaire et la quantité de travail que cela représente. Certains avocats acceptent de défendre le dossier mais sans le constituer ! Au vu de ces éléments un certain nombre de déboutés (souvent présentés comme de faux demandeurs) apparaissent plutôt comme des “faux déboutés“, car il semblerait bien que leur dossier ait été refusé car ils n’ont pas été en mesure de le défendre. Ce refus, parfois au terme d’une longue procédure, est pour eux une catastrophe morale et matérielle car il n’est pas question de repartir. Il leur est en effet interdit de refaire une demande dans un autre pays européen. Ils basculent alors dans la clandestinité, la précarité, les dispositifs d’urgence, espérant une régularisation par d’autres procédures (cf. la circulaire Valls du 28 novembre 2013). C’est un pari risqué et il leur faudra l’aide de bons connaisseurs du droit.