Construit en 1972, le “domaine du Buchou” est un centre de vacances situé à Eymoutiers qui a perdu au fil des années son vernis et ses occupants. En 2013, la Fédération des Oeuvres Laïques (FOL) qui gère le site décide de jeter l’éponge. La mairie d’Eymoutiers, propriétaire des bâtiments, se retrouve avec 40 bungalows en mauvais état sur les bras. Informé de la situation, le préfet de Haute-Vienne souffle à l’équipe municipale l’idée d’y installer un centre d’accueil de demandeurs d’asile et de confier sa gestion à Adoma (1).
Concrètement le centre de vacances est divisé en 4 espaces : environ la moitié des bungalows sont conservés pour l’accueil de vacanciers (en régie municipale), le château est loué à un restaurateur, les bungalows restants sont attribués au CADA et enfin une partie du bâtiment de l’accueil est utilisée par le centre de loisirs. Difficile de distinguer une cohérence globale dans ce découpage et tout semble indiquer que la priorité de la mairie d’Eymoutiers était de trouver des repreneurs rapidement pour ses bâtiments. Le bulletin municipal de décembre 2013 (2) est sans équivoque : “Le village de vacances nécessite d’importants travaux [...] L’ensemble de l’opération est estimée à environ un million d’euros HT. L’urgence est la réfection des couvertures car des infiltrations apparaissent désormais dans plusieurs gîtes [...] et en l’absence du moindre loyer il nous apparaît difficile d’engager cette dépense.“
Dans ce contexte-là, transformer le village vacances en centre de demandeurs d’asile présente des avantages évidents pour les deux parties : l’arrivée du CADA signifie la création de 6 emplois directs (directeur, animateurs, …) et l’inscription d’une vingtaine d’élèves supplémentaires au collège et à l’école, ce qui permet de ré-ouvrir une classe de primaire qui devait fermer à la rentrée de septembre. Du côté d’Adoma, l’offre de la mairie d’Eymoutiers permet de s’installer dans la durée (bail de 19 ans) et pour un loyer beaucoup moins élevé qu’en zone urbaine.
Le centre ouvre ses portes en mai 2014 dans une certaine précipitation : les travaux ne sont pas terminés et le bail n’est pas signé. Pour les premiers arrivants, les conditions d’accueil sont difficiles. Sophia se souvient (3) : “Quand on est arrivé ici on avait vraiment très peu de choses dans les gîtes. On a dû se battre pour avoir une machine à laver pour 80 personnes.
Mais beaucoup d’entre nous ont vécu des galères avant de venir ici. Il y a des familles qui dormaient dans la rue en attendant d’avoir une place dans un CADA. Donc peu de gens se plaignent et ont fait avec. Et puis les habitants d’Eymoutiers nous ont très bien accueillis. Il y a eu des collectes de matériel et de vêtements pour l’hiver.“
Une réunion d’information est organisée par la mairie début 2014 en présence d’un représentant d’Adoma. Dans l’ensemble les personnes présentes se montrent favorables à la création d’un CADA à Eymoutiers mais s’interrogent sur les éventuelles conséquences. Toutefois les clichés ont la vie dure et quelques semaines avant l’ouverture du centre, on entend parler de l’arrivée des “roms du CADA”, comme un écho à leur stigmatisation médiatique actuelle . Dans les faits, les demandeurs d’asile du CADA d’Eymoutiers viennent de pays en guerre ou en proie à des violences communautaires : Ukraine, Tchéchénie, Sri Lanka, Nigeria. Syrie,... À ce titre, la première erreur serait de mettre tous les habitants d’un CADA dans le même panier. Car en plus des clivages “classiques” ( religions, langues, traditions, … ) les résidents sont dans des situations très différentes : certains ont tout quitté du jour en lendemain, certains ont de la famille en France, certains ont des diplômes, etc. Pour Martine Massé, membre de la CIMADE (4), être envoyés en zone rurale contribue à un double isolement : “Ici ils sont coupés des structures qui peuvent les accompagner et de leur communauté d’origine.“
Pour autant, avec l’apparition à quelques mois d’intervalles de deux projets de CADA sur le plateau de Millevaches, faut-il y voir une tendance ? L’État cherche-t-il à développer spécifiquement des centres d’accueil loin des pôles urbains ? Pourquoi envoyer des personnes isolées sur un territoire isolé ? Selon Richard Moyon, co-Fondateur de RESF (5), cela répond à un double objectif : “Il y a un calcul d’aménagement du territoire et de peuplement mais aussi une certaine volonté d’empêcher l’intégration de ces populations. Quand on est dans un CADA à Lyon on peut se débrouiller, trouver des petits boulots au black. Alors que dans une petite ville on est entièrement contrôlé.“
Mariame a été transférée du CADA de Limoges vers celui d’Eymoutiers durant l’été. Pour elle, la situation est moins facile qu’en ville : “Ce n’est pas seulement que le matériel qui manque…. Il y a aussi le fait qu’en tant que demandeurs d’asile, on n’a pas le droit de travailler. Beaucoup d’entre nous sont à la recherche d’une occupation et le manque d’association est un problème. Quand j’étais à Limoges, j’appartenais à une association. Eymoutiers est une plus petite ville, ici je ne fais rien et je passe mes journées à regarder la télé. “
Toutefois pour Richard Moyon, les petites villes ont certains avantages par rapport aux grandes agglomérations car les résidents de CADA peuvent y établir des liens plus rapidement et plus étroitement avec la population locale… Ainsi dès l’ouverture du centre en mai, la solidarité s’est organisée d’elle-même (dons, co-voiturage, cours de français, repas partagés...) et des associations sont allées à la rencontre des résidents (la chorale des Sauvageons, l’association “un territoire en commun” et les jardins partagés de la Vienne notamment). Mais au-delà de ces premières actions, une question majeure reste en suspens : où iront les résidents dont la demande d’asile sera rejetée. On sait déjà que moins de 20% des demandeurs sont acceptés. Les autres doivent quitter le centre sans papiers et sans points de chute. De fait l’État “fabrique” des sans-papiers : les demandeurs déboutés doivent quitter une situation stable et sont plongés dans la clandestinité et la précarité. À Eymoutiers, les premiers cas d’urgence viennent d’apparaître. Des familles se retrouvent sans ressources et sans abris dans le village. Des situations nouvelles qui sont généralement invisibles dans les grandes villes mais qui pourraient devenir très difficiles à gérer sur un territoire rural.
(1) Adoma, anciennement Sonacotra, est une société d’économie mixte dont le capital est détenu majoritairement par l’État. L’entreprise gère un très grand nombre de résidences : foyers de travailleurs migrants, pensions de famille, aires d’accueil de gens du voyage, etc. Contactée dans le cadre de cet article, l’entreprise n’a pas souhaité répondre à nos questions.