Le CADA héberge actuellement 80 personnes soit une trentaine de familles d’origines diverses : Asie, Europe de l’est, Afrique, etc, expédiées là des quatre coins de France. Beaucoup de femmes seules avec enfants, quelques jeunes majeurs isolés, des personnes malades. Les premiers enfants sont arrivés quelques semaines avant la fin de l’année scolaire et l’Éducation nationale n’avait rien mis en place pour les accueillir. Certains habitants se sont mobilisés pour donner des cours de soutien. A la rentrée, il a fallu l’insistance têtue des résidents et de certains parents d’élèves auprès de l’inspection académique, pour que des enseignants spécialisés soient enfin détachés.
Les résident(es) ont dû investir le bureau du directeur pour obtenir une machine à laver de 6 kg pour 80 personnes. Sinon c’était la lessive à la main pour des familles nombreuses, à quatre pattes dans les bacs à douches. Théoriquement, l’allocation de subsistance devrait couvrir les besoins quotidiens. Une fois déduite le montant de la caution, il reste 90 euros par personne et par mois, soit 3 euros par jour pour se nourrir et se vêtir : chacun sait que les prix de l’hypermarché Casino et du marché du samedi ne sont pas des plus bas, mais pour les résidents, leur cherté est dramatique. L’hébergement est spartiate : une pièce à vivre d’environ 30m2 et une chambre à coucher de 9m2 quelle que soit la composition de la famille. Les célibataires doivent se partager l’espace à plusieurs. Les couchages consistaient jusqu’il y a peu en lits superposés (y compris pour les couples) dans la pièce à vivre et la chambre pouvait accueillir jusqu’à quatre enfants. Certes c’est toujours mieux qu’un squatt ou qu’une chambre d’hôtel de 10m2 pour quatre au 5ème sans ascenseur, et la cuisine en catimini sur un réchaud de camping. Des lits viennent d’arriver, on espère que ce ne sera pas comme les draps : le CADA gère le lavage des draps, mais comme il y a moins de draps que d’habitants mieux vaut arriver de bonne heure. Les bungalows, à l’origine destinés à des vacanciers d’été, sont très mal isolés. L’hiver est là, et Adoma, le gestionnaire du CADA qui avait promis de faire illico des travaux les annoncerait paraît-il maintenant pour février.
On ne vit pas que de pain, mais aussi d’espoirs entretenus au contact d’êtres chers. Se connecter avec la famille est donc un besoin vital. Mais le CADA n’a pas de borne internet.
Faute de terrain de jeu, les enfants jouent sur les pentes très raides : d’où chutes, blessures. Si cela se produit en dehors des heures de travail des personnels, les pompiers les transportent avec leurs parents aux urgences de Limoges mais il n’y a personne pour les ramener ensuite. Quand cela s’est produit ce sont les bénévoles d’une sorte de comité de soutien informel, alertés par les résidents, qui s’en sont chargés.
Les résidents à la santé précaire pâtissent de l’éloignement du CHU. Certains enfants bénéficiaient de suivis psychologiques en région parisienne, et certains résidents adultes en auraient eux aussi bien besoin. Il n’en est pas question à Eymoutiers. Et il n’y a toujours pas de cours de français, ce qui est un besoin urgent pour tous, et en particulier pour ceux qui ne parlent même pas l’anglais.
Si le CADA finance bien le voyage pour se rendre aux convocations de l’OFPRA et de la CNDA il ne prend que partiellement en charge le séjour. Les départs ont lieu très tôt le matin et c’est toute la famille, nourrissons compris, qui se déplace. Cela ne facilite pas la sérénité pour des entretiens déjà très éprouvants. Les interprètes sont à Paris et la relecture des documents par les intéressés n’est pas assurée. Le recrutement de l’équipe s’est fait localement et certains recrutés sont apparentés à des élus. La manière dont les dossiers sont préparés pour les entretiens à l’OFPRA et même simplement deux minutes de conversation avec des membres du personnel donnent le sentiment que ce dernier n’a pas la formation nécessaire. La réponse du directeur aux demandes des résidents est univoque : “Pas d’argent“.
Adoma, l’ancienne Sonacotra, est une entreprise, donc soumise à la logique du profit. Elle n’est pas réputée pour sa philanthropie, pas plus que pour ses qualités de transparence dans la communication. Le poids du foncier pèse moins sur un CADA à la campagne, mais c’est au prix de la perte des prestations offertes par la ville. A Limoges, il existe des cours de français pour les étrangers, des établissements scolaires pour enfants primo arrivants, des interprètes, des psychologues exerçant à l’hôpital, un CHU, une épicerie solidaire, plusieurs associations caritatives, etc. A Eymoutiers, les résidents ont des contacts avec un groupe de personnes de bonne volonté, mais pas grand-chose d’autre. Un rapide tour d’horizon des possibilités offertes dans d’autres centres conduit à cette conclusion : au guide Michelin des CADA, Eymoutiers est tout en bas du classement.
Le gouvernement prépare une nouvelle loi sur l’asile qui prévoit la création de nouveaux CADA pour désengorger les régions qui accueillent le plus de demandeurs. La loi comporte aussi l’obligation pour les demandeurs d’aller dans le CADA qu’on leur désigne, tout refus entraînant le retrait des aides.
A Eymoutiers, comme ailleurs, nous sommes confrontés aux conséquences ultimes des politiques européennes d’immigration et de droit d’asile, qui commencent par des milliers de noyés en Méditerranée, se poursuivent par des centaines d’errants aux alentours de Calais et se traduisent par une tentative de saupoudrage de la misère dans les villes et les campagnes. Cette politique repose sur une hypocrisie fondamentale : les partis de gouvernement savent bien qu’on n’empêchera jamais des millions de gens fuyant la misère, la guerre, les persécutions politiques, de venir chercher quelques miettes de ce qui reste de paix et de prospérité occidentale. Ils savent qu’une bonne part d’entre eux ne seront pas expulsés, parce que légalement certains ne sont pas expulsables, et parce qu’économiquement, c’est trop coûteux. Cette société a besoin de maintenir dans une précarité totale des gens corvéables et persécutables à merci, dont la présence exerce une pression à la baisse sur les salaires, et offre un bouc émissaire commode aux électeurs confrontés à la crise. Les gens d’ici qui doivent se coltiner les conséquences les plus visibles de ces politiques ne se contenteront pas éternellement de parer au plus pressé et pourraient bientôt exiger des différents niveaux institutionnels qu’ils répondent de la contradiction entre leurs discours humanistes et la réalité du terrain. Il y a plusieurs manières de poser cette exigence, y compris le racisme bleu marine. En ce qui nous concerne, la seule façon raisonnable de la poser nous semble être à partir de ce principe : les gens qui sont ici sont d’ici.