La question du maintien des services en zone rurale est, depuis des décennies, un serpent de mer. C’est la raison pour laquelle de nombreux élus, syndicats ou partis politiques relayent régulièrement les récriminations des usagers. Pour l’ironie, on remarquera qu’en 2004 et 2005 la fermeture des perceptions avait servi de goutte d’eau au mouvement, ce qui a fait dire que certains se mobilisaient plus facilement pour des sous et des képis, que pour des enfants ou des infirmières... Affaire de philosophie !
À Guéret le 5 mars 2005, se trouvaient à battre le pavé des personnalités très connues tel un grand leader socialiste. Il y avait convergence de deux phénomènes : la question des services publics, et la campagne du référendum sur les traités européens. “Les perceptions, les bureaux de poste, ce n’est pas l’Europe qui demande de les fermer. C’est le gouvernement de Monsieur Raffarin qui décide de fermer les gares“ avait déclaré ce jour-là un certain François Hollande, alors député-maire de Tulle et premier secrétaire du PS. On connaît la suite. La presse avait surtout retenu l’épisode de la boule de neige jetée sur ce monsieur. Dans les semaines qui suivirent, pour tenter de déminer le terrain, le Premier ministre Raffarin, annonça qu’ “aucune nouvelle fermeture de service public ne serait décidée sans concertation avec les collectivités locales“, confirmant le gel des projets de fermeture d’écoles. Pourquoi ce mouvement était-il à la base creusois plutôt que corrézien ? Pour ceux d’entre vous qui l’ignoreraient, l’effet “Chiraquie“, puis “Hollandie“, et la géographie politique locale sont des aspects déterminants dans l’évolution des dossiers. Voici des faits objectifs : en 2015, le recteur d’académie annonça la suppression de 9 postes en Creuse, pour 18 élèves en moins, dans le but “d’une nécessaire solidarité avec des départements beaucoup plus mal lotis“. La Corrèze donc ? Création de 2 postes pour 11 élèves en moins, où, depuis 2012, il y eut au total 11 créations de postes pour 13 élèves supplémentaires. Où est l’équité ? Mais qu’en était-il vraiment en 2005 ? Et qu’en est-il aujourd’hui ? Voyons cela à travers quelques exemples significatifs.
Sur le fond tout d’abord : concurrence, solidarité, aux grands mots et maux, petits remèdes. D’un côté, les citoyens-usagers en ont marre, de l’autre, les citoyens-élus veulent “maîtriser les évolutions“. Marre en effet de voir les bureaux de poste ouverts quelques heures par semaine, les guichets de gare remplacés par des machines (surtout n’oubliez pas votre carte bancaire !), les trains prendre l’allure de “cars Macron“, les enfants des écoles trimballés de longues heures dans des bus, les futures mamans devoir affronter encore plus de kilomètres. Ainsi, dans quelques siècles, les archéologues étudieront de curieuses inscriptions gravées sur les frontons de nos mairies actuelles : Liberté, Egalité, Fraternité. Des hiéroglyphes ou du chinois ? Voilà où nous en sommes : liberté de prendre sa voiture (oui), égalité pour payer l’impôt (pas sûr), fraternité face aux pelotons des forces de l’ordre (non). En réponse, on nous propose des schémas, des plans, des protocoles. Tout ceci sans autre but que faire avaler une pilule amère... Histoire de masquer des questions de gros sous, des économies de bouts de chandelle, et finalement un certain mépris pour ceux qui osent encore vivre dans des espaces ruraux voués à disparition.
Sur la forme ensuite. Il est facile de se rappeler qu’en 1986, sur le Plateau, il y avait encore une école à Féniers, une perception à La Courtine, une gendarmerie à Bujaleuf, un collège à Bugeat, une maternité à Bourganeuf, une gare à Lacelle, un bureau de poste à Cressat, un service d’urgences à l’hôpital d’Aubusson, une ligne SNCF Montluçon-Ussel. Les bâtiments sont toujours là, et j’entends déjà les commentaires : mon bon monsieur, la gare de Lacelle existe toujours, on peut encore y monter dans le train, ou en descendre. En effet, mais pas souvent, à voir “y en a qui ont essayé !“ Et vous pouvez chercher sur l’annuaire la perception de La Courtine, elle existe bien... à Crocq. À la gendarmerie de Bujaleuf, il y a un interphone, et les élèves sont bien “regroupés“... quelque part. Sans oublier les “points de contact“ postaux, et la possibilité – liberté chérie – d’accoucher à la maison ! Dialogue de sourds. Beaucoup d’élus locaux réagissent, en vain semble-t-il.
Voici l’exemple du conseil municipal de Saint-Hilaire-les-Courbes : “Considérant qu’au terme d’un processus de réduction, transformation, dégradation de la présence postale, engagée depuis plus de dix ans,... le service public ne sera plus assuré dans un grand nombre de communes rurales, interdisant toute possibilité de développement, menaçant les plus faibles dans leur existence...“ (2004).
Toutefois, si une fermeture est grave de conséquences, la démarche d’effilochage l’est aussi. Car on fait hypocritement miroiter un espoir. Effilochage ou détricotage. Voici l’exemple du collège de Bugeat : en 1990, on a d’abord transféré les “grands“ (4ème et 3ème) à Treignac – encore plus de kilomètres – ou à Meymac, pour ceux qui voulaient bien être internes. Vint enfin le tour des “petits“. Bien sûr, payer six profs pour 60 élèves : du gâchis, non ? Et avec quel argument, relayé par le maire RPR de l’époque ! (dont les enfants avaient été scolarisés ailleurs, dans des écoles privées): “Les résultats au brevet ne sont pas bons“. Ah! la fameuse qualité de l’enseignement a bon dos, surtout quand l’argument est bidon, en réalité, c’était le contraire. “Regrouper pour remonter le niveau“ lit-on souvent, “dissuader d’habiter à la campagne“ entend-on en écho. La démographie elle aussi a bon dos. Il y a la logique des chiffres, et encore, c’est un argument ambigu. Il y a surtout une question éthique : y aurait-il des gens plus citoyens que d’autres ? Pour définir les droits de chacun, la référence est le préambule de la Constitution de 1958, renvoyant explicitement à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. On peut y lire ceci : “Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation (...) le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires“.Tout est finalement, comme toujours, une question d’interprétation.
Que reste-t-il aujourd’hui de la mobilisation de 2005 ? La création d’un collectif a-t-elle eu des effets ? Plus de concertation, si on joue sur les mots, sans doute. À ce propos, voici les paroles de maires creusois : “Nous n’avons pas besoin de concertations alibi. Elles ont trop souvent servi à arrondir les angles et faire passer la pilule auprès de notre population“. Qu’en est-il depuis ? Il existe toujours une Convergence Nationale des collectifs de défense, dont la branche creusoise est très active. On peut consulter utilement son site internet. On y trouvera de nombreux exemples de ce qui s’est passé depuis 2005, et se passe encore. Chez nous, et ailleurs. Une manifestation, nettement plus festive, a eu lieu le 15 juin 2015, toujours à Guéret. A suivi un colloque en novembre 2016, au même endroit. Ce qui est important, ce sont les faits et ils sont significatifs : en ce moment, on se bat ici ou là contre les services publics volatilisés : hospitaliers notamment, et scolaires. Partout, on scrute les projets, et surtout on lit entre les lignes. La majorité politique a changé en 2012. Le mouvement de restructuration des services publics a continué. Le moins qu’on puisse faire est de s’interroger sur le quasi-silence de beaucoup d’élus, dont les “grands“, qui se reconnaîtront. Mais aussi une certaine passivité des usagers. Les campagnes de dénigrement des services publics ont semble-t-il porté leurs fruits. A l’opposé, nous avons tout de même des exemples réconfortants, comme à Tarnac en 2012, dont l’école avait été fermée par l’administration. La mobilisation de la population a été énergique, selon le principe : “Nous vivons ici, vous ne fermerez pas notre école“. Et l’inspection académique fit marche arrière. Comme, la même année, à Nedde. Voilà bien une situation exemplaire : rien n’est obtenu si les citoyens ne prennent pas leur propre avenir en main. Surtout, on aimerait que nos dirigeants de tous niveaux cessent de nous prendre pour des “buses“ : c’est un animal protégé !
Michel Patinaud