Réfléchir à l’avenir des campagnes profondes. Voilà ce que s’était proposée de faire la Datar (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale) ; mieux vaut rappeler le nom puisqu’il en dit long à lui seul) : tirer des plans sur la comète pour les “espaces de faible densité“ … comme par exemple le Plateau de Millevaches. C’est toujours agréable quand un bon Dieu tombant du ciel vous offre une prophétie sur votre destin. À l’opposé de cette démarche, et sans les grands coups de financement de l’État, on trouve l’écriture de la plateforme de la Montagne limousine.
Carte de France montrant la typologie des «trajectoires de croissance démographique des cantons français entre 1968 et 2009» :
plus c’est rouge, plus c’est la cata («baisse absolue et régulière»). En vert, c’est en perte de vitesse aussi, mais moins grave.
Et plus c’est bleu, mieux c’est (“hausse supérieure à la moyenne“).
Source : Sébastien Oliveau et Yoann Doignon : “La diagonale se vide ?
Analyse spatiale exploratoire des décroissances démographiques en France métropolitaine depuis 50 ans“,
Cybergéo, revue européenne de géographie, 2016.
Les chercheurs nous décrivent un avenir radieux décidé depuis les villes, fonction du comportement des urbains, de celui des riches et des miettes que l’État voudra - ou non - lâcher (fonction elles-mêmes des deux premiers comportements). Nos chercheurs répondaient en fait à une commande paraétatique intitulée “Territoires 2040“1, c’est-à-dire qu’on paie grassement ces universitaires, experts délivreurs de théories et de connaissances, pour produire des plaquettes et des données qui ressemblent aux posters qu’on fabrique dans les parcs naturels (économiques) régionaux. C’est-à-dire qu’on brasse du vent en mettant l’accent sur l’acte de brassage. En plus clair, sans image, et dans notre vieille langue : on fabrique de la forme (des tableaux, des cartes, des flèches dans tous les sens) pour masquer le véritable fond de l’étude (où investir pour les riches).
Dans ce mouvement d’éventail et avec toutes ses méninges, la Datar a produit 5 scénarios d’avenir de campagne soumise (voir encadré). Evidemment, sur le Plateau de Millevaches, quelques-uns sont tombés dessus, savaient malheureusement lire, et leurs poils se sont hérissés. “Comment donc ! Dans les villes, et dans des bureaux en plus, des experts décideraient à quelle sauce on va être mangés ! “grognèrent épidermiquement les fortes têtes millevacoises.
Ma fréquentation de l’université ne me porte guère à plaider la cause de la Datar : les chercheurs doivent produire des rapports normés pour montrer qu’ils travaillent et justifier que leur cher labo soit financé… et en plus, trouver des sujets de recherche qui sont eux-mêmes financés soit par les collectivités territoriales, soit par des organismes privés. C’est vous dire si on se trouve dans un contexte de réflexion aiguë !
Bref, deux rapporteurs géographes de la Datar, Laurence Barthe et Johan Milian, ont quand même daigné présenter leurs travaux à Eymoutiers et affronter des habitants ou des élus mécontents du sort promis. Nos experts n’ont ni convaincu ni ému personne et se sont plutôt vu remettre en cause leur indépendance. Ils ont tenté en vain de jouer les pleureuses du genre : “En fait on est comme vous, on vous veut du bien, on émet juste des hypothèses nous, on n’est pas méchants“. En gros, il leur a été rétorqué qu’on n’avait pas besoin d’eux pour décider de l’avenir du territoire.
En 2011, les deux compères avaient pondu un article universitaire pour dire que c’est dans le scénario 4 (la prostitution) que les indispensables technologies numériques (TIC) seront le plus intelligemment employées. Ils récidivent (avec d’autres) en 2014 pour analyser et mettre en avant les pôles d’excellence rurale - PER2 : c’est le “développement territorial“, en gros encore le scénario 4, qui ressemble décidément à la sainte voie.
En fait, pour les bouseux, tout revient à peu près au même, c’est dépossession et pillage, et ceux qui ne sont pas contents, qu’ils se débrouillent avec leurs cacahuètes.
Et justement, ils se débrouillent, et même parfois plutôt bien. Et ils pondent aussi des désirs (assumés). Le but premier de cette plateforme, groupe de réflexion porté à l’action, c’est de prendre en main l’avenir du territoire, de lui donner du corps. Par exemple, la relance des fêtes du Plateau (à Tarnac et la Nouaille) avec tous leurs débats, provient de l’élan de cette plateforme. Dans une autre mesure, les efforts fournis actuellement pour l’accueil des migrants sont la mise en œuvre de ce qui a été dit. Ce ne sont donc pas que de vains mots mais des engagements concrets d’habitants, voire d’élus qui forcent plutôt le respect quand on les regarde d’ailleurs. Quand on m’a filé le texte de la plateforme3, j’ai trouvé ça vraiment bien et audacieux par rapport à la couardise ambiante qui règne dans nombre de nos conseils municipaux et à un défaitisme parfois savamment entretenu dans la population rurale. J’ai filé ça à un copain des Alpes et il m’a dit “Ça, ça a de la gueule“. En gros, la plateforme (voir encadré ) met l’accent sur des grands principes comme l’accueil, l’autodétermination des habitants du Plateau à choisir leur avenir, la solidarité ou la créativité.
Dans l’originalité de cette démarche, compte pour beaucoup la volonté de se saisir à bras le corps des problèmes du territoire, sans s’appuyer forcément sur des entités administratives en perte de crédibilité démocratique, et en perte de crédits. L’aspect courageux que j’ai pu évoquer, c’est de prétendre se construire comme un territoire où le profit ne régnera pas en maître, comme une terre d’innovation pour les alternatives aux projets capitalistes.
On voit que de ressembler à la zone de prostitution pour investisseurs cherchant terrain d’élection (la numéro 4 et préférée du plan Datar) n’est pas ici à l’ordre du jour.
La plateforme de la Montagne limousine n’est pas formulée par des experts (au mieux elle est peut-être initiée par de sales intellos) et le but est que tout habitant s’y reconnaissant puisse prendre part à l’affaire ainsi qu’au visage que revêtira le Plateau. C’est une vision politique qui me semble assumée. Elle ne fera évidemment pas l’unanimité chez tous les habitants du Plateau mais elle regroupera ceux qui veulent prendre leur avenir en main. Car c’est avant tout de cela dont il est question. Et d’enchanter nos campagnes. De constater que ça bouge, que des habitants se remuent, qu’ils s’impliquent dans la vie de leur territoire : cela attire plutôt et constitue un point d’appui pour d’autres “espaces à faible densité“ (comme ils disent). C’est le camp des acteurs qui est préféré à celui des spectateurs.
Si la volonté ne fait pas forcément tout, il est réconfortant de savoir qu’on puisse, chez les bouseux profonds, se serrer les coudes.
Julien Dupoux