Jacques Chirac, député d’Ussel depuis 1967 puis maire de Paris, est élu en 1995 puis en 2002 président de la République “de droite“. François Hollande, député de la Corrèze de 1988 à 2001, est élu en 2012 président de la République “de gauche“.
Quelle histoire ! Mais au-delà des mythes : Corrèze, “terre de gauche ?“, “de droite“ ?
Le “Bas-Limousin“ devenu Corrèze est, depuis un millénaire au moins, un pays de paysans libres. Avant même la Révolution, ils étaient déjà propriétaires de la moitié des terres. Cette région de très ancienne culture fut le berceau des troubadours et de la fin’amor médiévale, où régnait un esprit de “partage“ : honneur, noblesse de cœur, parité entre classes comme entre sexes, qui marquaient la société méridionale.
Quand on arrivait en Corrèze vers les années 1975, on pouvait retrouver encore ce bel esprit d’égalité entre tous. Pourtant, ce pays semblait blessé, déchiré entre : ici ? là-bas ? partir ? rester ? Est-ce cette blessure qui le portait à rejeter tout ce qui était autre ?
La réponse est qu’il avait tout simplement perdu, au cours de l’histoire, sa liberté, et donc son âme, ses forces et son élan. Qu’il avait dû organiser sa survie et surtout la survie de sa terre en se fixant des règles familiales et communautaires strictes, à laquelle chacun devait se plier à égalité, qui toutes tournaient autour de ce pivot : l’émigration saisonnière, qui partageait les membres de la famille entre celui ou celle qui restait, et ceux qui partaient en quête d’argent. Autorité et communauté, soumission et fierté, telles étaient les valeurs paradoxales de ce pays de contradiction. Elaborés au cours des siècles, ces comportements vitaux survivront bien longtemps après les conditions qui les ont fait naître. Ils garantissent un équilibre que des extérieurs au pays, porteurs d’autres valeurs, risquent de compromettre. Au contraire, les hommes “de l’intérieur“, partis dans cet “extérieur“ qui est le lieu du pouvoir, qu’il soit de droite ou de gauche, y ont acquis une aura vers laquelle on se tourne. Ils deviennent des protecteurs.
À travers l’histoire, ces orientations contradictoires ont pu mener aussi bien au radical-socialisme d’Henri Queuille, qui inspirera Jacques Chirac et François Hollande, qu’au communisme de Marius Vazeilles, pour qui, “propriété privée“ n’était pas antinomique avec les valeurs du Parti. Ce forestier-archéologue, figure paternelle et tutélaire, mit toute son ardeur à défendre ces “paysans rouges“, tant par son journal La Terre, et par le syndicat qu’il créa, que par ses incitations au reboisement, censé leur apporter un complément de revenus futurs. Le parti communiste représentait alors tout autant la solidarité des frères que l’autorité du père. Lorsque la structure familiale, mais aussi la structure foncière et de façon générale toute l’organisation traditionnelle se sont effilochées, ses “cellules“ fraternelles du parti sont venus les remplacer.
La guerre de 39-45 et la défense du pays ne firent que le renforcer. Si bien que, grâce à Georges Guingouin, qui avait compris, contre l’avis des cadres du parti, qu’on ne gagnerait qu’avec l’appui des campagnes, ce paradoxal Parti communiste paysan sortit de la guerre auréolé d’une gloire qu’un demi-siècle n’a pas réussi à ternir. En perte de vitesse en France, et même en Limousin avec l’avènement du gaullisme, il ne fut quelque peu freiné en Haute-Corrèze qu’en 1967, quand Jacques Chirac devint député. A partir de 1976, il n’y avait plus que deux votes capables de l’emporter : PC ou RPR. Gauche ou droite, toujours le même le balancier. Au centre, jamais. Aux extrêmes pas plus.
Jacques Chirac, surnommé tout comme Guingouin, “lo Grand“, n’aimait rien tant qu’aller s’asseoir à toutes les tables de ferme et “taper le cul des vaches“. Quant à François Hollande, on a assez souri de cette “normalité“ revendiquée. Il lui était sans doute naturel d’être proche des gens, d’aimer par désir d’être aimé. Nature et tactique sont si voisines… Pourtant, s’il est une leçon qu’il a apprise ici, c’est bien de “faire comme tout le monde“ !
Par-delà les appartenances politiques, tous deux se sont, en tout cas, moulés avec naturel à ce que la solidarité du groupe attend de celui qui approche du pouvoir, qui est le pouvoir tout en restant un proche : une aide, une faveur, un … “plaçou“. Droite ? Gauche ? Dans ce pays où la terre importe plus que tout, on est peu idéologue. Seul compte le soutien que l’on pourra obtenir de l’élu, embrassé, tutoyé, entouré, comme autrefois celui que l’on demandait aux Saints, touchés, baisés, fêtés.
Pour résister, le pays a dû s’accrocher à des rites collectifs qui plaçaient le groupe avant l’individu. Il en a gardé un certain sens du sacré qui engage. Cette terre d’inter-connaissance où l’on garde beaucoup de fidèles redevables - d’une aide réelle, d’une écoute ou d’une simple re-connaissance - peut représenter un efficace tremplin vers des destinées plus hautes.
Oui mais alors… La gloire marque un brutal adieu. Ils disent : “Je reviendrai“. Mais revient-on jamais de là-haut ? De l’un comme de l’autre, les Corréziens se sont sentis orphelins. Alors, maintenant, comment le pays supportera-t-il l’anonymat des régions “sans Président“ ? Comment survivra-t-il à la perte de ses “Présidents corréziens“ ?
Marie-France Houdart