Les sociologues ont cela de bien, qu’ils offrent de temps en temps des grilles de lecture ou d’analyse qui nous aident à nous repérer dans le monde qui nous entoure. C’est ainsi que pour parler du personnel politique (drôle d’expression !) ils ont élaboré deux catégories qui reflètent bien les formes d’engagement et de fonctionnement des élus : les élus leaders et les élus caciques. Les leaders sont ceux qui mènent leur affaire avec généralement une idée assez claire de là où ils veulent aller, entraînant et s’appuyant sur des personnes et des groupes autour d’un projet commun qui débouche souvent sur des transformations sociales. Les élus caciques, de droite comme de gauche, sont plus conservateurs. Ils incarnent la vieille caste politique, pensent qu’ils sont les seuls à incarner l’intérêt général (l’un d’eux serinait : “À argent public, décision publique“ - comprendre décision par les seuls élus) et maintiennent en général leur pouvoir dans la durée par des élections-plébiscites entre lesquelles ils s’estiment avoir carte blanche. On pourrait rajouter un troisième profil : les apparatchiks, beaucoup plus timorés que les deux précédents et souvent plus nocifs. Alors que les leaders foncent en fonction d’un dessein et que les caciques règnent sans partage (ce qui permet aux uns et aux autres de mener leur barque et, souvent, de produire des résultats), les apparatchiks sont surtout inquiets de leur réélection ou de leur positionnement sur les listes à scrutin de liste, ne devant en général leur légitimité qu’à l’adoubement des instances du parti.
En se retournant à l’occasion du décès de François Chatoux sur les élus qui marquèrent le territoire depuis 30 ans, on arrive assez vite à les répartir selon cette nomenclature pratique (et sans doute un peu simpliste, j’en conviens). Au début des années 1980 François Chatoux, déjà maire de sa commune, va nouer des liens avec deux autres “petits“ maires voisins : Pierre Desrozier maire de Gentioux (élu en 1983), un prof de maths issu du mouvement occitaniste, et Bernard Coutaud, maire de Peyrelevade depuis 1972. Ces trois là sont jeunes (respectivement 28, 34 et 22 ans au moment de leur élection), ont plutôt un profil d’entrepreneur (François Chatoux est éleveur et Bernard Coutaud dirige sa propre entreprise) et un passé militant (régionaliste pour Desrozier, maoïste pour Chatoux). Ensemble, ils imaginent un Plateau ouvert sur le monde, ne s’interdisent rien, parient sur la mutualisation et créent la première intercommunalité rurale du Limousin. Comme il faut bien faire quelques concessions avec le système politique local, ils associent à leur syndicat intercommunal le conseiller général socialiste du canton de Gentioux, et maire de Féniers, Pierre Laurent (certains le désignaient alors comme la “quatrième roue du tricycle“). Ce sont eux qui accueillent tous les projets qui se présentent sur le territoire.
Des jeunes sans formation qui veulent faire une scierie ? Banco ! Télé Millevaches ? Génial! Des repas bio à la cantine ? Pourquoi pas ! Une crèche ? Élémentaire mon cher Watson ! Bernard Coutaud accueille sur sa commune les concentrations de motards et l’université d’été de la Ligue communiste révolutionnaire tout en rêvant à voie haute : “On pourrait vendre des concessions perpétuelles dans nos cimetières aux Parisiens qui n’y ont plus droit, non ?!“ Pour eux le développement est affaire de volonté, d’imagination, de participation et ne peut se construire que tous azimuts. Au-delà de leurs communes, ils s’intéressent à des coopérations plus ambitieuses et seront partie prenante du Bureau d’accueil de la Montagne limousine (dont François Chatoux sera un temps président), de la Fédération du Millevaches (présidée par Pierre Desrozier jusqu’à l’accident de la route qui le contraint à arrêter toutes ses fonctions) et du projet de Parc naturel régional (ni Bernard Coutaud, décédé en 1999 dans un accident de la route, ni Pierre Desrozier hors circuit ne verront sa naissance en 2004).
C’est ainsi que nos jeunes maires sont confrontés assez rapidement à quelques élus qui relèvent clairement de notre deuxième catégorie. Nous en citerons trois, emblématiques, qui ont de 22 à 36 ans de plus qu’eux et règnent en quasi-despotes sur leurs fiefs.
Le plus vieux est Pierre Ferrand (1913-1996), en fin de course à cette époque, médecin de profession, député de la Creuse de 1956 à 1958, mais surtout maire de Royère-de-Vassivière pendant près de 40 ans (1960-1989). C’est la figure même du notable socialiste, conseiller général et régional, dont le nom restera attaché à l’amènagement du lac de Vassivière dont il préside longtemps le syndicat. Il y fait la pluie et le beau temps avec son compère et successeur à Vassivière, André Leycure (1927-2002), maire de Nedde pendant 42 ans (1959-2001), conseiller général et régional communiste, ancien instituteur qui régente son conseil municipal – dans lequel se retrouvent nombre de ses anciens élèves – comme il gouvernait sa classe. Fort en gueule, aimant discourir (il comparera un jour en pleine séance du conseil régional les “fabuleux“ paysages de sa Montagne limousine à la petite culotte de Madonna – au désavantage de cette dernière bien sûr !), André Leycure sera de tous les projets qui mèneront après sa mort à la création du PNR. Le troisième larron est corrézien, RPR, puis UMP, Chiraquien pour mieux dire. Georges Pérol (né en 1926), conseiller général et régional cumulard comme ses collègues, a aussi des responsabilités dans les cercles chiraquiens de la capitale (il sera du reste condamné dans l’affaire des HLM de la ville de Paris en tant qu’ancien directeur de l’Office parisien des HLM) et passe sans doute un peu trop de temps à Paris, ce que lui reprocheront les habitants de Meymac en l’éjectant en 1995 de la mairie qu’il occupait depuis 18 ans. Pour raconter l’histoire du Parc naturel régional de Millevaches, George Pérol, en archétype de l’élu cacique, ne joue pas dans la nuance : “Sur le Plateau, il y a eu trois hommes : Pierre Desrozier, André Leycure et moi. Et nous nous sommes dit, il faut faire quelque chose...“ Un creusois, un haut-viennois, un corrézien ; un PS (que Desrozier entetemps était devenu), un PC, un RPR : le compte est bon !
Et puis il y a les autres. Le communiste Christian Audouin par exemple, président du PNR de 2004 à 2015, éjecté de son canton corrézien de Bugeat, mais toujours au poste grâce aux scrutins de liste qui lui permettent (jusqu’en 2015) de rester conseiller régional. Il passe sans doute plus de temps à Limoges où il assure la direction de l’Echo et siège au conseil régional. Quand il est sur le Plateau, il ménage la chèvre et le chou : surtout ne pas prendre position sur la ferme des 1000 veaux, ne pas brusquer les forestiers et caresser dans le sens du poil les agitateurs locaux (“Très bien cette plateforme de la Montagne : voilà des idées qui devraient être dans la nouvelle charte du Parc !“). Bon, grâce à quelques élus et habitants rassemblés en assemblée, il acceptera quand même de faire voter au Parc une résolution contre le projet de stockage de “stériles miniers“ radioactifs à 1000 mètres de la Maison du Parc – mais sa première résolution, comme à son habitude, n’était qu’un tiède et insipide vœu pieux... Nos socialistes ont aussi de bons spécimens à proposer dans cette catégorie. Stéphane Cambou qui succède à Jean-Paul Denanot devenu président du conseil régional à la tête de Vassivière et qui y creuse un trou financier de près d’un million d’euros, finira par être remisé hors liste des régionales de 2015 par ses “amis“ politiques qui lui laissent cependant la présidence du Centre d’art et sa mairie de Peyrat-le-Chateau. Mais un million qu’est-ce que c’est ?
À Aubusson, Michel Moine fera mieux en quittant (après le PS où son ambition lui a fait trop d’ennemis) le navire de la communauté de communes Creuse Grand Sud avec un trou de 4 millions et un déficit chronique annuel de 900 000 €. Il espère se recaser aux prochaines législatives, sans craindre semble-t-il les poursuites judiciaires que le nouveau président et d’autres maires ont entamées chacun de leur côté. Voilà où l’on en est... Devant de si piètres élus qui n’ont même plus la justification d’être de bons gestionnaires on a envie de crier : “Au secours François Chatoux ! Reviens !“
Michel Lulek