Un fou des plus dangereux a jeté son dévolu sur le domaine de Chauffaille dans la commune de Coussac-Bonneval, s’apprêtant à prendre tout un pays au filet dévastateur de sa folie. Une société soucieuse de sa survie s’empresserait de l’interner, nous à Naugeat où sont des gens de folie bien plus douce et bien moins dommageable aux autres sinon à eux-mêmes. Ce fou se dit gars mélomane, mais il faut replacer les syllabes en leur bon ordre, ce qui le restitue pleinement comme mé-gars-lomane. Et ce mégalomane d’opérette veut opérer chez nous. Son projet : faire un parc d’attraction musical dont le gigantisme rend incrédules les plus naïfs.
Ah ! les parcs d’attraction. Les parcs de loisir, sur tous les thèmes, tous les tons ! Il manquait bien celui-là à notre bonheur! Comme si la musique avait besoin d’un parc ! Comme si l’on devait parquer la musique ! J’en appelle à Gaucelm Faidit qui passa par ici pour d’Uzerche aller à Châlus déplorer la mort du roi Richard. J’en appelle à Antoine Decond qui, de son fifre, y mena si souvent la danse.
Ah ! les parcs de loisir sécrétés par la société du même nom, la société vouée au loisir et la vie comme un vaste loisir obligé, organisé, planifié, parqué. Le triomphe d’homo festivus, le dernier avatar de l’homme qui ne peut être qu’éminemment collectif, grégaire, a cordelhada, a tropelada...
Certes le domaine de Chauffaille, depuis la fin des forges, nous a habitués aux tentations et tentatives les plus diverses, les plus absurdes, les plus incongrues, les plus délirantes, comme s’il avait la maligne vocation de les susciter (1). Mais d’aussi extravagante, on en était tout de même à la veille. Eh bien mais la veille est là, notre aujourd’hui, notre avenir.
Il faut dire que cette folie mégalomaniaque est bien partagée, la démesure fascine les foules qui courent au viaduc de Millau comme, en son temps, elles coururent à la tour Eiffel ; démesure que rend possible, facile même (et donc souhaitable !) la puissance technique de ce qu’on continue d’appeler une civilisation, à qui l’on fait la grâce, mieux, d’être la définition même de la civilisation. Les grands ensembles, les grandes surfaces, la grande région, les grands cantons, les grandes communautés de communes (quatre pour la Creuse!), la grande agglomération (“Plus près de vous !“, comment osent-ils ?), les grandes concentrations de veaux, de poules, la grande usine, la grande scierie, les grands troupeaux (je pense à nos trois vaches !), la ligne à grande vitesse, le grand stadium, l’Aquamachin et le Zénith, et les milliers d’hectares de résineux, les milliers d’hectares de pommiers sous plastique, etc. etc., les grandes destructions de tous ordres! Voir grand, toujours plus grand, jusqu’à s’y noyer, jusqu’à disparaître.
Et tout ça au nom de la compétition et de cette marche forcée en avant. En avant où ? De quoi ? Comme si la vie c’était “marche ou crève“, comme si la vie se résumait à “que le meilleur gagne“ ! Alors que tout être sensé devrait souhaiter le primat de l’individu accompagné par la petite communauté autonome, du sens de la mesure, de la proximité, de la polyculture, de la variété (pas la variétoche!), de tout ce qui est à taille humaine, amical, équilibré, respectueux. Oh mais, ce discours, on le tient ! En faisant par ailleurs tout ce qui le nie !
Et là, à Coussac, il faut bien prendre la mesure des choses. Pour drainer et loger les dizaines voire centaines de milliers de jobards que l’on attend parce qu’on les désire, il faudra des routes autrement conséquentes qu’elles ne sont actuellement, avec des vire-couillons, des bretelles, des ceintures, des ourlets, des ci, des ça, que sais-je ? Des hôtels, le bourg promu petite ville, et nous autour, nous “bénéficierons“ pleinement de ce mouvement, de ce chambardement, des pollutions et autres nuisances afférentes, du bruit notamment. Du bruit au nom de la musique !
Il faudra que la bagnole, à tout berzingue, coure de Chauffaille à l’autoroute, on trouvera là même de quoi justifier un peu plus l’injustifiable, le grotesque projet de cette ligne à grande vitesse Poitiers-Limoges que l’on devrait bien prolonger jusqu’à Coussac-tout-le-
monde-descend pour y acheminer les Parigots ! Que n’entendra-t-on pas ?
Mais personne n’y croit. Tout le monde pense tout ça irréalisable. Et d’ailleurs cette pensée-là arrange bien tout le monde ; les gens en leur apathie naturelle, cette incrédulité les garde bien de réagir, de résister, de s’engager, de s’opposer.
Moi je sais que plus les projets sont aberrants, démentiels, incroyables, plus ils ont de chances de trouver un écho favorable et d’aboutir, parce que le temps qu’il nous est donné de vivre est voué à la folie, il est lui-même pris d’une sorte de folie, de vertige, où gigantisme et vitesse précipitent l’humanité vers sa fin.
Vous verrez que les pouvoirs publics donneront à ce fou ce que sa Belgique natale, plus raisonnable il faut croire, lui a refusé. On lui donnera du fric (notre fric, le nôtre!), on lui agrandira les routes, on lui goudronnera des hectares de parkings, on subventionnera ses instruments monstrueux, on lui offrira des vigiles, on l’aidera à faire de ce Coussac encore trop bourg rural mal dégrossi une véritable ville moderne en diable ! Vous verrez aussi que les Limousins ne bougeront pas, recevront ça comme une fatalité, une de plus. On est fataliste par nature et en plus, à force d’élever des veaux, ça a déteint, on est devenu des veaux, on rumine et c’est tout. Ensuite on vous conduit à l’abattoir... au parc d’attraction.
Seuls bougeront peut-être face à l’étranger, les étrangers, je veux dire ceux qui sont chez nous venus d’ailleurs parce que le pays leur plaisait et qu’ils tiennent à le garder comme il est, pour ce qu’il est, ambiguité comprise certes... Et moi, vieux type qui voudrais bien être tranquille à deux lieues à vol d’oiseau de Chauffaille, je vais devoir ajouter quelques couplets à la chanson que je fis il y a tout juste quarante ans contre la venue de l’armée sur cette terre que je souhaiterais nourricière tout simplement, au sens paysan du terme. On avait, à sa grande époque, forgé à Chauffaille, les meilleurs outils ! Mais les paysans, cherchez-les, si vous en trouverez un au milieu de ces agro-industriels !
Peut-être viendra-t-on me demander, comme dernier des Mohicans pour, en blouse et sabots, aller de ma vielle amuser la galerie contre quelques cacahuètes au pied des piano et autre violoncelle aussi dérisoires que colossaux.
Allons Limousins, faites-moi mentir, levez-vous contre cette folie dont la conséquence serait à l’évidence le saccage du site mais aussi le saccage du pays. Ne vous laissez pas prendre à ce énième miroir aux alouettes et ne soyez pas victimes, une fois de plus, de ce “’chabatz d’entrar“ dont on nous fait armoiries, dont on use et abuse et qui fait qu’en Limousin, c’est journée porte ouverte tous les jours que Dieu fait, on y entre comme dans un moulin, avec le grain le plus douteux !
Nous dirons au contraire à ce type ce qu’on dit traditionnellement aux indésirables: “M’enuiatz de res, mas avetz ‘qui vòstra cana e vòstre chapeu, la pòrta es darrier vos!“
Jan Dau Melhau, Royer de Meuzac (87)