Thierry Continsuzat rappelle souvent qu’il n’est pas historien. Pourtant, les connaissances qu’il a acquises sur cet événement historique longtemps méconnu sont extrêmement précieuses pour ceux qui s’intéressent à cette période. Il a entendu pour la première fois évoquer la présence des soldats russes à La Courtine et aux alentours, par sa grand-mère, âgée d’environ 7 ans en 1917. Elle se souvenait d’en avoir vus à Couffy-Soubre, à 6 km au sud-est du bourg, mendier du pain car ils étaient affamés et en avoir également vu se rendre aux troupes “loyalistes“. Thierry Continsuzat a ensuite glané des renseignements divers et plus ou moins précis auprès d’anciens, tous décédés aujourd’hui. Parmi ces témoignages, tous oraux, celui d’une vieille dame qui avait 16 ou 17 ans au moment des faits, était très précis. Elle n’avait pas obéi à l’ordre d’évacuation du village émanant du préfet de la Creuse et était restée dans sa maison proche du camp militaire, d’où elle voyait clairement la situation des mutins. Elle fut surprise par les coups de canon et aperçut les premières victimes. Cette personne, alors serveuse dans un magasin de La Courtine, a raconté les bons contacts qu’elle avait eus avec des soldats russes.
Thierry Continsuzat possède tout ce qui a pu être publié sur la révolte et notamment Une bataille au centre de la France de Pierre Poitevin (Limoges, 1934) qui reflète fidèlement le point de vue de l’état-major français, et les deux ouvrages de Rémi Adam : Histoire des soldats russes en France, 1915-1920 (L’Harmattan, 1996) et 1917, la révolte des soldats russes en France (Editions Les Bons Caractères, 2007). Rémi Adam privilégie le rôle des bolcheviques dans cette révolte, alors qu’il paraît plus vraisemblable, et c’est l’avis de Thierry Continsuzat, que la mutinerie était collective et spontanée, pas du tout téléguidée par les groupes politiques russes. La haine des nobles et des officiers tsaristes, le refus d’une guerre qui ne les concernait pas et la volonté de retourner au pays le plus vite possible, suffisent à expliquer l’ampleur du mouvement.
Thierry Continsuzat possède de nombreuses cartes postales, mais aussi des plaques photographiques provenant des archives abandonnées du photographe de La Courtine Simonnet, très actif dans le secteur au début du XXème siècle, puisqu’il organisa un congrès national des photographes à La Courtine. Les clichés montrent les bonnes relations entre les Russes et la population courtinoise : on en découvre qui participent aux travaux agricoles ou qui ont des idylles avec des jeunes filles du cru. Ils passaient aux yeux des habitants pour “de bons gars, parfois un peu alcoolos“ mais sûrement pas pour “les bolcheviques au couteau entre les dents“ que présentait la propagande des chefs militaires français, mus par une peur panique de la contagion de la révolte dans leurs troupes.
L’intérêt de Thierry Continsuzat pour ces événements a été sous-tendu par une curiosité pour leur contenu humain plutôt que par un quelconque a priori politique. La vie quotidienne de ces hommes, qui ont subi les horreurs de la guerre ainsi que le mépris et les brimades de leurs officiers à des milliers de kilomètres de leurs foyers ne peut qu’émouvoir et susciter une fraternelle compassion. Leur capacité à s’auto-organiser, leur aspiration à la paix et au retour dans leurs familles inspirent le respect.
La question du nombre des victimes de la répression est toujours sans réponse. Si le bilan officiel de 9 morts et 46 blessés est manifestement sous-estimé, Rémi Adam parle “d’en-deçà d’une centaine de victimes“, alors que Thierry Continsuzat pencherait pour 200 morts environ. Il espère toujours découvrir d’autres éléments tels que des documents écrits par les témoins de l’époque. En particulier il regrette de n’avoir pas pu accéder aux archives du curé Laliron qui avait vainement tenté d’amorcer une négociation entre le comité révolutionnaire russe et le général Comby qui dirigeait les troupes françaises.
Jean-François Pressicaud