George Orwell l’avait imaginé, ERDF, la filiale d’EDF pour la distribution d’électricité, l’a fait ! Le compteur Linky est bel et bien en capacité de savoir tout ce que vous faites chez vous à 10 minutes près (de 10 à 30 mn pour être précis). Il est capable d’une collecte massive de données à caractère personnel, dans un but d’évaluation et de limitation des consommations d’énergie, mais aussi de suivre ce que les membres d’un ménage font dans l’intimité de leurs maisons, s’ils sont en vacances (et pendant combien de temps) ou au travail, si l’un d’eux utilise un dispositif médical spécifique ou un moniteur pour bébé, comment ils aiment passer leur temps libre, de savoir combien de personnes vous hébergez au jour près etc. Ces données ne seront accessibles qu’a ERDF, le client n’aura accès qu’a un bilan mensuel, limitant de fait les conditions de maîtrise de l’énergie par le client que le distributeur tente de mettre en avant pour faire financer son déploiement.
Une plus large exploitation de ces données (marketing, publicité et discrimination de prix par des tiers) doit être envisagée. “Le profilage des consommateurs permettra de suivre bien plus que leur consommation d’énergie si des limites claires ne sont pas établies“, a estimé le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) rendant public son “avis sur la recommandation de la Commission relative à la préparation de l’introduction des systèmes intelligents de mesure”. Plusieurs journaux ont également dénoncé l’intrusion dans la vie privée permise par ce compteur, après la tenue à Madrid en novembre 2009 de la 31ème Conférence internationale de protection des données et de la vie privée. A cette occasion, Elias Quinn du Centre pour la sécurité énergétique et environnementale de l’Université du Colorado, a pointé le risque d’une tentation par les compagnies électriques de vendre les données collectées par les compteurs intelligents. “La vision instantanée de la consommation électrique s’apparente à une fenêtre ouverte sur le mode de vie de son utilisateur, constate t-il. Ne peut-on imaginer que des fabricants de somnifères soient intéressés par des clients allumant souvent leur lumière au milieu de la nuit ?“
Début janvier, en Allemagne, deux hackers ont démontré qu’il était possible d’intercepter les données transitant entre un compteur de nouvelle génération et la compagnie d’électricité. Selon The Hacker News, les deux hackers1 étaient en mesure, après avoir analysé les données, de connaître le nombre d’ordinateurs ou de téléviseurs dans la maison, le programme de télévision regardé, et si le film DVD en cours de lecture était protégé ou non par un copyright !
Certes, ce piratage ne porte pas sur un compteur linky, mais sur un compteur électrique intelligent d’origine allemande, rappelle le service de presse ERDF, qui gère le réseau électrique. Le protocole de communication utilisé par le Linky serait différent du modèle hacké par les pirates allemands. Mais rien n’arrête un hacker déterminé !
Depuis que le test grandeur nature a été lancé, Linky défraie régulièrement la chronique. Après avoir été pointé du doigt par la CNIL qui s’inquiète des risques de piratage et du manque de transparence d’ERDF sur les informations recueillies par ces nouveaux compteurs, Linky est la cible des phobiques des ondes. ERDF rappelle que Linky communique avec le concentrateur en n’émettant aucune onde de type Wi-Fi ou 3G puisqu’ il utilise la technologie CPL qui n’émet aucune onde radio. En France, des associations comme Robin des toits et Next-Up s’inquiètent des effets potentiellement nocifs sur la santé en raison des ondes émises par les nouveaux compteurs électriques. Certes, les technologies utilisées aux États-Unis et au Canada pour permettre la communication du compteur sont différentes de celles utilisées en France. “Aux États-Unis, précise Étienne Cendrier, porte-parole de Robin des toits, les nouveaux compteurs ne fonctionnent qu’avec des radiofréquences. En France, on va essentiellement passer par du CPL, c’est-à-dire du courant porteur en ligne.“ Les données émises par le compteur seront donc transportées via les lignes électriques existantes.
Mais la technologie CPL, qui superpose au courant électrique alternatif de 50 Hz (hertz) un signal à plus haute fréquence, n’est pas exempte de risques sanitaires car les câbles électriques actuels ne seraient pas aux normes CPL. “Les câbles du réseau électrique n’ont pas été conçus à l’origine pour transporter des signaux hautes fréquences, précise l’association Next-Up. Si ERDF veut déployer le Linky, elle doit installer des câbles blindés qui n’irradient pas de hautes fréquences.“ Autre solution alternative préconisée par Robin des toits : le raccordement du parc de compteurs actuels en filaire ou en fibre optique.
Les interventions (coupures, rétablissements, réglages) sont télécommandées depuis un central, réduisant d’autant les contacts avec les clients. Les données transitent du compteur installé chez les clients vers des concentrateurs qui centralisent les données, grâce aux câbles électriques avant d’être transmises au fournisseur d’énergie. Ce dernier peut donc relever à distance, automatiquement et en temps réel la consommation d’énergie sans recourir au déplacement d’un agent. ERDF se réjouit de cette future “révolution technologique“. Les syndicats ne partagent pas cet enthousiasme. La CGT évoque “une catastrophe économique“ : la disparition programmée des techniciens EDF. “Ce compteur va aussi remplacer l’intervention clientèle, alerte Guy Habai, de la CGT Mines Énergie d’Annecy. Avec les départs à la retraite non remplacés, nous descendrons à moins de 1200 techniciens d’ici 2020. Aujourd’hui, nous sommes six fois plus !“
Notre puissance Kw réelle disponible va diminuer avec Linky... forçant certains à devoir prendre un abonnement dans la tranche supérieure... voire même de devoir passer au triphasé.
Explication : Prenons le cas d’un abonnement de 9 kw, avec un disjoncteur différentiel réglé à 45 ampères. Si on dépasse 45 ampères, c’est le disjoncteur qui fait actuellement disjoncter l’installation, avec Linky ça ne sera plus le disjoncteur qui fera “disjoncter“, mais le compteur lui-même. Il “disjonctera“ non pas à 45 ampères, mais à 9 kw ! 45 ampères ne font pas 9 kw mais 10,35 kw (45 A x 230 v). Actuellement on peut donc utiliser 10,35 kw avant que le disjoncteur ne saute. Avec Linky, l’installation coupera à 9 kw précis !... C’est-à-dire à 39 ampères (9000 w / 230). Comme souvent l’installation est juste en puissance, on sera très certainement obligé de prendre l’abonnement supplémentaire à 12 kw... c’est-à-dire 52 ampères !
Avec cette nouveauté technologique, c’est la réorganisation de la distribution d’électricité qui est en jeu, le distributeur ayant fait naître chez les propriétaires du réseau (les collectivités locales) des velléités de reprise de la gestion du réseau, ces dernières ayant bien compris les enjeux de maîtrise des futures “smart grid“2 et surtout les gains en matière de péage que ceux ci pourront engendrer.
Michel Bernard