Les mots “développement durable“, “environnement“ et “gestion multifonctionnelle des forêts“ accompagnent systématiquement les dispositions économiques et industrielles visant à augmenter la mobilisation du bois. Le projet de loi semble afficher pour ambition de conjuguer performance économique et performance environnementale. Pourtant, en analysant plus finement le texte, nous pouvons constater que l’accroissement de la mobilisation de la ressource et l’industrialisation de la forêt font l’objet de mesures très précises, alors que la biodiversité et la préservation du capital forestier français ne sont traitées que par des mots dépourvus d’effets concrets.
Ce postulat, issu d’études contestables et contestées de l’IFN (Institut Forestier National), a fait dire à Nicolas Sarkozy en 2009 qu’il fallait couper 40 % de bois en plus. Mais la situation est beaucoup plus complexe et contrastée en fonction des territoires. Si l’on constate bien une augmentation de la surface forestière, la France a un taux de bois sur pied parmi les plus faibles d’Europe !
On s’aperçoit que l’exploitation prématurée de la ressource (arbres de 30 ans) dans les massifs les plus rentables, comme dans le Morvan ou le plateau de Millevaches, ne permet plus d’assurer le maintien du capital forestier. Cette situation crée une dette sur la ressource future qui sera assez rapidement très dommageable économiquement et écologiquement. Les coupes à blanc de feuillus remplacés par des monocultures de résineux, se développent et aggravent la situation. La loi n’apporte pas d’amélioration sur ces points alors que la législation actuelle ne suffit plus.
Les monocultures de résineux introduites sont souvent exploitées jeunes par des coupes à blanc et à l’aide de machines de plus en plus grosses. Ce mode d’exploitation est destructeur pour l’environnement et dégrade la biodiversité, il nécessite des travaux de reboisement lourds et génère des emplois peu qualifiés. Il est considéré comme rentable sur les délais de retours sur investissement des placements financiers – du moins en cas d’aides publiques au reboisement – mais n’est économiquement pas justifié sur le long terme. Ce mode d’exploitation appauvrit et acidifie les sols1 ainsi que l’eau. Il augmente l’érosion et les risques d’inondation en aval et peut charger les eaux de surface en nitrates du fait de l’explosion de l’activité bactérienne suivant la mise en lumière du sol. Les machines lourdes tassent les sols et la coupe déstocke massivement le carbone, aggravant le dérèglement climatique. La baisse de qualité des sols nécessitera l’usage d’intrants polluants pour les sols et l’eau. Cette technique est contraire aux préconisations d’adaptation au changement climatique, qui visent à augmenter la diversité des essences. Et c’est exactement le contraire qui est mis en œuvre, particulièrement lorsqu’on remplace les forêts de feuillus diversifiées par le seul douglas. Par ailleurs les monocultures de résineux sont les plus sensibles aux attaques parasitaires et aux vents violents2, dont la fréquence augmente3. Enfin, la forêt “gérée“ en coupe rase est visuellement peu attractive donc défavorable aux activités de loisirs et de tourisme. Cette technique contraire à l’intérêt général devrait être proscrite sauf pour quelques cas particuliers.
Il est pourtant difficile de reprocher aux entreprises privées de faire ce pourquoi elles sont conçues dans un système libéral : faire des bénéfices dans un délai qui satisfasse les actionnaires. On pourrait toutefois leur reprocher de prendre beaucoup de risques en misant tout sur une seule essence, le douglas, et sur un seul modèle industriel qui ne scie que des petits diamètres. Le temps de l’entreprise n’étant pas le même que celui de l’arbre, c’est un devoir de l’État de fixer des règles.
Le nombre des projets est en lui-même un problème. Si Erscia est une caricature en terme d’approvisionnement, le nombre de ces très gros projets est devenu un problème européen. Des projets industriels d’énergie bois, attirés par les subventions, fleurissent un peu partout et mettent en péril la ressource à court terme. Bien souvent les schémas d’approvisionnement se chevauchent sans aucune concertation comme Erscia en Bourgogne et E-ON à Gardanne qui visent (entre autre) le Limousin ou d’autres sont déjà implantés... Une régulation nationale est indispensable.
Pourtant, les solutions permettant une performance économique et environnementale existent, en particulier par la pratique de la forêt mélangée en futaie irrégulière. Elle conjugue préservation de la biodiversité, de l’emploi, des paysages et du savoir-faire des forestiers. Elle permet de produire régulièrement de gros bois de qualité, d’alimenter régulièrement la filière bois et d’éviter le fameux trou de production qui mettra au chômage une bonne partie des installations mises en activité actuellement à grands frais de subventions. Elle préserve aussi la multifonctionnalité de la forêt.
Sans une régulation de l’État, la destruction des forêts de feuillus, la monoculture de douglas et les coupes à blanc conjuguées aux trop nombreux très gros projets industriels détruiront la forêt en 15 ans. La loi débattue est donc cruciale, mais elle est actuellement bien loin de répondre aux enjeux du futur. SOS forêt a entrepris d’interpeller les parlementaires pour faire évoluer le projet de loi et obtenu des avancées intéressantes au sénat, mais partiellement annulées par les députés ! Vous pouvez nous aider en vous rendant sur le site de SOS forêt France (www.sosforet.org) pour consulter l’ensemble de notre analyse et de nos propositions interpeller vos élus et signer notre pétition.
Régis Lindeperg