Le rapport 2015 de la Fondation Abbé Pierre indique que 3,8 millions de personnes sont mal logées, dont 900 000 sont privées de logement personnel. Comme la plupart du temps, dès qu'on parle de mal logement, c'est “la construction de 500 000 logements par an“ (promesse non tenue de François Hollande) qui est invoquée. Comme s'il ne pouvait pas y avoir d'autres pistes, notamment en s'interrogeant sur l'utilisation des logements et des bâtiments peu ou pas utilisés... Mais non ! Tandis que les inquiétudes grandissent sur le danger que représente le manque de terres agricoles, on préconise de recouvrir encore plus le sol avec de nouveaux bâtiments.
Belle fuite en avant digne de notre système ! La valeur “égalité“ accolée à “République française“ a-t-elle seulement existé un jour ? D'un côté, ceux qui ont les moyens d'être propriétaires de un, deux logements (voire plus). De l'autre, ceux qui ne le seront jamais. Comme si la définition de l'égalité était : chacun fait ce qu'il veut, dès lors qu'il en a les moyens. En fait, nous sommes assez proches de la définition du libéralisme. La conscience collective, le souci d'autrui se résument au mieux à louer sa résidence secondaire les mois où elle est inoccupée… ce qui est bien sûr très pratique pour le locataire qui doit quitter son logement en juin et ne peut aucunement se projeter. Et qui remet encore de l'argent dans la poche de celui qui en a déjà… Ce qui colle assez bien, finalement, avec le capitalisme !
Dans une perspective collective du monde, comme devrait à priori l'être toute personne pensant ses valeurs comme “plutôt de gauche“ (et je dirais même, comme devrait l'être toute personne !), le souci de l'impact de ses propres actions ne doit-il pas être en permanence réfléchi ? Chaque action, tel qu'un achat, engendre automatiquement un impact plus ou moins important sur une partie du monde. Il est absolument illusoire de prétendre qu'un acte de consommation ne concerne que le consommateur lui-même. Ainsi, l'achat ou la conservation d'une maison de vacances, “maison de famille“ ou autre, ne devrait t-il pas être pensé en rapport avec ses effets collatéraux ? L'augmentation du prix du foncier, le blocage ou la limitation d'une réinstallation de l'économie locale et durable dans nos campagnes limousines ne sont-ils pas des effets logiquement induits par ce type de pratique ? Il semble que le sujet soit tabou. À creuser un peu, on se rend compte qu'en touchant au sujet des résidences secondaires, on ne peut éviter la question de la répartition des richesses, qui semble elle-même de plus en plus inégale, en France (et dans le monde encore plus). On en arrive donc de fait à : pourquoi certains ont-ils plus que d'autres ? Ou, pire, mais tristement vrai : pourquoi certains ont-ils trop quand d'autres n'ont pas assez ? Et la réponse fréquente de la personne de 60-70 ans (“Ils ont travaillé dur, ils l'ont mérité“) est bien vite à évacuer, car il est évident que la question n'est pas là (il est question ici d'interroger une pratique, plus que des individus en eux-mêmes. Si beaucoup de résidents secondaires peuvent être très aimables, cela n'empêche pas de critiquer l'acte en soi).
Toucher, en d'autres termes s'attaquer aux résidences secondaires, c'est s'en prendre directement aux inégalités qui régissent le monde, c'est s'en prendre à l'injustice, c'est s'en prendre à la misère que l'on ignore qui côtoie les palaces et le luxe. Toucher à cela, c'est toucher à la tranquillité matérielle d'une partie de la population qui, souvent, refuse de regarder la réalité de celle qui a eu moins de chance qu'elle. Parler de tout ça, c'est imaginer, peut-être, que certains pourraient auto-limiter leur consommation et leur patrimoine pour permettre à d'autres d'avoir une vie plus décente. L'utopie totale, quoi…
Damien Rotureau