Une large zone du Plateau a connu une activité d’exploitation de l’uranium entre la fin des années 1950 et la fin des années 1980, sur les sites d’Hyverneresse (Gioux et Croze), du Boucheron (Davignac), du Longy (Millevaches), de La Bréjade (Meyrignac l’Eglise), de La Barrière (Darnetz) ou du Jacquet (Davignac), qui ont généré la production de 692 tonnes d’uranium1. Cette contribution passe en vérité presque inaperçue dans le contexte limousin, plus grosse région uranifère de France, qui a généré en 50 ans d’exploitation 30 000 tonnes d’uranium (soit 40 % de la production française). L’année 1989 marque donc la fin d’une discrète histoire, qui s’est déroulée sans opposition des populations. La localisation des sites miniers sur des terrains à faibles enjeux agricoles et l’absence d’usines de traitement ou de stockage de déchets radioactifs (concentrées dans le secteur de Bessines-sur-Gartempe) ont contribué à l’oubli progressif de cette histoire locale. Mais 1989 marque aussi le début d’une autre histoire de l’atome sur le Plateau, plus militante et en phase avec un contexte nouveau de contestation du nucléaire en France.
La production d’électricité d’origine nucléaire génère des quantités importantes de déchets très dangereux et à vie très longue (plusieurs millions d’années) dont la filière n’a pas à l’origine prévu la gestion. L’Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA) est créée en 1979 afin de concevoir des modes de stockages de ces déchets, autres que l’immersion dans les océans, pratiquée en 1967 et 1969... Elle entreprend ainsi à la fin des années 1980 des recherches pour un stockage en couches géologiques profondes et étudie sa faisabilité en terrain argileux et en terrain granitique. Les populations du Plateau découvrent ainsi que l’ANDRA réalise en toute discrétion des forages de 1000 m de profondeur sur la commune d’Auriat (des recherches similaires sont également entreprises en Limousin à Saint-Goussaud, Chatelus-le-Marcheix et Saint-Yrieix-la-Perche). L’association ADEMAU (Association de Défense des Monts d’Auriat) se mobilise avec les élus locaux. Le 8 décembre 1990, 300 manifestants rebouchent les forages d’Auriat pour manifester contre ces recherches2. Ces combats locaux vont pousser le législateur à encadrer ces recherches par la loi du 30 décembre 1991 “relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs“ qui tout en actant la construction de plusieurs laboratoires de recherche en milieux géologiques différents, reconnaît la nécessité d’une concertation locale avec les élus et les populations.
Ce n’est que dix ans plus tard que le sujet du stockage souterrain des déchets nucléaires refait surface. Le 27 janvier 2000, le Réseau Sortir du Nucléaire publie la liste confidentielle des 15 sites français convoités par l’ANDRA. Deux de ces quinze sites concernent le Plateau3 : Auriat et Crocq en Creuse. L’expérience du laboratoire autorisé en 1999 pour la “recherche“ en milieu argileux à Bure (Meuse), ne laisse planer aucun doute : le laboratoire construit pour la recherche se transformera inévitablement en site de stockage de déchets nucléaires4. La mobilisation associative et citoyenne est importante autour notamment de l’association Oui à l’Avenir, à Crocq. Elle est très largement soutenue par les élus locaux et régionaux et aboutira à l’abandon par l’ANDRA de l’option granite. Ces 25 ans de combats contre le projet de stockage de déchets nucléaires dangereux, ancré dans un contexte minier d’uranium, ont généré un réseau associatif solide et compétent et des élus davantage éclairés sur les méthodes du monde du nucléaire français5. Le tissus social du Plateau était prêt à prendre en charge un nouveau dossier, celui de l’après-mines d’uranium.
Les taux de gaz radon – présent à l’état naturel mais également produit par l’extraction d’uranium – dépassent le seuil d’alerte dans des écoles maternelles à Bessines en 1991, à Limoges en 1997 et chez des particuliers habitant à proximité des mines. Des associations régionales limousines comme Limousin Nature Environnement et Sources et Rivières du Limousin (SRL) soulèvent alors le problème des pollutions environnementales liées à la gestion de l’après-mines. À partir de 1993, on découvre dans des rapports accablants, notamment du laboratoire indépendante CRIIRAD6, que certains cours d’eau et plans d’eau, mais aussi des cours de fermes et chemins publics à proximité des anciens sites miniers, sont pollués à des doses parfois dangereuses pour la santé publique. Face à l’absence de réactions des pouvoirs publics, SRL saisit un juge d’instruction en 1999 qui décide en 2005 le renvoi de la société AREVA devant le Tribunal correctionnel de Limoges pour “pollutions“ et “abandon de déchets“. Si la société AREVA a finalement été relaxée sur le plan pénal, le procès a permis de confirmer les pollutions environnementales, a révélé les failles de la gestion de l’après-mines d’uranium en France et a très fortement mis en cause l’inaction de l’État. Les ministères de l’Environnement, de l’Industrie et de la Santé décident en novembre 2005 dans la foulée du procès AREVA de créer un “groupe d’expertise pluraliste“ (GEP). Sa mission : “formuler des recommandations visant à réduire les impacts des sites miniers sur les populations et l’environnement et proposer des perspectives de gestion des sites à plus ou moins long terme“. Le Limousin devient le laboratoire français de la gestion de l’après-mines d’Uranium. Ce GEP rendra son rapport en 2010, ouvrant un chantier de très long terme pour la réhabilitation correcte des anciens sites miniers et la prévention des pollutions7.
L’État a ainsi commencé par prescrire à la société AREVA des bilans de fonctionnement de ses anciens sites miniers sur les 10 dernières années. Ces bilans ont été critiqués par les associations locales, qui ont publié des contre-bilans dénonçant les erreurs et mensonges de la société AREVA dans son auto-contrôle8. Suite à ces différents rapports, des circulaires et instructions ministérielles encadrent aujourd’hui la recherche et le traitement des pollutions issues de réhabilitations insuffisantes des anciens sites miniers9. Des textes plus robustes sont attendus mais peinent à voir le jour face à la situation financière désastreuse de la société AREVA...
C’est dans ce contexte que la société AREVA a notamment entrepris de rechercher les sites de réemploi de certains déchets miniers radioactifs. Plusieurs zones en dehors des anciens sites miniers ont ainsi été repérés et doivent être aujourd’hui dépollués10. Par soucis de simplicité et d’économie, la société AREVA prévoit de stocker les déchets issus de ces dépollutions radiologiques sur l’ancien site minier du Longy (commune de Millevaches, à quelques centaines de mètre de la nouvelle maison du Parc naturel régional). Comme une histoire sans fin, les associations du plateau se remobilisent (autour de la nouvelle association La Loutre Fluorescente) pour exiger une gestion ambitieuse de la dépollution de l’environnement, une gestion à long terme des anciens sites miniers et un stockage des déchets miniers dans des installations aux normes environnementales.
Aujourd’hui démarre une autre histoire...
Antoine Gatet