Paul Rebeyrolle (Eymoutiers, Haute-Vienne, 1916 – Boudreville, Côte d’Or, 2005) : peintre français. Son œuvre exprime, dans l’éloquence du travail de la matière picturale, un rapport généreux à la nature. Musée à Eymoutiers.
Georges Guingouin (Magnac-Laval, Haute-Vienne, 1913 – Troyes 2005) : homme politique et résistant français. Instituteur, membre du parti communiste, il commença dès la défaite de 1940 à diffuser des tracts anti-allemands, puis fonda, en 1941, les premiers camps de FTP en Haute-Vienne. Fourni en armes par les Alliés, le maquis limousin, qui comptait alors quelque 14 000 membres, s’empara de Limoges le 21 août 1944. Georges Guingouin fut maire de Limoges de 1945 à 1947 puis reprit ses fonctions d’instituteur.
Armand Gatti (Monaco 1924), homme de théâtre français. Journaliste à ses débuts et cinéaste, auteur de pièces politiques, il place le thème du langage au cœur d’une œuvre à l’écriture poétique.
Ainsi nos trois personnages sont-ils présentés dans le Larousse... Les définitions sont lapidaires mais disent l’essentiel. Elles ignorent cependant qu’entre ces trois hommes des liens se sont tissés qui passent tous par... le plateau de Millevaches.
En 1987 Rebeyrolle entreprend une toile gigantesque (5,30m sur 5m) en hommage à son ami Guingouin, qui le jour de l’appel du Général de Gaulle entra en résistance, caché dans le maquis limousin pendant deux ans. Tel le Cyclope qui forgeait, dans un trou, les foudres de Zeus, Guingouin forgea une armée de 10 000 hommes pour combattre l’occupant et libérer Limoges. Jean-Paul Fouché, qui a analysé la toile, explique : “L’homme Guingouin a tenu bon, aussi est-il, à sa manière, un titan. Il est devenu un mythe, héros d’un grand récit exemplaire d’une nouvelle origine. Avant le moment de grâce où, à la Libération, la multitude reconnut le résistant, il lui aura fallu vivre la sortie du trou. Rebeyrolle peint ce moment décisif.“ Guingouin qui sort de son trou sous l’allure d’un cyclope, ce n’est pas qu’une métaphore. Les résistants qui se cachaient dans les fermes et les forêts du Plateau vivaient littéralement dans des trous creusés dans les bois.
Il y a un autre trou dont il reste encore la forme vaguement creusée dans la mousse de la forêt de la Berbeyrolle, sur la commune de Tarnac. Ce trou-là, c’est celui dans lequel s’est caché un jeune monégasque de 18 ans venu rejoindre le maquis en 1942 : Dante Armand Gatti. Il y croisera Lo Grand (l’un des cinq surnoms de Guingouin) mais se fera arrêter par les gendarmes corréziens. Il proclame que c’est là, sur le Plateau, qu’il a effectué sa seconde naissance. La plus importante. Après une vie mouvementée qui le mène, enquêtes journalistiques ou aventures théâtrales aidant, aux quatre coins du monde, c’est là qu’il revient à 80 ans bien sonnés. Invité par le cercle Gramsci de Limoges il arrive un jour d’automne 2005 en vue d’une lecture organisée dans la salle des fêtes de Gentioux. Francis Juchereau qui a suivi toute cette histoire en acteur et en quasi-historiographe a raconté cette journée : “Limoges, matin du 29 octobre 2005 : Georges Guingouin est mort depuis quelques heures ; Gatti descend du train et apprend la nouvelle sur le quai de la gare.Coïncidence extraordinaire avec un retour; une émotion indicible l’envahit (...) Raoul [autre surnom de Guingouin] est mort. Dans le même temps, Gatti s’en va faire une lecture publique sur le plateau de Millevaches (...) Plus tard, Gatti tombe dans les bras de Jeannot, son chef de groupe dans la Résistance : “Se revoir ici, à l’heure de la mort du Chêne !“ (troisième surnom de Guingouin que les aviateurs anglais appelaient aussi Bootstrap et d’autres l’Orage).
Du coup, Gatti prend la plume. Il revient sur le Plateau un an plus tard, avec un poème de 80 pages en hommage à Guingouin. C’est son Cyclope à lui. Comme toujours chez Gatti, il a un titre improbable à rallonge : “Les cinq noms de Résistance de Georges Guingouin, poème rendu impossible par les mots du langage politique qui le hantent mais dont les arbres de la forêt de la Berbeyrolle maintiennent le combat“. Et c’est à la Berbeyrolle justement, sous la pluie battante qui cingle la toile tendu d’un tunnel agricole, que Gatti, vibrant et exalté, déclame son hommage au résistant devant quelques 200 spectateurs : anciens des maquis, paysans corréziens, néos de toutes les générations. Certains y retrouvent leur poète, la plupart le découvrent. Lui aussi, se disent certains, est un fou dans la forêt – c’est ce qu’on disait de Guingouin du temps des premiers maquis.
Quelques temps plus tard c’est à l’Espace Rebeyrolle, devant le Cyclope, que Gatti revient lire un autre de ses longs poème-fleuve, celui consacré à son père. Rebeyrolle est mort la même année que Guingouin. Unité de lieu. C’est comme si, à travers Gatti, les trois monstres sacrés se retrouvaient ce soir là dans la vaste salle de l’Espace Rebeyrolle (notre photo). Leurs trois noms et leurs épopées racontées, parfois magnifiées, ont contribué à l’image d’une Montagne mythique où se retrouveraient résistants de tous les âges et de toutes les causes, personnages hauts en couleurs et grandes pointures dans leurs domaines, une Montagne que Gatti dans son poème à Guingouin ne cesse de décrire, à sa manière érudite et onirique :
“Corrèze, Vézère,
Creuse, Vienne,
Sur le plateau aux Mille Sources
le mont Bessou
et le Puy pendu
devenaient à chaque tombée de la nuit deux points d’interrogation.
Interrogations qui s’étendent à toute la terre limousine.
Les mots des villes et ceux des campagnes
ne pouvaient plus se référer aux unijambismes des lois républicaines.
Les grammaires qui leur étaient habituellement soumises ne s’inventaient plus qu’en une mêlée de tocsins contradictoires.
Les mots d’ordre politique n’étaient plus que des louchants derrière des lunettes mal ajustées qui s’inventaient « prise de pouvoir ».
Bleu, blanc, rouge se retrouvaient en cendres
autour des feux de l’armistice.
Gauche et droite ne s’affrontaient plus que dans les carrefours sursaturés d’interdits.“
Allez y trouver des messages pour aujourd’hui! Nos monstres sacrés, qui prennent parfois ici l’allure de vaches sacrées, valent le détour.
Non, pas le détour. Le voyage.
Michel Lulek
Extrait d’un entretien paru dans IPNS n°3 (Octobre 2002).