Renchérissement du coût de l’énergie, forte dépendance à la voiture, concentration des activités et des services dans les pôles urbains, faible niveau d’autonomie des espaces ruraux, concurrences entre territoires …
Les motifs de nous interroger sur notre capacité à vivre, demain, dans des territoires de faible densité comme le plateau de Millevaches ne manquent pas, et il y a parfois plus de raisons de douter que d’espérer lorsque l’on tente de dessiner les contours de notre avenir.
Etrange paradoxe, au demeurant, que de s’interroger ainsi alors que l’attractivité de la montagne limousine, ou tout du moins de certaines de ces parties, est avérée tant sur le plan démographique qu’en terme d’émergence de nouvelles activités, de nouveaux modes de travail ou encore de nouvelles formes d’habiter (cf. étude de l’Université de Limoges dont nous nous sommes faits l’écho dans le n° 37 d’IPNS).
Dans l’exercice prospectif auquel elle s’est livrée, la DATAR a d’ailleurs le mérite de ne pas se borner à un seul horizon et de dessiner une mosaïque d’avenirs possibles en extrapolant des faits ou des tendances déjà à l’œuvre
Si elles ne se ressemblent pas, et pour certaines postulent des horizons “grinçants“, les histoires proposées par la DATAR ont en commun un point de départ : le déclin consacré de l’Etat, entendu comme puissance régulatrice, garante et incarnation du collectif. Détail ? Peut-être, même si, à raison ou par malice, on peut y voir la manifestation d’un dogme contemporain qui voit dans l’Etat la cause majeure de tous les dysfonctionnements et prône par conséquent son effacement.
Cela dit, admettons ce postulat de départ et l’intéressante question qui en découle : comment penser le devenir des espaces de la faible densité dans un contexte d’appauvrissement des mécanismes de régulation ?
Dans un contexte de repli de la puissance publique sur les villes et leurs périphéries, les espaces de la faible densité ont été abandonnés à des firmes privées extérieures au territoire, qui les gèrent et les exploitent à des fins de production alimentaire ou énergétique (biomasse, éolien…).
A ces fonctions productives s’ajoutent des fonctions de protection, avec la création de “sanctuaires de nature“.
Cela ne vous rappelle rien ? Gestion de la forêt par des donneurs d’ordre extérieurs au plateau, spéculations du schéma régional d’aménagement sur le plateau “espace ressource“… Autant dire qu’à l’aune de ce scénario, le plateau a perdu son statut d’espace de vie.
… ou la disparition du rural comme figure à part entière.
Dans une société totalement urbanisée, la dérégulation poussée à son terme a entraîné la disparition des politiques de développement rural et de maîtrise de l’espace. Garantis par un certain maillage de transports collectifs et le développement de systèmes de transport partagé, les processus d’étalement de l’habitat et des activités jouent donc à plein, confinant la faible densité à quelques poches résiduelles peu ou prou abandonnées à leur sort. Nul besoin d’être grand clerc pour deviner où se situerait le plateau …
Si ce scénario consacre l’existence du rural, c’est pour le cantonner à une fonction utilitaire au profit des espaces urbains. La faible densité est en effet ici une ressource rare à préserver dans une société profondément urbanisée, un “pilier indispensable à son ressourcement alimentaire, physique, symbolique“. Production de services environnementaux, productions agricoles labellisées, agritourisme... La campagne est certes vivante et valorisée dans ce schéma que la DATAR qualifie de co-construit dans la relation ville-campagne… Difficile pourtant de ne pas y voir un lien de subordination, la campagne étant volontairement ou non instrumentalisée par une ville qui en fixe les usages. Comme si la quête même d’une égalité des territoires relevait dorénavant de l’utopie.
Dans ce scénario, le repli de l’Etat s’est accompagné de l’émergence d’élus et d’acteurs locaux volontaristes, porteurs de stratégies de développement axées sur l’accueil d’actifs et de projets, la valorisation des ressources et avantages locaux, l’innovation économique et sociale avec la création de filières locales, “notamment sous la forme de structures coopératives“. Fortement intégrés au niveau local, les espaces de la faible densité qui réussissent sont aussi en situation de concurrence les uns vis-à-vis des autres, au détriment d’une approche collaborative d’ensemble et d’une logique de péréquation.
Un air de “déjà vu“ sur la Montagne limousine, non ? Et pourtant, ce n’est pas ce scénario qui vaut au plateau les honneurs de la DATAR mais bien le suivant.
Libéralisation complète des marchés, affaiblissement des règles de contrôle, principes d’égalité et de cohésion territoriale abandonnés, retrait des politiques publiques locales ont abouti à l’émergence d’espaces délaissés et de phénomènes de décohésion sociale.
Dans ce contexte, des groupes s’isolent dans les espaces de faible densité, volontairement ou non et s’organisent sur un mode communautaire. Les plus riches, pour y créer des formes d’entre-soi sécurisées ; les plus pauvres y subissant des formes de relégation. Certains, enfin, pour y expérimenter des modes de vie alternatifs, à rebours de l’économie de marché.
Dans cette société fragmentée, la production est tournée vers la satisfaction des besoins locaux, cette recherche d’autonomie nécessitant une “assez forte dimension d’innovation sociale et technique“ : réorganisation des formes d’habitat (hameaux et fermes communautaires, habitat nomade et temporaire), création de services (écoles privées, covoiturage, système de distribution de biens …).
Si l’exercice qui consiste à identifier des scénarii-type conduit bien entendu à grossir le trait, force est de reconnaître que ce scénario ne laisse pas de marbre quand on connaît les évolutions en cours sur la Montagne limousine. Surtout, il force à passer les choix, les projets (collège associatif, nouvelles utopies communautaires…) au crible de questions certes anciennes, mais toujours d’actualité. Comment, par exemple, articuler une critique radicale de l’Etat et des formes instituées de la gouvernance, sans pour autant verser dans l’entre-soi et le communautarisme ?
Ce n’est peut-être pas un hasard, en tous cas, si la DATAR a choisi la montagne limousine comme cadre à sa fiction illustrant ce scénario