La définition officielle de la pauvreté est pécuniaire et statistique : il s’agit d’un seuil de revenu, calculé de plusieurs façons : le “seuil absolu“ définit la somme qui permet de se procurer dans un pays donné un “panier“ de denrées et de services estimés indispensables à la survie. C’est le mode de calcul de l’OMS et des États-Unis. Le “seuil relatif“, quant à lui, est un pourcentage du revenu médian du pays. C’est le mode de calcul en France et en Europe.
En France, le revenu médian1 en 2007 était de 1500 € (net d’impôts et avec aides éventuelles) et le seuil de pauvreté est calculé sur la base de 60% de ce revenu soit 908 € pour une personne seule. On évaluait en 2007 à 8 millions le nombre de personnes en France vivant sous ce seuil, soit 1 français sur 8. On définit également un seuil d’extrême pauvreté à 40% du revenu médian soit 602 € par mois.
Ces modes de calculs ont leur importance car si le calcul en valeur absolue donne une évaluation de la “pauvreté absolue“ d’un pays, le mode de calcul relatif dépend lui des niveaux d’inégalités du pays : un pays très pauvre mais très égalitaire aura peu de personnes en dessous du seuil de pauvreté.
De plus ces calculs ne tiennent pas compte des différences de niveaux de vie à l’intérieur du pays (vivre avec 900 € à Paris n’est pas tout à fait pareil qu’à Pontarion). Par ailleurs les échanges non-monétaires, les économies de subsistance (cultures vivrières, potagers) et l’accès aux services publics (santé, transports, etc.) ne sont pas pris en compte.
Ces calculs sont donc très arbitraires mais permettent tout de même de suivre des évolutions et de faire des comparaisons entre pays.
Dominique Alasseur
Pauvreté n’est pas misère, même si les deux peuvent être cause et conséquence l’une de l’autre. La misère est aussi relationnelle, intellectuelle, psychique, tandis que la pauvreté n’est pas vécue de la même façon selon qu’elle est choisie, accidentelle, passagère, héritée ou subie...
Nous avons tous besoin de nous sentir enracinés dans une communauté avec qui nous partageons valeurs et culture, avec qui la solidarité peut s’exercer. C’est (c’était ?) le cas des communautés rurales, de certains quartiers dotés d’une histoire. Quand on parlait encore de lutte de classe, appartenir au prolétariat apportait ce sentiment d’appartenance et permettait l’espérance, même si la vie était dure. A l’opposé, l’exclusion résulte de la perte des liens sociaux et elle fait peur en ce qu’elle signe le rejet par le groupe et la désaffiliation. Ainsi un nombre de plus en plus important de Français redoute de “tomber“ dans la pauvreté. Cette peur génère plus de fuite que de solidarité, et ce d’autant que bien souvent l’isolement vient petit à petit émousser les centres d’intérêt communs qui existaient auparavant. L’exclusion engendre ainsi l’exclusion.
De plus, pauvreté et misère ont des conséquences tant sur le plan physique que mental. Être mal logé, mal nourri, mal soigné, parfois mal vétu n’abîme pas seulement le corps. Cela altére aussi l’image que l’on renvoie aux autres, dégrade l’estime de soi et l’espérance en l’avenir... On peut alors voir des modifications comportementales : attitudes de repli, mais aussi agressivité, irritabilité, intolérance aux frustations...
Dans les cas de grande précarité, la nécessité de la survie amène à des conduites basées sur l’immédiateté et l’incapacité à se projeter dans un avenir... La pensée s’appauvrit et les émotions s’émoussent. Les toxiques, licites ou non, contribuent à l’anesthésie d’une souffrance qui a d’autant plus de mal à se dire que la parole a été souvent entravée depuis l’enfance. Plus encore que la pauvreté, la misére et l’exclusion peuvent être considérées comme une maladie sociale qui s’hérite. Mais l’origine ne saurait être attribuée aux seuls individus.
Dominique Alasseur
Pour l’appareil statistique de l’État, onze millions de ruraux habitent, vivent et travaillent sur ces territoires. Soit 18 % de la population nationale pour assurer l’entretien et la gestion de 60 % du territoire national. Ou selon l’occupation de l’espace : 35 habitants au km2 pour 225 dans les zones urbaines. Avant de déployer son catalogue de recommandations le rapport présente les caractéristiques de cette pauvreté rurale. Les conditions de la précarité rurale sont beaucoup plus lourdes qu’on ne le perçoit généralement. Une pauvreté discrète et peu visible dans une grande diversité d’âges, de statuts et de modes de vie. Enfin pour fonder la solidarité les enquêteurs retiennent la trop grande fragilité des administrations et des collectivités publiques pour animer les dynamiques locales.
Premier facteur, le faible taux d’emplois et de qualification. Si depuis une décennie la population rurale se stabilise, par contre les activités et les emplois se concentrent dans les zones urbaines et surtout périurbaines, au détriment du rural. Les activités industrielles encore présentes dans les campagnes et souvent très anciennes requièrent le plus souvent un faible niveau de qualification. De plus la population ouvrière résidant à la campagne et travaillant en ville est aussi peu qualifiée. L’absence de cadres et d’emplois à haute qualification est une autre marque de cette précarité.
Second facteur, la baisse drastique des emplois du secteur agricole, dont le mouvement s’accélère depuis quelques années. Il est lié à la réduction du nombre d’exploitations et l’accroissement de leur surface moyenne à l’occasion du départ en retraite des agriculteurs. La faiblesse des retraites agricoles fait basculer un bon nombre d’entre eux dans les revenus de pauvreté. Dans les départements visités c’est en Creuse où le secteur agricole contribue le plus aux difficultés de l’économie locale.
Troisième facteur, les privations dues à la situation rurale. Les conditions de vie et les modes de consommation des ruraux ne différent en rien de ceux des urbains. Mais les difficultés d’accès à certains équipements et services pénalisent les ruraux en raison de leur coût en temps et en mobilité. Ces manques sont ressentis particulièrement dans les domaines de la santé et des services sociaux pour tous, et dans ceux de l’éducation et des loisirs pour les jeunes.
Quatrième facteur, des logements à la traine du progrès. Dans la France rurale la majorité des logements ruraux sont occupés par leurs propriétaires. Et le faible parc locatif public ou privé est le plus souvent le refuge des ménages à faibles revenus. La vague de modernisation de cet habitat est venue tardivement et demeure plus que médiocre. Plus des deux tiers des “logements indignes“ y sont répertoriés. Dans quelques zones visitées, 60 % des logements sont antérieurs à 1948. Les politiques publiques ont peu contribué à l’amélioration et la modernisation du logement rural et les administrations impécunieuses financent de plus en plus mal les interventions sur le social.
Dans cet horizon de la précarité rurale, les rapporteurs ont établi des comparaisons entre les revenus et les conditions de vie des ménages à l’échelle nationale. En milieu rural les niveaux de vie sont globalement inférieurs à ceux de l’ensemble de la population. Il y a plus de pauvres en rural mais on y trouve moins de personnes “extrêmement pauvres“ que parmi la population urbaine. La pauvreté rurale n’est plus dominée par la pauvreté des personnes âgées. Les ménages pauvres sont surtout des familles avec des enfants disposant de faibles revenus d’activité provenant de très bas salaires. Ils sont souvent jeunes et les prestations sociales tiennent une part importante dans ces revenus. Ces prestations sociales sont cependant moins importantes et moins élevées que celles qui alimentent les ménages pauvres urbains. Les ruraux n’accèdent pas comme ils en auraient la faculté aux différentes prestations et aides de droit commun. A titre d’exemple les statistiques font apparaître une sous consommation de RMI en milieu rural ! Une pauvreté discrète de personnes et de familles qui supportent sans se manifester de très mauvaises conditions de vie, se replient sur elles-mêmes, et se protègent du qu’en dira-t-on. La Creuse fait partie des départements où le taux de pauvreté est le plus élevé. Un Creusois sur six vit en dessous du seuil de pauvreté.
Alain Carof