L’observateur d’oiseaux, donc, a choisi de stationner quelques heures sur une élévation du terrain avec en tête l’idée de cerner les allés et venus d’espèces de vertébrés à plumes pratiquant le vol plané ascensionnel, le fameux vol en cercles de la buse. Grâce à cette technique et selon la saison, il cherchera à savoir quelles voies de passage empruntent les espèces migratrices mais aussi et surtout, à essayer de déterminer les secteurs de reproduction des voiliers qui fréquentent le secteur.
Pour les oiseaux migrateurs, les journées ensoleillées de la fin août sont très propices pour regarder passer les Bondrées apivores qui repartent vers l’Afrique et qui survolent alors par centaines la Montagne Limousine. Un premier point noir apparaît tourbillonnant dans le ciel, suivi d’un deuxième, d’un troisième... et ainsi jusqu’à vingt ou trente oiseaux qui se suivent en un carrousel montant, les oiseaux les plus élevés se détachant de la spirale en coudant les ailes alors que les derniers, plusieurs dizaines de mètres plus bas, cherchent à se positionner au mieux dans la pompe qui les soulève déjà. Les bonnes journées, ce sont 80 à 100 Bondrées qui se laissent ainsi admirer, avec, entre deux groupes de ce rapace mangeur de guêpes, d’autres migrateurs qui empruntent les mêmes lignes de vol : Cigognes noires, Balbuzard pêcheur, derniers Martinets, Milans noirs... Septembre n’est pas encore là que l’automne est déjà largement auguré. Au mois d’octobre, les mêmes lieux permettront d’observer le passage post-nuptial des Milans royaux, splendide rapace aux couleurs chatoyantes qui ne se reproduit qu’en Europe. A cette saison toujours, les Grues cendrées, les Pigeons et d’innombrables bandes de petits granivores (Pinsons, Bruants et leurs cousins) arrivent à remplir, si ce n’est le ciel, du moins les jumelles de l’observateur...
Au printemps, de retour sur un point de vue panoramique, l’observateur (birdwatcher s’il est anglais) tentera de surprendre les parades nuptiales des couples de rapaces forestiers disséminés dans les milliers d’hectares de boisements du Plateau de Millevaches. C’est ainsi qu’en mars et en avril, l’Autour des palombes révèle sa présence quand il survole son territoire à grande hauteur tout en multipliant les facéties (piqués, festons, simulacres d’attaques d’un partenaire sur l’autre), avant de regagner la parcelle forestière où il construit son nid volumineux. C’est de ce repaire que l’Autour part chaque jour en quête de nourriture, plusieurs kilomètres à la ronde. Furtif, mobile, très peu visible, il multiplie les déplacements rapides au ras du sol en se perchant régulièrement pour épier ses proies, avant de se lancer sur elles avec détermination. Les Geais des chênes, très communs sur la montagne limousine sont l’espèce que l’Autour y capture le plus régulièrement.
Si le Plateau de Millevaches est une partie du Limousin relativement bien connue des ornithologues régionaux, il n’a pas la réputation d’être, à l’échelle de la France métropolitaine, un haut lieu pour l’observation de l’avifaune. Ici, nul camp de suivi de la migration comme il en existe dans les Pyrénées ou dans les Corbières. Pas non plus d’observatoires aménagés qui offrent une proximité inhabituelle avec des oiseaux sauvages, tels ceux dans lesquels il est possible de se rendre dans la Brenne ou autour des lacs champenois... Peut-être cette situation est-elle due aux conditions d’observations qui ne rendent pas la tâche facile à notre “ornitho“: le Plateau de Millevaches recèle de puys, de vallées, d’escarpements... autant de formes du relief qui sont couvertes de formations végétales (forêts, prairies, landes...) dont l’agencement ne semble pas répondre à une logique particulière. Il en résulte une certaine difficulté à orienter les prospections pour détecter des espèces dont la biologie a été décrite dans des régions forcément très différentes du Plateau de Millevaches.
C’est peut-être là que se trouve le principal attrait du Plateau de Millevaches pour l’observateur d’oiseaux. Avec ses paysages hors du commun (au sens premier de l’expression) et semblant désorganisés, ce plateau laisse espérer en toute saison des rencontres impromptues avec la gent ailée. Et pour cause, si certaines journées se soldent par des quasi bredouilles (événement rarissime toutefois qu’une journée sans oiseaux), d’autres semblent être touchées par la grâce, quand le chant de l’Alouette lulu sonne le glas de l’hiver, que les Cigognes noires filent vers leurs contrées orientales et que la Pie-grièche grise, de la cime d’un bouleau rabougri, veille jalousement sur son bout de tourbière.
Le peuplement d‘oiseaux sur le Plateau de Millevaches est, au final, relativement original, avec des espèces strictement forestières (Chouette de Tengmalm), qui côtoient des espèces strictement liées aux milieux agricoles ou pastoraux (Busards). C’est ce qui a valu à 65 000 hectares du Plateau d’être classés en site Natura 2000 (Zone de Protection Spéciale). Le Parc naturel régional de Millevaches travaille actuellement à la rédaction du Document d’Objectifs de ce site, ce qui devrait aider à éviter que certaines populations d’oiseaux menacés ne diminuent plus encore.
Olivier Villa