Mais ouvre donc les yeux, citoyen ! Celui ou celle à qui tu as confié le pouvoir en votant, il te l’a confisqué !
1789, l’espoir à la française…
A bas les privilèges, mort au roi et aux tyrans, le pouvoir au peuple…Où sont les illusions de 1789 ? Petite analyse…
Pourtant, l’idée était bonne à cette époque : au centre, une petite ou grande ville et autour un territoire accessible à une journée de cheval maximum. Ainsi naissait le concept de département, invention bien française, qui se doublait d’une explosion de micro collectivités, les communes, au nombre de 36 000, un record là aussi, dispersant le pouvoir à l’extrême et regroupant de force des paroisses, des communautés de vie, qui depuis deux siècles pour certaines se livrent à des querelles incessantes… Reconnaissons tout de même qu’à l’époque, il s’agissait d’une organisation pragmatique d’un état repensé, à la portée des nouveaux citoyens libérés du joug de l’aristocratie.
Transportons-nous deux siècles plus tard. La France est devenue un joli puzzle de 95 petits “royaumes“ disposant chacun de son “seigneur“, sa cour, son palais, ses taxes, ses choix politiques, différents de ceux de ses voisins, ses stratégies territoriales donnant de fait au dit “royaume“ une vocation de territoire de projet, ce pour quoi il n’a jamais été conçu.
Bien plus tard, après guerre, lorsque l’on commença en France à parler d’aménagement du territoire et de développement local, naissaient, à l’initiative d’élus locaux, de vrais territoires de projet. Dans un premier temps, leur objectif fut d’abord essentiellement d’aller capter l’argent public, pour en avoir un peu plus là qu’ailleurs… Dans un second temps, ces projets se structurèrent, se dotant de moyens d’animation, d’outils de travail, de coopération (commissions, groupes de travail…) qui garantissaient progressivement la remontée des idées des citoyens aux élus, aux décideurs, et ce sur un territoire où les objectifs étaient un développement harmonieux d’un territoire calé sur un bassin de vie, une vallée, mais aussi parfois simplement sur une limite cantonale…
Ainsi naissaient et se multipliaient les syndicats de communes, aux objectifs soit très techniques (ordures ménagères par exemple), soit très généraux à des fins de développement touristique ou économique ; et peu à peu, les syndicats mixtes, les communautés de communes, et sur des territoires plus grands les Parcs naturels régionaux (spécificité bien française) , et plus récemment, leur pâle copie, les Pays.
Ils ont en principe comme socle commun un espace de vie, économique ou naturel, qui devient le cadre du projet porté par les élus du peuple, pour le bien-être des citoyens.
Dès lors que cette organisation est en place et que les Régions sont opérationnelles, comme dans bon nombre de pays européens (Allemagne, Espagne…), à quoi servent tous ces “royaumes“, dont l’essentiel des budgets est consacré à l’action sociale (qui devrait bien être la même pour tous les citoyens de ce pays, n’est-ce pas ?), aux routes, aux collèges et au fonctionnement de leur propre structure ? Sinon à maintenir ou engendrer une multitude de petits pouvoirs locaux assis sur une assiette territoriale qui de nos jours n’a plus aucun sens.
A l’heure de l’Europe, quel sens a aujourd’hui une stratégie touristique départementale ? Qui peut croire encore que l’habitant de Hanovre viendra visiter la Haute-Vienne ? !
Dans une période de grande générosité (c’était au siècle dernier…) les départements ont décidé d’affecter aux territoires de projet que sont les communautés de communes (contrats de développement…) les Parcs et les Pays, (oh ! selon des cahiers des charges souvent draconiens appelés conventions) une petite partie de leurs subsides (prélevés par l’impôt sur le contribuable rappelons-le) pour appuyer les dynamiques des projets de territoires, permettant ainsi à un échelon local de mettre en œuvre des projets dont la cohérence globale était accessible du fait d’un haut niveau de concertation possible.
C’est dans cet état d’esprit que les départements disposant d’un bout de territoire d’un des 46 Parcs naturels régionaux de France ont été invités à adhérer aux syndicats mixtes de préfiguration des futurs Parcs puis le Parc étant en voie de classement, à approuver sa charte et entrer comme membre constitutif dans le syndicat mixte de gestion. La durée d’adhésion était de 10 ans et peut être portée maintenant à 12. Ces territoires de projet que sont les Parcs régionaux sont nés il y a 40 ans et cette grande aventure typiquement française est enviée de par le monde et copiée de plus en plus.
En Limousin, le Parc Périgord-Limousin a été créé par décret ministériel en mars 1998, celui de Millevaches en mai 2004. Bien logiquement, les trois départements limousins s’inscrivaient alors dans cette dynamique de PNR et adhéraient au syndicat mixte de gestion, approuvant tous les trois par délibération la charte du futur PNR.
Une clé de répartition des contributions honnête répartissait celles-ci en tenant compte de l’importance du territoire classé PNR dans chaque département. La Haute-Vienne s’engageait donc à hauteur de 7% des contributions, la Creuse à 13% et la Corrèze 23 %, d’un budget dont la plus grosse part est alimentée par le Conseil régional à 50%, les communes apportant quant à elles les 7% restants.
Ainsi le département de la Haute-Vienne, aux côtés de la Creuse et de la Corrèze, s’inscrivait dans une politique de solidarité entre la métropole limougeaude et les zones rurales en difficulté économique, mais au patrimoine riche, de la Montagne limousine de Millevaches et du massif des Monédières, quelques années après celles du pays de Rochechouart.
Seulement voilà, la crise des finances publiques passa par là ; on connait maintenant le contexte, l’Etat a transféré beaucoup de charges aux départements, particulièrement dans le domaine du social (financement de l’APA…), et pas les moyens à la hauteur nous dit-on. S’ensuit l’adoption par l’assemblée départementale haut viennoise d’une série de mesures pour compenser les pertes : réductions drastiques des aides aux associations, abandon des politiques territoriales (le Conseil général 87 ne signera aucune convention avec les Pays pour la période 2011-2013), et pour finir demande de retrait des Parcs présentée en session le 29 juin dernier, et votée par une majorité très large de l’Assemblée, à l’exclusion des conseillers généraux de la gauche communiste.
D’ailleurs le citoyen de base pouvait lire dans son journal du 30 juin une courte déclaration de la Présidente, mentionnant sa demande de retrait, en l’étayant des propos suivants “Les perspectives d’évolution ne sont pas en rapport avec les contraintes budgétaires“, en outre, le bureau du PNR Millevaches s’est permis de récuser notre candidat“ (à la vice-présidence, Jean-Claude Leblois, conseiller général PS du canton de Saint-Léonard, en remplacement de Michel Ponchut -ADS, Eymoutiers).
Puis suivirent la déclaration verbale et télévisée de la Présidente ainsi que la déclaration vive et offusquée du Président du PNR. Pour ceux qui ont bien écouté, la Présidente demandait à la fois le retrait rapide du département du syndicat mixte, ainsi que le retrait de ses deux délégués, et (on l’a bien compris…) surtout de celui qui siégeait au bureau du syndicat et occupait la position de vice-président représentant la Haute-Vienne, et que le comité syndical réuni le 19 mai auparavant avait effectivement très largement réélu à sa fonction…
Cher citoyen, essaye donc de ne payer au trésor public que 80% de ta taxe d’habitation, dont une partie alimente les caisses du département cité plus haut, tu verras bien ce qui t’arrive. Et bien ce même département applique cette méthode depuis plusieurs années et ne versait qu’une partie de sa contribution, en fonction de son bon vouloir. Mais passons, la question est bien aujourd’hui le retrait formel du département du PNR, qui se traduirait d’une part par une révision des statuts, le retrait des délégués élus au comité syndical et d’autre part, cerise sur le gâteau l’économie d’environ
82 000 €, qui représente le montant annuel de la contribution de ce département. Car si le but est bien de faire des économies, on sent bien la volonté de déconsidérer les Parcs, et par voie de conséquence de montrer un profond mépris pour les zones rurales et leur avenir, préférant sans doute concentrer ses moyens sur la capitale du Limousin.
Au-delà de la perte financière pour le PNR, il ne faut pas négliger le préjudice moral, la perte de confiance des 16 communes situées sur le territoire haut viennois autour de la ville porte du Parc, Eymoutiers et dont on sait l’intérêt qu’elles manifestent à participer à la vie du PNR. On ne peut ignorer non plus l’importance des retombées de l’action du Parc dans ce secteur.
Par ailleurs, ce désengagement d’un département d’un PNR est une première en France, un privilège dont le Limousin se serait bien passé ; sans compter que la légalité d’une telle démarche reste aujourd’hui à démontrer…
Et que peut-on penser de ce désengagement pour le PNR Périgord-Limousin, en pleine phase de renouvellement de sa charte et des adhésions des membres…
Que peut-on imaginer maintenant comme issue à cette crise ? Une réaction vive de la Région ? La Région crée les Parcs, et leur apporte une grande part des financements (autour de 50% des crédits de fonctionnement pour la plupart des PNR) ; à ce titre, elle est leur principal soutien et pourrait manifester son mécontentement devant ce désengagement qui d’une façon ou d’une autre lui posera la question de la compensation de la perte financière. Une réaction de l’Etat ? C’est bien lui qui attribue la marque “Parc naturel régional de…“ et la garantit. Osera-t-il une ingérence dans la vie des collectivités locales ? Comment interprètera-t-il un retrait d’une grande collectivité fondatrice, un département ? La démarche sera-t-elle déclarée illégale ? Ce retrait demandé du syndicat mixte sous-entend-il désapprobation de la charte, approuvée 6 ans auparavant ? L’absence de jurisprudence laisse perplexe. Sa consultation ne donne qu’un indice, le cas d’une demande de retrait d’une commune du PNR voisin auvergnat, s’est soldée par une fin de non recevoir de la plus haute juridiction (le Conseil d’Etat) qui jugea le retrait impossible avant la date de renouvellement de la charte. Mais petit détail qui a son importance, il s’agissait d’une commune et les communes sont citées nommément dans le décret de création d’un Parc, puisqu’elles en constituent le territoire labellisé…
Manœuvre politique, attaque morale, perte de confiance, perte financière…La crise a bon dos…Qui a intérêt à déstabiliser le PNR alors même qu’une certaine confiance semblait revenir entre le PNR et les acteurs du territoire, partageant de plus en plus de projets, faisant converger leurs idées et leurs moyens limités dans une partie du territoire qui a besoin plus que jamais de l’attention des régions urbaines, plus que jamais consommatrices d’espace, de loisirs de pleine nature, d’authenticité…
Les centaines de millions d’euros dépensés pour poser du goudron dans l’agglomération limougeaude sont sans doute plus utiles aux hommes que les quelques milliers d’euros dispensés avec parcimonie aux acteurs du plateau de Millevaches…On a bien compris depuis longtemps que bon nombre de nos politiques ont baissé les bras, acceptent comme inéluctable la désertification des montagnes et zones rurales, pensent que les citoyens vivront bientôt tous en ville, que la montagne servira juste de terrain de jeux des urbains en week-end, considèrent que ces régions ne seront bientôt plus qu’un gisement de bois bon marché, un repère pour chevreuils, retraités et écolos en mal de nature…et que toute vie sociale aura disparu. Que reste-t-il à faire ? Et bien se battre, citoyen, résister... toujours résister... ici comme ailleurs et encore plus qu’ailleurs, parce qu’ici on y croit, et on y croit tous ensemble...
J. Legrand