“Un prêtre dont le nom et l’éloge sont encore répétés, dans sa paroisse, cent vingt-cinq ans après sa mort, n’avait sûrement pas un mérite ordinaire“. Par cette phrase introductive à l’opuscule qu’il lui consacre à la fin du XIXe siècle, Joseph Villatel, successeur lointain de Jean-Baptiste Michon à la cure de la Courtine, présente ce dernier comme un pasteur hors du commun. Si cette prose fleure bon l’hagiographie, c’est aussi parce qu’elle porte le désarroi de son auteur face aux premières manifestations du détachement religieux. Or, à l’époque où vécut Jean-Baptiste Michon (1700-1765), le Limousin n’était pas encore devenu une “terre de mission“ pour le christianisme et le diocèse de Limoges, qui couvrait alors la quasi-totalité de notre actuelle région, comptait encore plus de 2000 prêtres. Cependant la trace laissée par le curé Michon dans la mémoire collective s’explique notamment par les deux registres écrits pendant l’exercice de son ministère, communément appelés “Annales de la Courtine“ (et aujourd’hui conservés aux archives départementales de la Creuse), source de première main sur l’histoire d’une paroisse et l’action curiale, qui permet de repérer les choix pastoraux d’un prêtre.
Que savons-nous de Jean-Baptiste Michon Né en 1700 dans la paroisse de Flayat, il est issu d’une famille de propriétaires aisés. Bien que son cursus de formation soit inconnu, il ne pouvait alors, comme tout aspirant à la prêtrise, échapper au séminaire, sans doute celui de Limoges, tenu par la compagnie de Saint-Sulpice, qui dispense un enseignement insistant sur la suprématie du sacerdoce, conférant au prêtre un rang à part, à distance des fidèles. Jean-Baptiste Michon accomplit ensuite ses premières fonctions pastorales dans sa paroisse de naissance, devenant vicaire de Flayat, de 1725 à 1741 (une incertitude demeure toutefois pour la période qui court de 1725 à 1729, sur son statut exact, puisqu’il n’est ordonné prêtre que le 20 juin 1729). Nommé à la cure de Saint-Denis (nom exact de la paroisse qui comprend deux annexes, La Courtine et La Daigue) par l’évêque de Limoges, il en prend possession le 15 juillet 1741. Il y occupe encore la fonction de curé lorsqu’il décède, le 31 décembre 1765.
Bien que venant d’une paroisse proche, il n’est plus à Saint-Denis de la Courtine un homme du cru. Non seulement il loge au presbytère, alors que ses prédécesseurs, originaires du lieu, demeuraient dans leur propre maison, mais son extraction sociale et la conscience de l’éminence de son statut de prêtre le distinguent des habitants. Aussi, dans l’exercice de sa charge, il doit tout à la fois établir un lien de confiance et ne pas oublier la mission particulière que lui a confiée l’Eglise : approfondir la diffusion de la foi catholique.
S’il sacrifie à l’exercice ordinaire du “métier“ de prêtre, assurant les offices et tâches inhérents à sa fonction, il s’affirme comme un acteur militant de la pastorale catholique. Il assure ainsi la direction d’une “pédagogie“ qui compte 23 élèves des environs en 1753, répartis en trois classes de rhétorique et accorde une attention soutenue à l’enseignement du catéchisme, pratique qui concernait alors tous les paroissiens. Il engage également la réfection des églises paroissiales de Saint-Denis et La Daigue, fort dégradées et entreprend la reconstruction de celle de La Courtine financée pour partie sur ses propres deniers, pour plus de 8000 livres... au point même que sa sœur, après son décès, renonce à sa succession, de peur d’hériter d’éventuelles dettes ! Ce zèle bâtisseur est d’ailleurs reconnu par l’évêque de Limoges, qui lui délègue la visite d’une quinzaine de paroisses de la Montagne limousine.
L’originalité pastorale de Jean-Baptiste Michon tient également à son choix de sacralisation de l’espace par des plantations de croix qui prend ici un caractère systématique. À Saint-Denis, il comble quelques vides dans un entrelacs déjà important : au terme de son ministère, 20 croix jalonnent le territoire paroissial. Cette pratique de la dissémination, revendiquée dans les “Annales“, n’est pas nouvelle : le prêtre l’avait déjà expérimentée lors de son vicariat dans la paroisse de Flayat, dans laquelle 21 croix au moins furent plantées à son initiative. Installées afin que chacun les rencontre, elles sont élevées à l’abord des ponts, au milieu des villages, à l’intersection de routes menant aux différents écarts ou sur des points élevés de la topographie locale. Parfois même leur érection est accompagnée de plantations d’arbres, afin de préparer les stations des futures processions : cette stratégie d’inscription spatiale de la foi chrétienne permet également de mieux maîtriser le territoire parcouru lors des processions.
Cette pratique déambulatoire est ordinaire sous l’Ancien Régime : en tenant compte des exigences du calendrier chrétien, un fidèle processionne tous les 4 à 5 jours en moyenne. La liste établie par le curé Michon montre qu’il en est de même à Saint-Denis, selon une appropriation de l’espace parfaitement réfléchie. La quasi-totalité des trajets s’accomplissent sur une faible distance, à l’image des processions dominicales qui font station, en alternance, à la croix du cimetière et à celle dite de Saint-Denis, toutes deux situées dans la périphérie immédiate du lieu de culte principal. Seules les cérémonies pour rendre propices les terres ou protéger collectivement hommes et récoltes, conduisent les fidèles, une fois l’an, à s’éloigner des bourgs. Cette manière de procéder permet de ne heurter personne : l’ensemble du territoire est vécu par les fidèles, sans exclusion, mais selon un temps et des modalités définis par le clergé, en établissant une hiérarchie dont l’église paroissiale est le cœur. De la sorte, il contrôle les pratiques religieuses.
Le curé Michon procède à l’identique dans la diffusion des dévotions de la Réforme catholique plus à même de conduire le fidèle vers une pratique religieuse individuelle et la quête du salut. Mais s’il favorise l’érection des confréries consacrées au Saint-Sacrement ou à Notre-Dame du Carmel et réactive celle du rosaire, il entretient et promeut les cultes patronaux présents bien avant son installation dans la paroisse. Ayant compris que ceux-ci incarnent l’unité de la communauté d’habitants, il s’attache à les rendre également visibles dans l’église, accueillant notamment leurs statues près du maître-autel dans les niches du retable et accepte la célébration de leurs fêtes sans s’offusquer de certains débordements festifs. L’adhésion massive dans les différentes confréries témoigne du succès qu’il rencontre, à encourager les unes sans pour autant rejeter les autres.
La politique pastorale du curé Michon ne dénote pas dans le Limousin religieux du XVIIIe siècle, mais elle lui donne une couleur particulière, plus soutenue sans doute, qui contribue à la conquête culturelle et sociale progressive de ses paroissiens, à petits pas, en maintenant une forte adhésion religieuse. Le divorce progressif entre clercs et fidèles ne se marque que bien plus tard, à la toute fin du XIXe siècle.
Stéphane Lajaumont