Présentée ainsi, l’idée ressemble à une opération humanitaire : la riche métropole qui ne cesse de se développer va voir ce qu’elle peut faire pour aider un peu les pauvres de la Creuse qui ne cessent de disparaître. Face à sa croissance indécente, la métropole doit avoir ses bonnes œuvres pour maintenir la pauvreté et l’inégalité dans des mesures acceptables. Une opération humanitaire qui parachève l’idée d’une tiers-mondisation de notre territoire.
Pourtant, cela semble en contradiction avec l’idée de réciprocité, qui sous-entendrait un échange plus horizontal que vertical, entre deux parties. Un contrat est réciproque quand il “marque un échange équivalent entre deux personnes, deux groupes“ selon la première définition du Larousse.
En fait le contrat de réciprocité a fait son apparition en 2014 dans le jargon déjà très riche et désopilant de l’aménagement du territoire. C’est aux “Assises de la ruralité“ qui devaient être “un acte fondateur d’une politique renouvelée pour les territoires“ que le terme de contrat de réciprocité est apparu. Officiellement “les contrats de réciprocité ont pour objectif de dépasser les logiques d’opposition entre territoires. Ils encouragent les complémentarités et les coopérations entre les espaces ruraux, périurbains et urbains“2 explique le site internet du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) nouveau nom de la Datar.
Le député du Cantal Alain Calmette envisage à l’époque ce genre de contrat entre le pays d’Aurillac et la métropole de Lyon. Il explique dans le journal La Montagne : “Les territoires ruraux sont dans une position de quémandeurs incessants. Il faut en sortir et montrer aux Lyonnais que nous avons autant à leur apporter qu'eux nous apportent. La nouveauté de cette démarche, qui est menée dans trois autres régions, c'est cette notion de réciprocité“.
Mais trois ans après, seulement deux contrats de réciprocité ont été signés. Le premier en Bretagne, entre Brest et le centre Bretagne (Monts d’Arée, Haute Cornouaille...) en novembre 2016. Là-bas il est question d’exportations agricoles (le lait en poudre de l’usine Synutra de Carhaix expédié directement en Chine via le port de Brest par exemple), de télémédecine, de tourisme et d’offre culturelle… Le deuxième contrat concerne le Sud Ouest, entre Toulouse et le pays des portes de Gascogne (à l'est du Gers). Il a été signé cet été avec pour thèmes principaux le transport et la formation dans la filière aéronautique, et un peu de circuit-court alimentaire.
Dans les deux cas, les territoires “à aider“ sont proches de la métropole et leurs habitants y travaillent. Entre Bordeaux et la Creuse, même avec la vision si particulière des distances domicile-travail du président de la République, il est difficile d’imaginer des liens de ce genre entre les deux territoires. Dans les deux cas, les collectivités locales ne sont pas les seules à négocier. En Bretagne, le contrat intéresse beaucoup les entreprises agroalimentaires qui exportent. A Toulouse, la filière aéronautique cherche à recruter et former sur place ses employés.
Un contrat de réciprocité Creuse-Bordeaux pourrait certainement d’avantage ressembler à celui entre Montpellier et le Haut-Languedoc. Sur ce projet, c’est la filière bois qui semble mener le calendrier via la Fédération nationale des Communes forestières. C’est en tout cas sur son site internet que l’on trouve le plus d’informations sur le contenu du contrat. Signé en mars dernier, il est centré sur la forêt. Il s’agit d’orienter le bois des Monts de Lacaune vers la construction et les chaudières collectives de la métropole montpelliéraine. Et puisqu’il est question de réciprocité, il est prévu, en échange, de “promouvoir le patrimoine naturel et faire de la forêt une véritable destination touristique“ expliquent les communes forestières3, c'est-à-dire la “valorisation de cette destination de pleine nature au niveau du bassin de population du Grand Montpellier et développement de partenariat entre les deux offices de tourisme“ précise La Dépêche du Midi4.
Le contenu de ce contrat devient un peu plus concret, voire prosaïque, dans le Journal d’Ici, journal du Tarn, du 29 mars 2017 : “La Métropole avait besoin de bois, explique Francis Cros, vice président des Communes forestières, pour alimenter ses chaufferies, et réaliser des constructions. Au-delà de la filière bois, on a étendu ce contrat de réciprocité au tourisme afin de valoriser nos espaces naturels pour les populations urbaines. Beaucoup d’échanges vont être possibles, comme la vente de nos sapins pour Noël, et l’on peut imaginer la promotion de la charcuterie par exemple. L’une des pistes de travail est aussi la valorisation du chemin de St Jacques de Compostelle qui traverse Murat, La Salvetat et Anglès.“5
Expliquée ainsi, la réciprocité est beaucoup plus amusante. D’un côté un territoire riche de bois, tout prêt à aller brûler dans les dizaines de chaudières toutes neuves des habitations toute neuves des habitants tout neufs de l’agglomération de Montpellier. De l’autre, la promotion de la charcuterie, des sapins de Noël et du chemin de Compostelle… Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour envisager le même type de “contrat“ entre Bordeaux et la Creuse. Un copié-collé devrait suffire.
Personne ne sait aujourd’hui précisément où en sont ces contrats de réciprocité. La page web qui leur est dédiée est introuvable sur le site du “ministère de la cohésion des territoires“. Il faut aller sur le site du CGET pour s’assurer que l’idée a survécu aux élections du printemps dernier. Ils pourraient être inclus dans “les contrats de coopération métropolitaine“, que les métropoles se doivent de signer avec les territoires limitrophes. Ces contrats sont assortis d’une belle enveloppe de 150 millions d’euros pour les métropoles qui en disposent comme elles le souhaitent. Dans l’article annonçant l’idée du sénateur d’un contrat de réciprocité ente Bordeaux et la Creuse, le journaliste s’interrogeait “Qu’est-ce que les Creusois pourraient bien vendre aux Bordelais ?“. Peut-être avons-nous du mal à mesurer les convoitises qui s’aiguisent sur la forêt de la Montagne limousine et à envisager les conséquences pour ceux qui y habitent.
Aude Chopplet