Il va rester dans l’histoire, avec bonheur, ce grand chemin parcouru par le Plateau au cours des dernières décennies du XXe siècle et des premières du XXIe. Ce ne fut pas un miracle ni même une transition, mais une révolution.
Voyant venir autour d’eux la lente disparition des services publics et anticipant des difficultés croissantes, habitants traditionnels, tous ancrés dans le granit de leurs sols, et nouveaux arrivants, tous pleins d’idées nouvelles, ont pris en main ensemble le destin du pays. Alors même que surgissait autour d’eux, après la fin des migrations, une autre révolution, celle de la génération du baby-boom et de la société de consommation. Tous étaient heureux d’être là. Ils refusaient d’écouter les faux oracles qui prédisaient la désertification et l’abandon définitif de leur petit secteur géographique sous le prétexte qu’il était à la fois le plus central, le plus isolé et le plus loin du moindre centre d’activités de l’hexagone. Et qui se situait en plus au sein de cet immense espace national abandonné au profit de quelques métropoles par un État centralisateur comme par la nouvelle société. Ces mêmes oracles refusaient de voir que ce qu’ils présentaient comme des handicaps constituait en réalité un ensemble exceptionnel d’atouts majeurs.
L’isolement est une excellente protection de ses propres valeurs pour un secteur géographique entouré de trois autoroutes et ouvert sur le Massif Central voisin comme demain sur l’Aquitaine. Toute position en plein centre de la France constitue en soi un avantage certain sous de multiples aspects.
Une faible densité de population est loin d’être un handicap, bien au contraire, si hommes et femmes du pays sont emplis d’une volonté affirmée d’attirer et de bien accueillir de nouveaux habitants, de nouveaux entrepreneurs et de nouveaux retraités, afin de compenser le déficit naturel par un solde migratoire positif.
Le fait qu’un territoire rural n’ait jamais connu la moindre industrie pas plus qu’un important artisanat a été largement compensé dans le cas de Millevaches par l’existence d’un environnement rare, de grande ampleur et de haute qualité reposant sur un espace de nature très culturel par sa richesse biologique et dont la pureté et l’intégrité ont été exceptionnellement préservées.
Sa structure de plateau de moyenne altitude avec des paysages magnifiques et variés ne doit en aucun cas faire regretter les soi-disant avantages de la haute montagne ou de la mer avec leurs nuisances issues d’une concentration touristique saisonnière. Quel bonheur de pouvoir développer un écotourisme de nature, sage et humain, culturel lui aussi et respectueux de l’environnement !
Pourquoi reprocher aux deux économies agricole et forestière d’être limitées au stade de la production, celui où dans toute filière économique se trouvent le moins d’emplois et le moins de valeur ajoutée ? Lorsque l’on connaît les incertitudes et la fragilité des structures aval, une production de grande qualité ne constitue-t-elle pas pour les professionnels une sécurité et la possibilité de s’adapter aux évolutions du marché et à la demande des consommateurs ?
Enfin, quel plaisir de vivre dans une société qui a gardé son empreinte rurale, un esprit de communauté, la générosité dans le contact et le sens de la vie tout court !
La synthèse des atouts complexes du territoire en lui-même met bien en lumière une éthique commune fondée partout sur la nature, la culture et la vie sociale. Le Plateau apparait finalement comme une véritable “oasis de vie et d’activité“. En tous domaines, pureté et qualité se rejoignent. Une chance exceptionnelle !
Dans leur marche en avant, les habitants se sont aussi trouvés confortés par l’existence de deux types de structures publiques.
Ainsi, le Parc naturel régional a permis aux petites communes de la Montagne limousine qui le souhaitaient de se regrouper librement et d’acquérir, collectivement et pour la première fois, un vrai pouvoir de négociation avec les grandes structures distributrices de moyens financiers tels l’État, les conseils généraux, le conseil régional et l’Europe face à des ensembles urbains de poids comme Limoges et Brive. C’est ainsi que des programmes importants ont été mis en place et constitué un précédent, en tout cas entériné aujourd’hui. Les crédits afférents ont été pour leur majorité mis sans aucune discrimination par le Parc à la disposition des collectivités publiques et des acteurs du territoire qui avaient un projet. De plus, le Parc a recherché pour leur compte le maximum de disponibilités financières et mis sur pied des montages optimisés afin de réduire leur auto participation. Cette stratégie Parc/Acteurs publics, privés ou associatifs, a indiscutablement porté ses fruits et permis de mieux structurer une bonne base économique locale. Le Parc s’est aussi consacré à préserver au mieux la richesse environnementale des espaces naturels afin de permettre à ceux qui viendront plus tard de l’utiliser au mieux dans le contexte qui sera le leur. C’est un devoir.
Malgré le glissement des ruraux vers la ville, le maintien de la structure communale représente ici un avantage considérable avec des maires qui ont la noblesse de leur fonction et sont entièrement dévoués au service des habitants. La constitution de communautés de communes modestes a pu, de ce fait, contribuer dans un contexte de proximité à renforcer la reprise en main. Les réussites de la communauté de communes de Gentioux–Peyrelevade qui a axé son développement sur l’économie sociale et solidaire ou de celle de Bugeat–Sornac vers le social lié à l’environnement sont exemplaires.
Et maintenant ? Nouvelle Révolution ou simple transition face à l’arrivée de la mondialisation et l’explosion de l’intelligence artificielle ? Tel est le grand défi devant lequel se trouve aujourd’hui placée la jeune génération du Plateau. C’est son problème et c’est à elle de jouer. Néanmoins, si elle décide de se placer dans la continuité de la première révolution, il semble qu’elle ne pourra pas échapper, entre autres, à deux obstacles, les plus ardus de tous.
En premier lieu, celui de la mise en œuvre d’une restructuration foncière d’envergure pour préserver, en lien avec la grande mutation prévisible de la production forestière résineuse et de sa première transformation, le maintien d’un élevage extensif. Avec le tourisme, c'est la grande ressource économique potentielle en ce jour, celle dont le cheptel rend vivants les paysages. Une nature occupée uniquement de bois et de friches est un espace mort.
En second lieu, le Plateau a et aura un besoin vital d’attirer de jeunes couples avec enfants. On ne connaît pas aujourd’hui, dit-on, la nature de la majorité des emplois futurs et ces derniers pourraient s’installer, dit-on aussi, partout. Dans cette hypothèse et comme nous vivons au siècle de l’image et de la communication, le territoire serait amené à bien définir son identité et mettre sur pied sa propre image. Une image qui s’insérerait évidemment au sein des politiques environnementales menées en Massif Central et en Aquitaine, mais spécifique à Millevaches, et plus libre à promouvoir aujourd’hui grâce à l’indépendance acquise avec le transfert de la Région à Bordeaux. Et bien entendu s’appuyant obligatoirement sur le lancement d’une importante campagne de communication principalement tournée... vers l’extérieur.
Georges Perol