Lors de la réunion publique du 24 novembre 2017 à Bugeat (dont nous avons proposé un compte-rendu dans le dernier numéro d'IPNS), plusieurs personnes se sont interrogées sur la position du Parc naturel régional vis-à-vis du projet d'usine de Viam. À l'époque le parc n'avait pas encore pris de position publique et chacun pouvait espérer qu'il tiendrait une parole forte sur un projet qui, par bien des aspects, pose problème. Un participant à cette réunion, forestier de son état, a joué les (faux) naïfs en déclarant : “Mais la position du Parc on la connaît. Il suffit de lire ce que sa charte indique sur la forêt pour savoir qu'il est bien évidemment contre ce projet !“
La charte ? Bien sûr ! Elle décline en particulier un “objectif opérationnel“ pour la forêt : “Gérer la forêt en valorisant la ressource et en intégrant les enjeux environnementaux et sociétaux.“ Et de préciser : “La gestion forestière pratiquée doit intégrer plus fortement les attentes du territoire, sans impacter la rentabilité de la production, ni mettre en péril la ressource. L’encouragement et le développement d’autres modes de sylviculture, déjà amorcés, doit s’amplifier.“ Parmi les mesures préconisées, on peut lire (mesure 22 surtitrée “mesure phare !“) : “Réduire significativement les modes d’exploitation forestière impactant le paysage (coupes rases, dessouchage, mise en andains)“, cette mesure visant à répondre au constat suivant : “Certaines pratiques (dessouchage par engin lourd et mise en andains, après coupe à blanc), sont porteuses de changements paysagers profonds, de risques de pollution mécanique vers les cours d’eau, de dégradation conséquente des sols.“ Au chapitre énergétique, cette même charte indique : “Le territoire de Millevaches doit se prémunir contre le risque spécifique de devenir un espace d’exploitation de ressources dont le bilan des avantages et des inconvénients ne serait pas positif pour les habitants. La demande extérieure en bois-énergie est susceptible d’impacter de façon importante les massifs forestiers et devenir soit une nuisance pour le paysage, soit une aubaine pour améliorer la gestion.“ Entre nuisance et aubaine, la formulation, il est vrai, laisse les choses ouvertes... Alors l'usine de Viam, nuisance ou aubaine ? La charte poursuit : “Dans tous les cas, l’enjeu est celui de la capacité du territoire à mobiliser des solutions innovantes, qui permettent de réaliser des installations de production à la fois bien intégrées et maîtrisées par ses habitants.“ On n'a en réalité jamais vu une charte, un texte, des mots, ne pas pouvoir être interprétés dans tous les sens – surtout lorsqu'on en reste à un certain niveau de généralité – pour justifier ou invalider un projet. De ce point de vue le jeune forestier de la réunion de Bugeat était peut-être un peu trop optimiste...
Pourtant, la lecture du conseil scientifique et de prospective du Parc qui a été sollicité pour donner son avis est allée, elle, dans le sens d'une lecture exigeante de la charte. Cette instance consultative créée en 2015, comprend des membres représentant différentes sciences naturelles et humaines : biologie, écologie, géographie, sociologie... Placé auprès du président et du bureau du Parc, il “dispense tout conseil, analyse ou expertise, à la demande du président du Syndicat ou sur sa propre initiative (auto saisine). Il peut être amené à se prononcer sur différents dossiers soumis au Syndicat, mais aussi à apporter son éclairage sur les grands projets du territoire. Il a pour cadre la charte du Parc et il apporte ses compétences dans l’analyse des problématiques complexes pour lesquelles les chargés de mission peuvent ne pas disposer de l’expertise adéquate.“ Jouant donc le rôle qui lui est demandé, il a rendu, à l'unanimité, le 7 septembre 2017, un avis très mitigé sur le projet de Viam. Ou plus exactement a estimé qu'il y avait beaucoup trop d'inconnues pour pouvoir prendre un avis positif sur le projet. Nous publions cet avis ici même, page 9
Les prudentes mises en garde du conseil scientifique n'ont pourtant pas été suivies par le bureau du Parc, qui a déposé sous ce nom une contribution à l'enquête publique pour le moins favorable au projet. Il n'est que de la lire pour s'apercevoir que le son de cloche officiellement adopté par le PNR est à peu près à l'opposé de l'avis du CSP... (voir également page 9)
La position prise par le Parc dans l'enquête publique, en contradiction avec l'avis du conseil scientifique, n'a guère été appréciée par les membres de cette instance. Deux d'entre eux en ont aussitôt tiré les conséquences en démissionnant : Julien Barataud, botaniste, et Jean-Jacques Gouguet, économiste, par ailleurs président de l'association Sources et rivières du Limousin et membre du CORP, Comité d'orientation de la recherche et de la prospective de la Fédération nationale des parcs naturels régionaux... Voilà qui fait désordre. Des départs que les démissionnaires ont justifié par l'absence de transparence (leur avis n'ayant pas été rendu public) et le sentiment que le conseil scientifique ne servait à rien. Ils ne sont du reste pas les seuls au sein du conseil à partager ce sentiment...
Que s'est-il donc passé pour expliquer cette prise de position du PNR dans l'enquête publique ? Tout simplement la pression des élus corréziens, menés par Pascal Coste, le président du conseil départemental de la Corrèze et ardent défenseur du projet, jusqu'à en rajouter : il annonce ainsi sur les ondes de France Bleu Limousin (c'était en décembre dernier) que CIBV créera 40 emplois... alors que l'industriel n'évoque, lui, que 19 équivalent temps plein. Le PNR est actuellement dans une situation extrêmement délicate car sa nouvelle charte est dans sa phase ultime de renouvellement. Après plusieurs années de travail pour produire cette charte pendant lesquelles l'État lui a demandé à plusieurs reprises de revoir sa copie, le texte final doit être approuvé en 2018 par l'ensemble des collectivités, départements et communes, puis région, par l'État enfin qui renouvellera le label – ou pas. Tout cela doit s'opérer dans les prochains mois... Facile pour les défenseurs du projet d'usine de jouer au chantage : “on ne signera la charte que si le PNR n'émet pas d'avis défavorable.“ Cela peut se dire évidemment de manière plus subtile, mais cela revient au même... Les PNR du Verdon et du Luberon, en Provence, qui ont tenté de contrer un projet industriel qui leur semblait contraire aux intérêts de leur territoire ont dû plier l'échine après avoir cependant batailler contre le projet (voir encadré). Un PNR de Millevaches sans la Corrèze aurait-il encore un sens ? Mais, un PNR avec la Corrèze, qui accepte un projet industriel que beaucoup considèrent comme nocif au territoire, en-a-t-il davantage ?
Ce n'est évidemment pas cette version que défend Philippe Connan qui jure ses grands dieux qu'il n'a jamais reçu la moindre pression – mais peut-il décemment tenir un autre discours ? - et avance des arguments techniques pour justifier le projet (la position du CSP a été prise à un moment où le tonnage nécessaire à CIBV n'était pas connu, on parlait à l'époque de 350 000 tonnes alors que c'est en fait trois fois moins qui est finalement nécessaire ; le territoire du Parc ne couvre qu'un tiers de la zone d'approvisionnement prévue ; etc.). En tout cas, il s'est personnellement engagé dans l'association de soutien au développement économique de la Haute-Corrèze (Asdehc) créée directement en soutien au projet de CIBV, même si son objet est plus large : “Maintenir et installer des entreprises et le développement économique sur le territoire de la Haute Corrèze.“ Une de ses fondatrices, Michelle Guillou, maire de Viam, a expliqué dans un communiqué : “Le 18 décembre 2017 à la suite de l’enquête publique s’est créée une association de soutien à tous les projets d’installation d’entreprises sur le territoire. Etaient présents 58 maires et élus 15 excusés. Le bureau est composé d’Alain Fonfrede, président, les vices présidents : Daniel Chasseing, Christophe Petit, Hélène Rome, Nelly Simandoux, Pierre Chevallier, Philippe Jenty, Pierre Fournet, Michèle Guillou, une vingtaine de membres complète ce bureau dont Philippe Connan et Bernard Pouyaud du PNR. »
“Tous les projets d'installation d'entreprises sur le territoire“ ? C'est faire montre d'une absence de discernement qui est à peu près le contraire de ce qu'on demande à un élu : savoir ce qui est positif pour son territoire, repérer ce qui va dans le sens d'un développement maîtrisé et à haute valeur ajoutée pour le local, plutôt que d'accepter tout et n'importe quoi comme le projet “extractiviste“ de CIBV qui ne perçoit le Plateau que comme une source brute de matière première.
Michel Lulek