Pour analyser la situation, les structures reconnues de l’ESS1, ainsi que la vingtaine d’autres associations (dont le rôle social, mais aussi économique, est essentiel), ne doivent pas être isolées des autres acteurs de la commune. Acteurs publics comme la municipalité ou la communauté de communes, acteurs privés comme les commerçants ou les professions libérales réunies dans la toute récente maison médicale.
Lors des débats, cette alliance objective entre des structures qui se revendiquent de l’économie sociale ou dont les statuts les y agrègent, et les autres (artisans, commerçants, libéraux) apparaissaient comme une évidence pour les élus présents. L’ancien maire, l’actuelle, le conseiller général l’ont bien dit. Ce qui compte c’est l’activité, le dynamisme créé et les besoins sociaux auxquels ils répondent. A tel point que l’appel à projets du parc naturel régional en direction des acteurs de l’ESS considère comme pouvant relever de ce périmètre des projets individuels.
Paradoxe pour une économie qui se définit entre autres par la dimension collective de ses démarches (il faut au moins être deux pour créer une association !). Cette extension du champ potentiel de l’ESS par l’impact positif sur le territoire et la complémentarité des initiatives, quels que soient leurs statuts, n’est néanmoins pas sans poser question. S’il est clair qu’on ne vient pas ici pour faire du profit (élément qui rapproche de fait ces diverses initiatives), l’organisation interne du travail, la question de la répartition du pouvoir et des éventuels bénéfices demeurent aux yeux de certains comme des discriminants fondamentaux qui spécifient toujours l’économie sociale. Ne confondons pas, complètement du moins, développement local et économie sociale. Enfin, une convergence majeure apparaissait dans les débats sur un thème fondamental de l’économie sociale : l’économique n’est pas premier ; il n’est ici qu’un des aspects de l’organisation sociale au service des habitants et de leurs besoins.
Aux regards des visites effectuées lors de ces journées portes ouvertes et des débats, il pouvait sembler que l’économie sociale était typiquement faite pour s’épanouir dans des territoires ruraux marginalisés comme le plateau de Millevaches. Des étudiants présents de Châteauroux (pourtant pas une mégapole) s’en étonnaient. Il est vrai que historiquement l’économie sociale s’est d’abord construite comme une réponse ouvrière à l’industrie capitaliste, c’est à dire face aux usines, en milieu urbain. Aujourd’hui, des initiatives en ville existent toujours et il paraît plus juste de dire que l’économie sociale se développe d’abord là où le marché ne vient pas ou ne vient plus : des espaces (ruraux ou urbains donc) qui sont considérés comme non compétitifs par l’économie classique et délaissés pour cette raison même. Le rural de ce point de vue est globalement concerné.
Derrière cette question c’est le reproche sous-jacent qui peut être fait à l’économie sociale d’être une économie réparatrice. Le reproche peut du reste devenir explicite. L’économie sociale ne serait plus alors qu’une “case dans le désastre“ empêchant de penser l’évolution du monde et d’y apporter les “vraies“ réponses. Une incitation à ressourcer nos pratiques d’économie sociale dans le potentiel révolutionnaire – on peut le dire – d’une économie plus collective, attentive aux besoins sociaux et prise en main par ses acteurs eux-mêmes. Réancrage dans le terrain et sur les hommes qui, certes sans faire basculer les trônes et les puissances, avance les pions d’une autre organisation du travail et d’une plus juste place de l’économie dans la société.
Autre question qui a traversé les débats, c’est celle de l’intégration de cette économie, souvent associée à de nouvelles pratiques, voire à une nouvelle culture, dans un pays qui a pourtant connu quelques figures de l’économie sociale historique (Pierre Leroux, Martin Nadaud...) et de nombreuses coopératives. Il est exact que la plupart des initiatives présentes à Faux ont été importées par de nouveaux habitants venus s’y installer depuis une trentaine d’années et soutenus par les élus qui ont toujours revendiqué cette politique volontariste d’accueil. On pourrait discuter du diagnostic porté par quelques voix sur cette dichotomie, certes réelle, mais qui recouvre en grande partie une fêlure qui est moins liée au type d’économie soutenue, qu’aux aléas plus globaux incarnés au cours du XXe siècle par l’exode rural et la concentration urbaine. Tout au plus peut-on se demander si dans la construction actuelle des “nouvelles ruralités“, forcément déstabilisantes pour les rescapés de “l’ancien monde“, l’économie sociale n’a pas une place prépondérante.
Par delà ces différences et ces questionnements, un consensus c’est fait jour au fil des débats. L’économie sociale et solidaire, dans son acception la plus étendue est un formidable outil de production de nouveaux services pour dynamiser et revitaliser un territoire. Ses valeurs, égalité, coopération, solidarité s’articulent particulièrement bien avec les pratiques de concertation indispensable au fonctionnement d’une démocratie participative. Peut-être que nos territoires sont-ils en train de créer, avec ces outils, un nouveau modèle de développement où la croissance n’est pas l’alpha et l’oméga de l’action publique et où le bien vivre prend le pas sur le toujours plus.
La Navette