L’extraction du minerai d’uranium, des mines à ciel ouvert ou de galeries souterraines, donnait lieu à un tri relativement grossier qui consistait à mesurer la radioactivité de la roche extraite, contenue dans le chargement d’un godet ou d’un camion benne, pour y détecter la teneur en uranium. Ainsi certains chargements partaient en usine ou sur des aires aménagées afin d’y traiter le minerai pour en extraire l’uranium, alors que d’autres, ne contenant pas d’uranium ou jugés trop faiblement rentables économiquement2 et appelés “stériles miniers“, étaient mis en tas à côté du lieu d’extraction ; cet endroit ayant pour nom “verse à stériles“. Du fait de la méthode employée pour le tri, certains chargements de stériles pouvaient contenir des roches émettant une radioactivité non négligeable car contenant du minerai d’uranium.
Ainsi, il résulte de la période d’exploitation des mines, la dispersion de poussières radioactives, l’émanation de gaz radon (seconde cause du cancer du poumon après le tabac3), et plus globalement, l’accroissement de la radioactivité4 en surface (ex. : radioéléments présents dans les verses à stériles), ou encore une potentielle contamination des eaux de ruissellement (ex. : chargées en radioéléments au contact des verses) et des sédiments.
En France, si 52 millions de tonnes de minerai ont été extrait pour une production de 76 000 tonnes d’uranium (plus de 32 000 tonnes pour la seule Haute-Vienne), cela engendra l’extraction de 200 millions de tonnes de stériles miniers.
Il était d’usage que des riverains, des collectivités où des entreprises puissent se servir de stériles à des fins de remblayage pour des terres-pleins, des chemins, des soubassements de bâtiments, des aménagements routiers5. Ce n’est qu’à partir de 1984 que les exploitants des mines devaient garder une trace de l’utilisation de ces stériles. Selon le ministre de l’écologie, Jean-Louis Borloo, la cession des stériles s’arrêta définitivement en 2002.
Les éléments radioactifs de la famille de l’uranium, dont certains sont de plus très radiotoxiques, ont une période6 allant de quelques fractions de seconde à 4,5 milliards d’années. Autant dire que les stériles sont des déchets durables. Ainsi, pendant plusieurs décennies, ces éléments ont été disséminés un peu partout en France (et pour la plupart on ne sait pas où), exposant la population à des doses radioactives non négligeables, qui plus est parfois supérieures aux limites sanitaires en vigueur. Ce qui a conduit, à la suite de luttes menées par plusieurs associations, à imposer à AREVA NC la décontamination de certains sites, tels que scierie, parking de restaurant, cour de ferme, cour d’école…
Face aux conséquences d’une politique économique qui n’aura pas pris en compte la population et l’environnement, ne serait-il pas urgent de commencer par récupérer les stériles disséminés ? Cela a sans doute un coût exorbitant qui à lui seul en dirait long sur le bilan énergétique du nucléaire.
A l’étape suivante, les chargements de minerai d’uranium étaient envoyés en traitement afin d’y extraire l’élément uranium par un processus chimique. Cela généra 52 millions de tonnes de déchets appelés résidus de traitement. Ces résidus, qui se présentent sous forme de boues, ne sont pas pour autant dénués de radioactivité. Bien au contraire, ils contiennent, outre 5% d’uranium, des éléments radioactifs de la famille de l’uranium dont le très radiotoxique Thorium 230 dont la période est de 75 000 ans. Ces boues ont été stockées notamment dans des mines à ciel ouvert ou pour remblayer d’anciennes galeries (ce qui pose la question de l’étanchéité de ces sites). Encore, on trouvera ces déchets, par exemple, à l’emplacement d’un parking de terrain de football. Globalement on se posera des questions quant au confinement de ces déchets et à leur surveillance sur des périodes aussi longues.
L’Etat a fait le choix d’une énergie électrique produite essentiellement à partir de cette puissance phénoménale qu’est l’énergie nucléaire. Mais, face à cette économie du court terme décidée au seul niveau de l’Etat, cette puissance le dépasse en imposant à l’humanité (présente et future) un temps qui n’est pas à sa mesure, plusieurs milliards d’années. Qu’est-ce que signifie pour l’humanité et son environnement, de créer une chose qui n’est pas à sa mesure (en terme de temps, comme en terme de puissance) ?
Aujourd’hui l’Etat semble enfin vouloir répondre aux problèmes liés aux anciennes mines d’uranium. En effet, en juillet dernier, une circulaire7 du ministère de l’écologie et de l’Autorité de Sûreté Nucléaire a été adressée aux préfets des régions concernées par les anciens sites miniers, dans laquelle Jean Louis Borloo reconnaît que “la connaissance des anciens sites est aujourd’hui perfectible“. Un plan d’action devra être engagé par AREVA NC et les services de l’Etat, avec une invitation “à largement associer les CLIS8, et d’une manière plus générale les populations et les élus locaux“. Les mesures sont les suivantes :
1. “Contrôler les anciens sites miniers“9. Il est notamment précisé “qu’une attention particulière devra être portée (…) aux sites sur lesquels des déchets (autres que miniers) ont pu être entreposés par le passé“. On pensera alors aux scandales révélés autour des anciens sites des monts d’Ambazac en Haute-Vienne (présence de plusieurs milliers de tonnes de boues radioactives, décharge de fûts contaminés et autres ferraille, contamination des eaux alentour) ; révélations dues notamment à l’action de l’association Sources et Rivières du Limousin10 et du laboratoire de la Criirad.
2. “Améliorer la connaissance de l’impact environnemental et sanitaire des anciennes mines d’uranium et la surveillance“. Cependant, pour cela, l’Etat a demandé à AREVA NC d’établir un “bilan de fonctionnement“ de ces sites, autrement dit, que l’exploitant effectue lui-même les mesures radiologiques et l’état des lieux. Cet inventaire qui n’est finalement qu’un autocontrôle, qui existe déjà pour la Creuse11 et qui a été remis aux maires des communes concernées, quelle confiance peut-on lui porter ?
3. “Gérer les stériles : mieux connaître leurs utilisations et réduire les impacts si nécessaire“ avec l’instauration de “servitudes sur les terrains où se situent des dépôts significatifs“. Là encore, le recensement, qui devra être réalisé dans un délai de deux ans, se fera sous la responsabilité d’AREVA NC. Le ministre souligne également qu’ “il ne faut pas remettre en cause les utilisations passées“ de ces stériles. Est-ce à dire que personne n’est responsable de leur dissémination et des éventuels dommages qu’ils causent ?
4. “Renforcer l’information et la concertation“, ce que proclame aussi AREVA NC. Le 28 octobre 2009, dans le cadre du plan d’action de la circulaire, l’exploitant invitait les journalistes et les élus concernés, à la démonstration d’un recensement des lieux d’utilisation des stériles en Creuse, à l’aide d’un hélicoptère équipé d’instruments de mesures… mais aucune association prenant part dans ce dossier (telles que Sources et Rivières du Limousin ou Oui à l’avenir12) ne fut invitée13.
Dans ses grandes lignes, cette circulaire semble malgré tout aller dans le bon sens, notamment par le fait “d’interdire tout nouveau projet de valorisation de stériles issus d’anciennes mines d’uranium “. Mais que vaut-elle au regard d’un revirement ministériel ayant eu lieu quelques mois auparavant ? En effet, alors que depuis 2002, à la suite de batailles menées notamment par le Réseau Sortir du Nucléaire, le code de la santé publique interdit l’ajout de substances radioactives aux biens de consommation et aux produits de construction, le 5 mai 2009, un arrêté14 permet de délivrer des dérogations à ces interdictions, et ce malgré l’avis défavorable de l’Autorité de Sûreté Nucléaire.
Entre la fin des années 50 et la fin des années 80, le plateau de Millevaches a connu quelques mines de taille relativement modeste. La production fut de 692 tonnes d’uranium. Hyverneresse (communes de Gioux et Croze) et le Boucheron (Davignac) furent les sites les plus importants. De plus petits sites virent également le jour au Longy (Millevaches), à La Bréjade (Saint-Augustin), à La barrière (Darnets), au Jacquet (Davignac) ainsi qu’en bordure du Plateau, à La Vedrenne (Egletons) et aux Salles (Ussel). Ce dernier site n’aurait pas engendré de production de même que celui de Salamanière (Peyrelevade). D’autre part, le plateau de Millevaches connaît nombre de gisements, n’ayant pas généré de production, mais qui furent tout de même l’objet de permis de recherche, de permis d’exploitation ou encore de concessions dont certaines sont encore valides jusqu’en 201815.
Doit-on s’étonner, sinon s’inquiéter, que le site minier du Boucheron fût cédé en 1989 à un carrier, toujours en activité à ce jour ?
Au Longy, la mine à ciel ouvert a été en partie mise en eau. Selon une enquête de Télémillevaches16, la raison en était l’utilité d’avoir une réserve d’eau pour les incendies. Si on peut raisonnablement douter de la facilité d’accès à cette eau aux engins de pompiers, on s’interrogera des effets que pourraient engendrer une telle pratique quant à la dissémination de particules radioactives potentiellement contenues dans cette eau.
A la fin du mois de septembre 2009, des habitants du plateau, avec l’aide de l’association Oui à l’avenir, ont pu constater que sur le site d’Hyverneresse, en grande partie libre d’accès et ne faisant aucunement mention d’une ancienne activité minière, on pouvait recevoir des doses radioactives allant jusqu’à quatorze fois (3,20 Micro Sieverts/heure) le niveau de radioactivité ambiante habituelle (0,23 Micro Sieverts/heure), notamment à l’exutoire du site (l’exutoire étant un point où se concentrent les eaux de la mine). Celui-ci se jette dans le ruisseau de la Brousse qui, lui-même, rejoint la Creuse.
On dit que la dernière mine d’uranium française fermait en 2001, à Jouac en Haute-Vienne. Force est de constater que la fermeture de ces mines ne se décrète pas. Elles sont toujours en activité. Radioactives.
Quand et comment les ferme-t-on, définitivement ?
NOTES
1 Selon l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire). Depuis 2004, cet organisme d’Etat a entrepris un inventaire des anciennes mines d’uranium baptisé MIMAUSA consultable sur le site internet www.irsn.fr
2 Ce “seuil de coupure économique“ variait d’un site à l’autre.
3 Selon l’Agence Internationale de Recherche sur le Cancer.
4 La radioactivité est un phénomène naturel que l’on côtoie tous les jours à de faibles doses, avec des émissions un peu plus fortes sur les terrains granitiques (Limousin, Bretagne…). Cependant on considère qu’une couche de quelques centimètres de terre diminue de moitié cette radioactivité. Ainsi, nous sommes protégés en grande partie de ces éléments lorsqu’ils sont sous terre, ce que l’activité minière va remettre en question en déstabilisant cet équilibre notamment par la présence de ces verses à stériles.
5 Cf. plusieurs exemples sur le site internet du laboratoire indépendant de la Criirad : www.criirad.org
6 Période d’un élément : durée pendant laquelle un élément perd la moitié de sa radioactivité. On estime que celle-ci disparaît quasiment au bout de 10 périodes.
7 Consultable sur le site internet de l’Autorité de Sûreté Nucléaire : www.asn.fr
8 Commission locale d’information et de surveillance. (Commission départementale composée de représentants d’AREVA, des services de l’Etat, d’élus et d’associations).
9 Ne seront cependant pris en compte que les sites inventoriés dans la base de données MIMAUSA. On peut se demander si cette liste est aujourd’hui exhaustive. En effet, depuis sa création, les versions successives de l’inventaire ont vu le nombre de sites miniers augmenter.
10 Cette association fait partie du Groupe d’Expertise Pluraliste du Limousin qui est chargé de porter un regard critique sur les documents techniques d’AREVA NC pour les sites de Haute-Vienne, et de donner un avis, à l’administration et à l’exploitant, sur la gestion et la surveillance de ses sites : www.sources-rivieres.org
11 Etait consultable en partie sur le site internet de la DRIRE Limousin (http://www.nouvelle-aquitaine.developpement-durable.gouv.fr/). Il y manque les annexes contenant entre autres des cartes précises avec les points d’analyses radiologiques effectuées par AREVA NC.
12 Association Oui à l’avenir : Mairie 23260 Crocq tél 05 55 66 50 24. Celle-ci fait partie du réseau Sortir du Nucléaire qui fédèrent 847 associations agréées pour la protection de l’environnement (http://www.sortirdunucleaire.org/)
13 Cf. le journal La Montagne – Creuse, article du 29 octobre 2009
14 Publié au Journal Officiel du 14 mai 2009 et signé par le ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de la Mer, le ministère de la Santé et des sports, et le ministère de l’Economie, des Finances et de l’Emploi. Cf. www.criirad.org
15 Concessions (encore valides ayant ou non connues une exploitation minière) :
-de Beaumont où se situe la mine de la Bréjade (valide jusqu’en 2010 ; communes de Chaumeil, Mérignac l’église, Corrèze, Saint Augustin, Beaumont, Orliac de Bar),
-du Boucheron où se situe les mines du Boucheron et celle du Jacquet (2013 ; Davignac)
-du Puy Curade où se situe la mine du Longy (2013 ; Millevaches, Saint Setiers, Saint Sulpice les Bois, Sornac)
-de Millevaches (2018 ; Millevaches, Peyrelevade, Saint Setiers, Saint Sulpice les Bois)
-de Morneix (2018 ; Saint Setiers, Le Mas d’Artige, Féniers)
-de Drouillat où se trouve le site de Salamanière (2018 ; Peyrelevade, Saint Setiers, Pigerolles, Féniers)
Une carte et un tableau plus détaillé sont consultables sur le site internet d’IPNS : www.journal-ipns.org
16 Numéro 10 du Magazine du Plateau, mai 1994.