Des poètes, des écrivains, comme Georges-Emmanuel Clancier ou Pierre Bergounioux, le directeur de la Faculté des Lettres de Limoges, des revuistes, des amateurs de littérature, des professeurs, viennent de signer un courrier collectif pour qu’un hommage soit prochainement rendu au grand poète Joseph Rouffanche, né en 1922 à Saint-Léonard-de-Noblat, salué par Bachelard ou Soupault, Prix Mallarmé en 1984, publié chez Seghers et Rougerie, auteur d’une anthologie sur 12 poètes limousins éditée par les Cahiers de Poésie Verte de Jean-Pierre Thuillat. Etrangement, c’est surtout l’université de Bordeaux, où officie l’un de ses anciens élèves, le professeur Gérard Peylet, qui lui a consacré des colloques et publications, tandis que le Limousin semble plus timoré pour le saluer comme il se doit. Ainsi n’a-t-il jamais été invité, par exemple, à une manifestation comme les Auteurs vivants ne sont pas tous morts, ainsi le président du Centre Régional du Livre n’a-t-il pas cru bon d’accuser réception de la lettre envoyée par le collectif, pas plus d’ailleurs que le directeur des Affaires Culturelles. Rouffanche est pourtant un poète important, un “oiseleur“, comme j’ai tenté de le montrer dans mon ouvrage Du pays et de l’Exil – Un Abécédaire de la littérature du Limousin paru en 2008 aux Ardents Editeurs. Quant à Jean-Pierre Thuillat, directeur de la revue Friches, il écrit notamment, dans Balade en Limousin - Sur les pas des écrivains (Alexandrines, 2009) : “Nous sommes un certain nombre à penser que l’heure serait (...) venue de l’en faire sortir [de sa retraite] pour un couronnement mérité et un grand salut au poète octogénaire“
Voici un livre que j’aimerais faire découvrir, parmi les autres : Instants de plus suivi de En progrès d’ombre, Rougerie, 2004. Rouffanche ne cesse d’écrire sur ses derniers instants, recueil après recueil: L’Avant-dernier devenir, En laisse d’infini, et cette fois : Instants de plus suivi d’ En progrès d’ombre. Le style et l’inspiration demeurent les mêmes, même si Instants de plus est une suite de tercets, avec ou sans ponctuation, mais se terminant toujours par un point. Il s’agit en quelque sorte d’épiphanies gagnées sur le temps qui passe, des fulgurances aphoristiques de l’instant présent.
Parmi les figures de style chères à l’auteur, l’ellipse intéressante des articles, par exemple : “Sur toile goudronnée/où leurs hymens roucoulent/piétinent les colombes“ Cette économie ajoute à la brièveté, tente d’aller à l’essentiel et renforce à la fois le sentiment d’urgence et l’allure de psaumes ou proverbes bibliques. Le mot “ellipse“ est d’ailleurs utilisé à diverses reprises: les “ellipses d’amour“ sont-elles des regrets ? Rouffanche propose donc des images et des métaphores où se côtoient souvenirs d’enfance, nature idéalisée rousseauiste, fleurs et femmes, neige et parfums, mer et humains, parents, amis, inconnus… ensemble unis avec élégance par les mots simples du poète; ainsi: “Oblats au fond des bruines./Anémones des bois/dans des cils de poupée“, Rouffanche est toujours à la recherche du temps perdu et de l’Absolu, il y tend mais ne l’atteint pas, comme chacun d’entre nous. On le suit dans son désir de “Rejoindre la tendresse/en habit de merveille/dans un pré sans personne“.
Suit la deuxième partie, “En progrès d’ombre“, aux textes plus longs, la plupart du temps de deux strophes, avec cet impératif dans le malheur ou la détresse : “il faut chanter.“ Alors viennent les belles assonances, les heureuses métaphores, et les hommages aux Grands d’Espagne : Cervantès, Machado, Lorca. Et l’ange n’est jamais loin, ni la part divine, et toujours est chantée la campagne limousine : “Moutons dessus/taupes dessous/prés limousins contre chez nous.“ Et toujours les oiseaux et les fleurs -images pures et légères-, et la nostalgie de celui qui était un “joli cœur“, un “cœur de lumière“, et toujours le regret : “Loriot surpris crie de frayeur/qu’il est tard pour revivre/la splendeur infinie !“. Bientôt, le poète le sait, viendra “le Déchirant“, il a besoin d’exorcismes simples : “trois fleurs dans le vase du jour“, voir passer un papillon blanc, écrire encore, quand “tout s’apaise“ même si l’ombre progresse.
Certains disent que Joseph Rouffanche est d’un autre temps ou pire, qu’il a fait son temps et, sans doute, faut-il toujours aller au fond du gouffre pour y trouver du nouveau… Mais, justement, c’est cet autre temps qui séduit dans l’écriture et l’inspiration de Rouffanche, cette impression douce-amère de suranné, cette nature crépusculaire, cette volonté de retenir les impressions fugitives et de se souvenir d’un monde qui n’exista peut-être jamais.
Laurent Bourdelas