C’est presque la règle, chez nous, en France, de penser qu’on a une longueur d’avance sur nos voisins. En fait c’est généralement une longueur de retard. Concernant la prévention en cas d’accident nucléaire, ce retard se confirme et ne va pas se combler. D’une part le lobby nucléaire français a donc toujours des visées expansionnistes et ne veut pas afficher ses faiblesses qui pourraient décourager ses clients. D’autre part les nucléaires civil et militaire sont fortement liés et la consigne du secret-défense s’applique, par habitude et par extension, du militaire au civil. L’Etat a ainsi les coudées plus franches pour établir les niveaux de sécurité à sa convenance, puisqu’il est à la fois juge et partie.
Depuis l’accident de Tchernobyl le 26 avril 1986, les leçons n’ont pas été tirées. Il n’y a pas de changement notable dans la politique de prévention. Les autorités sanitaires, n’ayant plus tout à fait le monopole sur les mesures de radioactivité dans l’environnement, essaient d’améliorer la communication vers le public, d’apparaître plus crédibles. Mais l’objectif n°1 reste le même : rassurer les populations1. L’information sur la conduite à tenir en cas d’accident nucléaire n’est pas, et ne sera pas, au programme de l’éducation sanitaire. Elle sous-entendrait qu’un accident est possible, et que le nucléaire est donc dangereux aussi chez nous. Pas question de ternir l’image d’Areva. En France la prévention est confiée aux préfets, à charge pour eux de préserver leurs administrés le jour de l’accident, par des recommandations de confinement, et par une distribution urgente d’iode à tout le monde. Et c’est là que le bât blesse. Il faut rester enfermé chez soi, et, dans le même temps, courir à la pharmacie pour chercher l’iodure de potassium, en apnée si possible, pour éviter d’inhaler à la fois et l’iode 131, et le césium 137, et le strontium 90 et bien d’autres radio-éléments. L’absurdité, et le danger, d’une telle prévention n’ont pas encore sauté aux yeux de nos responsables.
Pourtant les directives de l’organisation mondiale de la santé (OMS) sont claires. Il faut d’une part se mettre tous à l’abri du nuage radioactif sans délai, et d’autre part prendre aussitôt son comprimé d’iodure de potassium qui évitera que l’iode 131 du nuage se fixe sur la thyroïde. Pour que cette prise immédiate d’iode soit possible, l’OMS recommande que dans un rayon de 500 km autour des centrales nucléaires toutes les maisons et les bâtiments accueillant des collectivités (écoles, hôpitaux, etc) soient pourvus en iodure de potassium. La France entière est donc largement concernée. L’OMS est obligée de faire les yeux doux aux nucléocrates de l’agence internationale pour l’énergie nucléaire (AIEA), avec laquelle elle a malencontreusement signé un contrat de coopération depuis 1959. Mais elle sait quand même qu’il faut être prudent depuis Tchernobyl.
Pour finir de se rassurer, il n’est pas déraisonnable d’imaginer que la gravité des accidents à venir soit, comme pour les précédents, volontairement minimisée. Le jour où Civaux par exemple laissera échapper des effluents radioactifs gazeux qui, sous un vent de Nord-Ouest à 30 km/h, seront sur le Limousin dans les 3 heures, l’alerte ne sera pas obligatoirement donnée si la fuite n’est pas considérée comme majeure1. En effet, le lobby nucléaire français et l’AIEA veulent à toute force redorer le blason du nucléaire. C’est ainsi qu’ils s’emploient activement à tenter de “réhabiliter“ les zones contaminées en Biélorussie et en Ukraine, en déclarant que, 20 ans après, tout est presque rentré dans l’ordre, et que les habitants évacués en 1986 peuvent maintenant rentrer chez eux et reprendre une vie normale2. Le mensonge est de rigueur, pour tenter de tourner la page Tchernobyl. Le mensonge est énorme, mais il ne leur fait pas peur. On pourrait parfois se croire dans le “1984“ de George Orwell.
Concrètement, il est conseillé à chacun de se procurer une boite de iodure de potassium 130 mg, auprès de son pharmacien et de la garder dans sa maison. Là où il y a des enfants, des femmes enceintes, et des adultes de moins de 40 ans, il faut de l’iode. Toutes les écoles devraient être équipées. La dose est de 1 comprimé pour les enfants à partir de 12 ans, les femmes enceintes et les adultes, 1/2 comprimé pour les enfants de 3 à 12 ans, et 1/4 de comprimé pour les nourrissons.Théoriquement la prise est unique. Si les passages de gaz radioactifs sont répétés ou permanents, une 2ème prise pourrait être indiquée quelques jours plus tard. La vente en est libre, sans ordonnance, par une autorisation de mise sur le marché (AMM) qui date de 1997, toujours en vigueur, via les grossistes-répartiteurs CERP, OCP, et ALLIANCE, qui se partagent le marché de la distribution aux pharmacies. Curieusement OCP et ALLIANCE de Limoges ne voulaient pas commander ce produit, alors que le siège social de ces 2 entreprises confirmait l’autorisation de vente libre aux particuliers. Après quelques échanges de courrier, les choses paraissent s’arranger. Pour conclure, le désespoir est permis. Les maux s’accumulent, aucun ne chasse l’autre. Il faut continuer à se battre sur tous les fronts. La vie est belle quand même (sauf pour ceux de Tchernobyl).
Joseph Mazé