La démocratie est le meilleur des régimes, tout le monde s’accorde à le dire (encore pouvons-nous remarquer que nous essayons d’y échapper en confiant à un président tout puissant le soin de conduire nos affaires ; mais là n’est pas la question). De toute façon, de bonnes institutions, comme de bons outils, ne suffisent pas à assurer de bons résultats. Quelles sont donc les conditions complémentaires de la réussite ? Les élections municipales peuvent-elles, sur ce point, apporter quelques enseignements ?
Dans les petites communes, le plus souvent, deux équipes s’affrontent, conduites chacune par des prétendants à la fonction de maire dont les motivations peuvent être très différentes, allant du désir désintéressé de travailler au bien commun à celui d’exercer un pouvoir pour en être récompensé. Seul l’examen de situations concrètes peut nous faire progresser dans la recherche de la meilleure solution et surtout nous préserver d’erreurs quelquefois lourdes de conséquences. Parmi d’autres, voici un exemple.
Une commune d’un département voisin, de moins de mille habitants, s’était engagée depuis plus de vingt ans à poursuivre trois objectifs :
Au cours de quatre mandats, cette politique, poursuivie par des conseils qui s’enrichissaient à chaque élection de quelques nouveaux éléments, a produit des résultats :
Grâce à cela, le village a pu conquérir une certaine notoriété qui lui amena de nouveaux résidents, en même temps que se dessinaient de nouveaux objectifs qui permettraient de conforter son activité. En particulier, un prieuré, dans un cadre particulièrement attrayant, devenant disponible, il fut envisagé d’en faire un centre culturel et touristique qui apporterait au village et à toute la région les moyens d’accueil qui leur manquaient, tout en étant lui-même objet de visites et d’activités. Ce projet reçut l’approbation de l’État et de la Région de telle sorte qu’il fut inscrit dans le Contrat de Plan 2001-2007 au titre des grands travaux d’aménagement du territoire.
Vinrent les élections municipales de 2001.
La gestion d’un village actif, de surcroît classé parmi les plus pittoresques, suscite beaucoup d’envie, en particulier parmi les habitants nouvellement installés qui y voient le moyen d’occuper leur récente inactivité. Ce désir est légitime et généralement profitable à la communauté lorsque ceux-ci s’engagent à poursuivre un travail depuis longtemps commencé et qui a accumulé à la fois expérience et relations. Mais il n’en est pas toujours ainsi.
Dans ce village, deux équipes sollicitaient le suffrage des électeurs ; celle qui, depuis plusieurs mandats, tout en se renouvelant, poursuivait le même objectif, une autre, conduite par une personne tout récemment arrivée dans le pays, qui se sentait l’envie et la capacité de diriger la commune.
Comment pour cette liste, qui n’avait pas d’état de services à montrer, espérer l’emporter sur celle dont le bilan était incontestable ?
Elle choisit tout simplement d’effrayer les électeurs en leur faisant croire que le projet de la première priverait chacun des services qu’il pouvait attendre de la commune. Cette crainte fut répandue habilement dans chaque maison, accompagnée de promesses adaptées à chaque interlocuteur : pour les uns c’était la réfection d’un trottoir, ailleurs le renforcement de l’éclairage public, pour d’autres la promesse d’un emploi… Ces arguments arrivant dans un contexte général de méfiance (c’était le temps de la vache folle et de la préparation à l’euro), l’emportèrent largement au point que cette liste fut élue en totalité. La population se réjouit alors d’avoir échappé à un grand péril.
Le nouveau maire s’acharna à effacer les traces du travail de l’ancien conseil partout où cela était possible; abandonnant évidemment les projets en cours, vendant les maisons destinées par la commune à faire des logements locatifs, vendant jusqu’à la cure communale et une place publique, arrachant les plantations récentes faites par l’ancienne équipe…
Deux ans après, les vainqueurs avaient fait la preuve de leur incapacité à gérer convenablement la commune de telle sorte que le tiers des conseillers démissionnèrent. Lors des élections partielles qui suivirent, les candidats de l’ancienne équipe furent tous élus ; le maire à son tour démissionna entraînant une nouvelle élection qui confirma le revirement des électeurs. Mais le mal était fait.
A l’extérieur l’image du pays était ternie, les projets abandonnés avaient vu leur financement s’orienter vers d’autres objectifs et les habitants, s’ils ne soutenaient plus une équipe discréditée, conservaient encore une partie des craintes qui leur avaient été inspirées.
Le reste du mandat ne put complètement corriger ces désordres ni rattraper les occasions perdues, d’autant moins que les derniers élus des élections partielles de 2003 n’avaient pas la majorité et si la vie communale retrouva plus de calme, des plaies avaient été ouvertes qu’il était difficile de refermer.
Les élections de 2008 en firent partiellement la preuve.
Une nouvelle majorité se constitua autour de l’ancienne équipe favorable au projet du centre culturel et touristique mais de nouveaux prétendants à la direction de la commune utilisèrent encore, bien que plus timidement, les mêmes procédés qui avaient fait le succès provisoire des élus de 2001.
Cette histoire d’une petite commune ne serait qu’anecdote si elle ne s’était observée en de nombreux endroits. Le journal Le Monde consacrait dans son édition du 3 avril 2008, une page entière à des événements semblables observés dans des villes plus importantes. Il y est raconté que les municipalités de Saint-Étienne, Béthune, Lodève, Rodez, Chalon-sur-Saône avaient chuté à cause de projets, d’urbanisme ou culturels, qui avaient pour objectifs la valorisation à long terme de leur ville
Bien sûr, la faute est aussi du côté des battus, pour n’avoir pas su suffisamment expliquer et convaincre et tout simplement d’avoir été trop confiants dans la qualité de leurs propositions. Il reste qu’une des faiblesses de la démocratie est d’ouvrir trop souvent la porte à la démagogie. Quel remède à cela ?
Expliquer inlassablement que le confort de chacun n’est pas seulement fait de petits avantages personnels, ceux qui sont immédiatement visibles, généralement situés autour de chaque habitation, mais dépend d’un ensemble beaucoup plus complexe. S’il est bien que les routes soient entretenues, l’éclairage public suffisant, le village attrayant, cela ne suffit pas à y rendre la vie confortable. Il faut pouvoir y trouver une grande variété de services. Le retraité le moins exigeant attend qu’il y ait un bon médecin pour le soigner, des artisans pour le dépanner…Ces conditions élémentaires ne sont plus aujourd’hui données d’avance. Il faut en particulier que le pays soit suffisamment attractif pour y retenir de jeunes familles naturellement intéressées par la richesse et la variété de la vie urbaine.
Pour que nos pays puissent satisfaire ces besoins de sociabilité il est nécessaire qu’on se préoccupe de quelques nouvelles questions comme l’accueil des personnes, les activités culturelles, les relations avec l’extérieur. Ce sera donc le rôle des élus d’un territoire de ne pas oublier ces conditions “invisibles” mais bien réelles de la vie sociale.
Promettre de satisfaire les désirs immédiats et émiettés de chaque électeur est peut-être le moyen de gagner une élection, mais c’est conduire, plus ou moins rapidement, la population et un territoire dans une impasse.
Si, à l’inverse, on se préoccupe de répondre aux nouveaux besoins de la population, en particulier des jeunes, si l’on arrive à construire un pays où il est agréable de se rencontrer, de participer à des manifestations de qualité, on ajoutera à ce qui fait le succès des villes nos propres avantages, ceux de l’espace, de la qualité de l’air, de nos paysages, l’avantage aussi de relations plus apaisées. Nous pourrons y ajouter le sentiment d’appartenir à une communauté ou à un pays dont l’identité est bien perçue, non seulement sur place, mais tout autant à l’extérieur. Ces conditions ne se construisent pas en un jour, il faut y consacrer du temps, quelques moyens mais surtout de la persévérance et du discernement. Alors, villages et campagnes ne seront plus ces lieux éloignés, un peu délaissés, mais des lieux à la fois protégés et ouverts sur le monde, enrichis de tout ce que les hommes savent inventer de bien.