Mardi 3 Septembre. Aujourd’hui, pour la première fois depuis deux mois, elle n’est pas apparue.
J’ai pourtant passé toute la nuit à guetter à la fenêtre, comme tous les mardi, et parfois aussi les autres jours de la semaine, au cas où…
Tout a commencé un mardi comme celui-là, le 2 Juillet, très précisément. Je me souviens, il faisait si bon que j’étais sorti sur le balcon pour profiter de l’air de la nuit. J’avais passé toute la soirée à écrire, écrire, et écrire encore, et j’avais besoin de me changer les idées, de voir le monde bouger à mes pieds, les gens qui passent sans jamais lever la tête, et qui ne se doutent pas de tout ce qui passe au dessus d’eux, qui ne se doutent pas des yeux qui les observent, les suivent jusqu’au moment où la ville les aspire à nouveau.
Je voulais me nourrir de ce qui se passait sous ma fenêtre, voyeur et voleur d’images, de sensations, de bruits et d’odeurs…
Mon appareil photo pendait autour de mon cou, pesant comme un animal mort. Mais je savais qu’il suffirait d’un signal pour le ramener à la vie, et le lancer à la chasse ; je savais qu’il saurait me désigner les meilleures proies, et qu’il les attraperait, pour le plus grand plaisir de mes nuits solitaires. Il avait suffi de quelques semaines pour couvrir les murs de l’appartement de photos prises de mon balcon, à l’aube ou au coucher du soleil, symboles de mes insomnies, rêves qui peuplent mes jours et mes nuits.
Mais cette nuit là, cette nuit là… Ce fut un chant qui attira mon attention en premier. Un chant joyeux et vif, dans une langue étrangère qui sonnait agréablement, bien que je fusse incapable de la reconnaître. Je dirigeais mon regard dans la direction d’où venait cette voix, en haut de l’avenue, derrière les tilleuls en fleur. C’est alors que je la vis : elle descendait sur une vieille bicyclette qui ronronnait au rythme du mouvement de ses pieds, les cheveux au vent, la tête vers le ciel, chantant à tue-tête cette chanson incompréhensible, et un sourire illuminait son visage. Je restai un moment à la suivre du regard, puis eus le réflexe de saisir mon appareil photo pour attraper cet ange qui passait sous ma fenêtre. Elle ne me vit pas, ne se rendit pas compte que je la mitraillais et continua sa chanson alors qu’elle dépassait mon balcon, illuminée par la lumière douce et orangée du réverbère. Quelle heure était-il ?
Combien de temps restais-je ainsi, tourné vers le point où elle avait disparu ?
Au matin, de peur que cette apparition n’ait été qu’un rêve, je me jetais à corps perdu dans mon labo-photo pour développer la pellicule, pour vérifier qu’elle était bien là, sur le négatif. Ce fut son sourire qui fut révélé en premier, puis ses yeux, profonds comme le ciel, et peu à peu, elle apparut en entier, ange brun aux cheveux dansants, dont la robe se soulevait sous les bouffées coquines du vent. J’arrachai précipitamment les photos qui couvraient les murs de l’appartement pour les remplacer par l’ange, sous tous ses angles, agrandissements de sa bouche, de ses yeux, de sa chevelure, de sa robe mouvante, de son pied délicat sur la pédale… Je passai mes jours au centre de la pièce, regardant les photos, admirant la perfection de son corps, de chacun de ses détails. Je lui découvris un grain de beauté dans le cou, devinai la courbure de ses hanches, imaginai le poids de ses seins dans mes mains… Et quand vint la nuit, je retournai à mon balcon, avec la secrète espérance de la revoir.
Et elle revint…
Il lui prit un jour l'envie d'écrire.
Ecrire avec une plume sur du papier crème, tels les parchemins anciens. Ecrire comme lorsqu'elle était enfant et qu'elle trempait ce métal acier dans le petit encrier du pupitre de son école. Peut-être parce qu'elle vivait non loin du pays de Georges Sand. Peut-être parce qu'elle fut fascinée par le personnage lorsqu'elle visita sa demeure de Nohant, lors qu'elle y revint pour mieux écouter son incroyable histoire, mieux goûter ce que fut la richesse de quelques sonorités des sonates de Chopin comme si les notes résonnaient encore à travers la porte capitonnée de la chambre qui lui était dédiée. Il lui prit un jour l'envie d'écrire comme on découvre un trésor en soi, une émotion vierge, une jeune pousse si fragile que l'on en a d'abord un mouvement de recul, avant que nos yeux ne s'illuminent d'une petite lueur soutenue d'un léger filet de larmes. Il lui prit un jour l'envie d'écrire, d'apprivoiser sa rose, la cultiver et la faire vivre.
Nelly RoussièreIl me semblait que ma boussole était détraquée. Je n'avais toujours pas trouvé la passerelle qui enjambe la rivière alors que je marchais à l'est depuis une heure d'après ce que m'indiquait l'aiguille. C'est pourquoi je décidais de m'attabler à la grosse pierre carrée, couverte de mousse,, qui était devant moi. Je tapotais sur la boussole tant et si bien que le soleil se trouvait maintenant au nord. Manifestement, j'étais perdu. La peur me chatouillait l'esprit, je pensais à toi et m'imaginais devoir me nourrir de rhizome amer quand j'aperçus au loin un visage.
Avec beaucoup de tact je laissais l'inconnu se rapprocher. Quand il fut à proximité je voulus l'apprivoiser en lui proposant un peu de mon whisky de douze ans d'âge mais l'homme n'avait pas l'air doué pour les palabres. J'avais beau manifester des incantations jubilatoires à son égard, je n'en tirais pas un mot. Comment retrouver mon chemin?
François B.
Il est huit heures du matin et la terre s'ouvre en craquant
le soleil est déjà dans mes yeux
Les tourterelles vont et viennent, branches au bec
La radio derrière moi, annonce les nouvelles du monde
Le soleil est à ma droite, à l'est à vrai dire
Mes pieds sont bien dans mes chaussures
J'appréhende de faire mes premiers pas
La tourterelle s'amène avec une nouvelle branche
Par la fente dans la terre, je vois germes de pois
C'est mes lunettes qui font que tout tremble ?
Ou c'est l'eau qui avance devant moi
Dans son peignoir de brume
Après les nouvelles, la musique continue
Comme rien n'était arrivé
Ou justement parce que tout arrive
Je me lève et j'y vais