Dès le Moyen Âge, l’usage collectif de certaines terres permettait de faire paître gratuitement son bétail en dehors de ses terres, dans les landes et les tourbières souvent communales. Pendant des siècles, les dents des brebis ont ainsi façonné les paysages en une mosaïque de milieux agropastoraux typiques abritant leurs cortèges d’espèces inféodées. Cependant, considérés comme un frein à l’entreprise individuelle et au progrès agricole, ces droits d’usage sont progressivement limités puis supprimés dès 1889. La notion de propriété individuelle s’impose.
La suppression des parcours affecte les paysans les plus pauvres accentuant l’exode rural des terres du Plateau. Au cours du XXe siècle, la modernisation de l’agriculture favorise l’abandon des pratiques agricoles traditionnelles. Les systèmes d’élevage reposent de plus en plus sur la culture fourragère et les vaches remplacent progressivement les brebis. L’exploitation pastorale disparaît peu à peu. Les landes et les tourbières considérées comme des milieux peu productifs, et peu mécanisables pour ces dernières, sont délaissées. Or en l’absence de pâturage, ces milieux semi naturels vont se fermer, s’envahir d’espèces colonisatrices telles que la molinie pour les zones humides ou de ligneux, comme le genêt et le bouleau sur les zones plus sèches, et le cortège animal et végétal va perdre en diversité. La remise en pâturage de ces milieux représente donc une priorité pour le Conservatoire d’espaces naturels du Limousin (CENL). Ce mode de gestion, intégré au circuit économique local, permet non seulement aux agriculteurs d’être acteurs de la conservation de ces milieux mais également de pérenniser les pratiques adéquates grâce notamment à la signature de baux ruraux à clauses environnementales et de mesures agro-environnementales.
En 2017, avec la création de 3 groupements pastoraux sur le Plateau, un nouveau type de partenariat émerge entre le CENL et des éleveurs ovins en brebis limousines. L’idée de départ est d’entretenir et de valoriser les milieux naturels du Plateau en mettant en œuvre un pâturage itinérant 6 mois par an. Pour les espaces naturels, c’est le mode de gestion pastorale idéal puisque, outre le fait de ne pas clôturer toutes les parcelles, ce qui peut représenter un énorme investissement, la conduite de troupeau par un berger permet une gestion très fine du chargement et une adaptation de la pression pastorale au gré des besoins des milieux. Pour les éleveurs, il y a aussi de nombreux avantages : le regroupement des troupeaux, l’augmentation de la surface de fauche, la diminution de la quantité de travail par le partage, l’augmentation de la rentabilité des exploitations et, peut-être à la clé, la création d’emplois (sur 6 ans de gardiennage, 4 bergers installés sur le secteur). Les groupements pastoraux peuvent permettre des installations agricoles avec moins de surface tout en gardant une autonomie alimentaire, ils sont un outil pour rouvrir des surfaces et les réintégrer à la surface agricole. Ils doivent également permettre une meilleure rémunération du travail avec le développement de la vente directe.
Lise et Fabrice récemment installés et riches d’expériences pastorales vécues dans plusieurs coins de la France, ont décidé de créer un groupement pastoral (voir l’encadré) avec Pascal, éleveur à Millevaches. Le GP des Mille Sonnailles est créé en avril 2017. L’idée est de mélanger les troupeaux des deux exploitations, pour les mener en estive sur deux sites du CENL : la tourbière du Longeyroux et les sources de la Vienne. Préalablement, un important travail de concertation portant sur la rédaction d’une convention pluriannuelle de pâturage reproductible a eu lieu.
Sur la plus vaste tourbière du Limousin, certaines parcelles privées étaient à l’abandon depuis une trentaine d’années, et d’autres, dont la gestion est confiée au CENL, en défaut de pâturage depuis 2012, faute de clôtures et de financement pour les poser. La tourbière avait déjà fait l’objet dès 2007 de la mise en œuvre d’un pâturage ovin itinérant grâce à un contrat Natura 2000. Près de 40 hectares de landes et tourbières avaient ainsi pu être restaurés et pâturés pendant 5 ans. Cependant, malgré les efforts du CENL pour le renouveler, le pâturage itinérant n’avait pu être reconduit entre 2012 et 2016, faute de financement en période de transition entre deux programmes européens. Les efforts de restauration ont alors rapidement été effacés avec une recolonisation rapide par la molinie.
Avec la création du GP des Mille Sonnailles et la nécessité d’avoir accès à des parcours cohérents, des recherches foncières sur le site ont eu lieu et plusieurs conventions entre le CENL et des propriétaires ont été signées. Au total, 60 hectares ont pu bénéficier dès 2017 de l’entretien pastoral du GP. En 2018, le troupeau s’est agrandi avec l’adhésion d’un nouvel éleveur. Le GP des Mille Sonnailles a pu contractualiser des mesures agro-environnementales climatiques sur des parcelles du CENL, de la commune de Meymac, de l’ONF et de plusieurs propriétaires privés. Ces aides ont permis de financer un poste de berger à temps partiel à partir de 2018. Issues de la politique agricole commune, elles sont versées annuellement et pour une période de 5 ans en contrepartie du respect et de l’application d’un cahier des charges pastoral adapté aux milieux naturels du Plateau.
Sur le site des sources de la Vienne, également géré par le CENL, un peu moins de 20 hectares sont mis à disposition du groupement pastoral. Une cinquantaine d’hectares supplémentaires en cours d’acquisition par le CENL viendront s’ajouter aux surfaces à entretenir dès la saison prochaine.
Les deux premières années de partenariat avec le GP sont une réussite aussi bien pour les éleveurs que pour le CENL. Les résultats sont déjà visibles et sont plus qu’encourageants. Les brebis sortent en bonne condition de l’estive et l’état de conservation et la diversité des milieux naturels s’améliorent. Certains aménagements sont prévus dès cet hiver pour améliorer le pâturage et les conditions de travail des bergers, comme par exemple la réalisation d’un parc de contention supplémentaire sur les landes d’A la Vue, derrière le parking du Longeyroux, ou encore la réparation d’une passerelle sur la Vézère en attendant le retour des brebis l’été prochain pour une troisième saison pastorale.
Sur Peyrelevade, la même forme de partenariat est mise en œuvre entre le groupement pastoral de Peyrelevade, la commune, le CENL et plusieurs propriétaires privés pour la gestion pastorale de plus de 34 hectares. Nul doute que d’autres GP verront le jour dans un avenir proche, pour plus de liens, plus de vie et une meilleure prise en compte de la biodiversité et des paysages de notre territoire.
Marie-Caroline Mahé