Pouvez-vous nous présenter ce que vous entendez par décroissance1 et qui en sont les principaux fondateurs ?
La notion de décroissance est née avec le développement de l’économie de marché durant les trente glorieuses. Les premiers à en parler sont ceux qui doutaient du développement et du progrès perpétuel tels qu’ils ont été présentés après la seconde guerre mondiale. En effet, l’idéologie du développement, donc de la croissance économique, s’est imposée au monde en 1949 lorsque le président américain Harry Truman a déclaré que pour le bien de l’humanité il fallait développer et étendre le modèle économique des Etats Unis à l’échelle planétaire. Mais c’est à partir des années soixante que sont posées les premières bases de la décroissance notamment avec les travaux de l’économiste américain d’origine roumaine Nicholas Georgescu Roegen sur l’entropie2. L’entropie démontre que nous sommes dans un monde fini et qu’il ne peut y avoir de croissance infinie. Ses travaux seront récompensés par un prix Nobel.
Aujourd’hui, les principaux “penseurs” de la décroissance en France sont Serge Latouche, Paul Aries, Jean-Pierre Dupuy, Pierre Rabhi, André Gorz... tous reconnus par les objecteurs de croissance ; ils font suite aux précurseurs comme Jacques Ellul, Yvan Illich, Cornélius Castoriadis, Bernard Charbonneau, François Partant, François Terrasson... et Fournier et Gébé, malheureusement partis trop tôt !
Aujourd’hui, de nouveaux auteurs se positionnent sur cette thématique : Yves Paccalet auteur de deux livres dont le très controversé “L’humanité doit disparaître, bon débarras”, et Jean-Paul Besset.
Pouvez-vous nous présenter les Objecteurs de Croissance (OC) ? Est-ce un groupe de réflexion, un mouvement politique... ?
Les Objecteurs de Croissance sont ce que les médias appellent les “décroissants”. C’est un mouvement complètement informel qui regroupe différentes sensibilités. L’objectif des rencontres de Royère de Vassivière était justement de réunir les différents courants de la décroissance, toutes familles confondues (personnes engagées dans la simplicité volontaire, militants associatifs ou politiques), par le biais du ROCADe (Réseau des objecteurs de croissance et de l’après-développement).
Ces secondes rencontres nous ont permis de définir ensemble une vision à moyen terme : les rencontres des OC seront dorénavant organisées par le ROCADe, ainsi que des actions spécifiques et médiatiques (marches, colloques, etc ... ). Les militants politiques eux, vont créer un mouvement dont le nom n’est pas encore défini, mais qui permettra d’oeuvrer au sein de la mouvance altermondialiste. C’est pour rassembler les sympathisants que nous lançons l’appel “des objectrices et objecteurs de croissance pour d’autres mondes possibles”. L’objectif étant d’être visible au sein du mouvement social en France et en Europe et de préparer les élections européennes pour diffuser nos idées sur tout le continent.
Dans un pays comme la France où l’ensemble des économistes et des politiques considèrent que le dynamisme économique et social du pays repose sur un taux de croissance de 2,5 % du PIB, comment peut-on appliquer les théories de la décroissance sans provoquer une crise économique et sociale ?
Nous pensons que le système capitaliste est dans une impasse qui va de lui-même générer les crises qui précipiteront sa fin. Je prend, l’exemple de la crise financière qu’ont connue les Etats Unis cet été, étendue aux autres économies du globe : crise du crédit et de la consommation qui annonce des crises futures plus importantes. La décroissance repose sur des faits concrets. Sarkozy dit que nous voulons revenir à la bougie et à l’âge des cavernes. Nous ne voulons pas faire un pas en arrière mais un pas de côté, car nous sommes bien conscients que tout changement, s’il a lieu avant LA catastrophe, ne peut pas être immédiat mais qu’il passe obligatoirement par une période de transition. Il nous faut rentrer de plain-pied dans un autre système de valeur, une autre civilisation. Toutefois, avec l’inertie qui caractérise le monde dans lequel nous vivons, l’importance du pouvoir des lobbies financiers, je ne pense pas que les Hommes puissent prendre les mesures nécessaires pour permettre une décroissance organisée et acceptée. La société dans laquelle nous vivons s’essouffle et le changement de civilisation nécessaire ne peut se faire que s’il y a une nécessité absolue et imminente. Pour l’heure, la plupart des personnes pensent à tort qu’il y a encore des marges de manœuvre.
Comment allez-vous faire pour amener les politiques, les lobbies financiers et industriels de même que l’ensemble des syndicats de salariés qui sont dans une logique productiviste, à tenir compte de vos idées ?
Nous sommes déjà invités dans des colloques sur le développement durable et les organisateurs qui nous accueillent sont bien conscients que le système ne fonctionne plus. Cette prise de conscience tend à une certaine schizophrénie notamment chez de nombreux cadres et dirigeants d’entreprises qui ont compris la situation. D’ailleurs, les partisans de la décroissance ne sont pas et ne seront pas en majorité issus des couches populaires mais plutôt des classes moyennes ou supérieures ... malheureusement ! La décroissance a déjà commencé en Europe. Un pays comme la France a doublé sa capacité de production en vingt ans alors que l’on ne consomme pas deux fois plus.
Les Objecteurs de Croissance ont-ils déjà réfléchi et produit un plan d’action pour mettre en place à court ou moyen terme les principes de la décroissance ?
Nous ne sommes que des lanceurs d’alerte et actuellement notre discours est totalement inaudible. Nous faisons bien des propositions mais celles-ci ne pourront pas éviter LA catastrophe qui vient. Prenons le réchauffement climatique : si demain toutes les activités humaines produisant des gaz à effet de serre cessaient, les émissions de ces gaz dans l’atmosphère perdureraient, par simple effet mécanique, pendant un siècle. Nous pensons qu’il vaut mieux se préparer à l’après catastrophe, donc à l’après-développement.
En cela vous êtes proches des propos de Claude Allègre qui considère que le meilleur moyen pour lutter contre le réchauffement climatique reste l’acquisition d’un ventilateur !
Sa position est masochiste et de toute façon il ne croit pas en ce que nous disons. Les membres du GIEC3 considèrent que si aucune mesure n’est prise pour lutter contre la dégradation du climat, les conditions sur Terre se dégraderont si vite que l’Humanité sera en danger, avec un risque de disparition dans six ou huit générations. Alors que pourront y faire les ventilateurs de Claude Allègre ? Sa religion, c’est la science toute puissante, et il croit qu’elle est la solution alors que pour nous, elle est une partie du problème.
Le débat sur la décroissance n’avait-il pas sa place au sein de la campagne présidentielle de 2007 qui a été très axée sur la valeur travail ?
Nous avons participé à la campagne avec les antilibéraux et les altermondialistes. Nous pensions que la campagne avec José Bové nous permettrait de faire entendre nos idées, puisque nous étions enfin émancipé du PC et des Trotskistes, toujours dans une logique productiviste (création de richesses) bien que Besancenot commence à se poser quelques questions. Nous espérions faire une campagne à la Coluche où nous aurions exposé les véritables alternatives. Aborder autrement la notion de travail en remplaçant le salariat et proposer la mise en place d’un revenu universel4 permettant à chacun de vivre et d’exister, qu’il travaille ou non. La campagne avec José Bové nous reste en travers de la gorge car il n’y a eu que très peu de place pour les alternatives au système ... et pour les OC. Nous avons pu intervenir à Nantes car il existe là-bas un groupe décroissance qui est actif. Sinon, on ne nous a pas permis d’intervenir lors de grands meetings comme à Toulouse, Bordeaux, Lyon ...
Aujourd’hui, nous pensons que la décroissance est le carburant qui peut faire repartir le moteur altermondialiste.
Pourquoi vous a-t-on tenu à l’écart ?
Nous avons découvert après la campagne que l’un des responsables de la communication de José Bové était l’un de ceux qui avait travaillé avec Jospin en 2002. La campagne de Bové était surtout destinée à ratisser large pour Ségolène Royal. Malgré tout, je n’en veux pas à José Bové pour tout ce qu’il a fait par le passé (action contre l’OMC, Larzac, lutte contre les OGM, participation à la marche pour la décroissance en 2005...), même s’il n’est pas très clair sur ses orientations politiques.
Pourquoi un parti comme les Verts ne se fait-il pas l’écho de la décroissance ?
A titre individuel, certains Verts comme Yves Cochet sont pour la décroissance. Mais au sein du parti, il n’y a aucun groupe organisé autour de ce thème. Globalement, ils soutiennent le développement durable (avec des nuances) et donc la continuation du système. Ils préfèrent lui apporter quelques modifications plutôt que de le remettre totalement en cause.
Le déroulement des secondes rencontres d’Objecteurs de Croissance (OC) sur Royère-de-Vassivière a permis à des personnes qui ne se reconnaissent pas dans la logique productiviste dominante de se sentir moins seules. Toutefois, elles restent isolées à l’échelle du Limousin. Existe-t-il des groupes régionaux où des OC peuvent se retrouver et échanger ?
Il y a un groupe qui existe sur Limoges mais rien n’est très organisé, les échanges et les contacts se font principalement par internet. Pour en savoir plus, il faut se rendre sur le site “décroissance.info” où doivent se trouver plus d’informations sur ce groupe.
Peut-on participer à la décroissance quand on habite un territoire comme le Plateau de Millevaches où le quotidien nécessite de se déplacer en voiture ?
Il va falloir revenir au local mais sans pour autant parler de société autarcique. Nous serons en relation par le biais de transports moins polluants mais les moyens de locomotion seront bien moins nombreux : fini le “bougisme”, même en Creuse !
Nous devons déjà tendre vers la fin des transports trop gourmands (avion, voiture particulière, le tout camion...). Sous dix- quinze ans, nous devons passer d’une société mondialisée à une société relocalisée : produire et consommer local... ça peut rappeler un slogan des années 70 : Vivre et travailler au pays ... l’histoire continue !
Avez-vous atteint les objectifs que vous vous étiez fixés pour ces secondes rencontres des OC à Royère de Vassivière ?
Oui, comme je l’ai déjà dit nous avons décidé d’être plus visibles dans le champ politique, notamment pour les élections européennes de 2009. Pour continuer la dynamique initiée lors de la campagne de José Bové nous allons œuvrer au rapprochement avec les altermondialistes. Une rencontre est fixée en octobre à Limoges et nous espérons bien lancer au niveau national un appel “de Limoges” comme nous avons lancé un appel “de Royère-de-Vassivière”.
Propos recueillis par Frédéric Thomas