Il y a beaucoup à dire - et beaucoup a été dit déjà - sur la volonté du Chef de l'Etat de faire lire aux lycéens, obligatoirement, l'une des lettres adressée par le jeune résistant communiste Guy Môquet à ses parents avant d'être fusillé par les nazis, après que des hommes de la droite d'alors, par haine de la gauche, aient aidé l'occupant à établir la liste des 27 suppliciés de ce triste jour. A ce sujet, on lira avec intérêt le magistral article de l'historien Jean-Pierre Azéma dans L'Histoire de septembre 2007. Il y réfléchit à propos de "Guy Môquet, Sarkozy et le roman national" et précise avec pertinence que la majorité d'entre nous, historiens et enseignants, ne saurions admettre cette " caporalisation mémorielle " et refusons l'idée qu'il revienne " au pouvoir politique de trancher si nécessaire en matière d'enseignement de l'histoire. " Cela avait été clairement exprimé lorsqu'il avait été question de légiférer pour dire combien la colonisation avait eu d'effets bénéfiques… Mieux vaut que l'enseignant choisisse de faire lire cette lettre à ses élèves dans le cadre d'un cours, d'une progression, d'un contexte bien défini.
On pourrait croire que cette lecture participe de la fameuse " ouverture " politique souhaitée par M. Sarkozy, qui s'est traduite par la revendication de tutelles comme Jean Jaurès et Léon Blum, ce qui est pour le moins surprenant, et l'entrée au gouvernement de quelques délaissés de la gauche en mal de reconnaissance. Cette " ouverture ", Honoré de Balzac nous l'a montrée dans Le Colonel Chabert avec un Napoléon tentant de se concilier les bonnes grâces des monarchistes. Mais Guy Môquet était un communiste et l'on ne peut pas dire que le programme et les premières mesures prises par l'actuel gouvernement aient beaucoup de points communs avec ces idées ! En extrapolant, on pourrait à bon droit se demander ce que le jeune résistant aurait pensé des arrestations de sans papiers, parfois jusqu'aux abords des écoles, des mises en rétention et des expulsions. Mais non, il n'est pas question de récupérer les morts. Toutefois, on peut se souvenir que le programme du Conseil National de la Résistance fut à l'origine des grandes lois sociales de l'après-guerre, comme la création de la Sécurité Sociale. Faire payer des franchises aux malades, revenir sur certains régimes spéciaux de retraite, ne semble pas participer de cet esprit…
Mais il y a encore pire : ainsi apprend-on avec surprise et consternation que M. Laporte, en charge d'une peu performante équipe nationale de rugby, membre différé du gouvernement (une première dans l'histoire de nos institutions), aurait fait lire cette lettre de Guy Môquet à ses joueurs pour les motiver. Il faut alors aller plus loin : lire la lettre de Guy Môquet avant d'aller chez le dentiste, avant de demander un prêt à son banquier, avant son mariage, avant d'accoucher, avant de passer son permis de conduire. Ainsi sera-t-elle définitivement banalisée, et le héros sera mort pour rien.
Laurent Bourdelas