À quelques six mois des prochaines élections municipales (mars 2014), Roger Fidani, de Gentioux, nous propose une réflexion sur nos modes de fonctionnement politique.
“Pour surmonter la crise, il faut revenir à une conception substantielle et non formelle de la démocratie et de la citoyenneté. Démocratie substantielle s’entend comme possibilité de tous de participer à l’orientation du destin commun (…)“Pierre Calame “Essai sur l ‘économie“
Haro sur le peuple
Depuis la révolution de 1789, le plus grand nombre a toujours été exclu de la participation citoyenne. Pire, la révolution a légitimé cette dépossession. Dés son origine, la démocratie représentative relève de la conception de l’incarnation du peuple, dans son unité, par un corps d’élus. Sieyès déclare : “Le peuple dans son activité politique n’existe que dans la représentation nationale (…) le peuple ne peut parler que par ses représentants…“ La constitution de 1791 dans son article 2 dit : “La Nation de qui seule émanent tous les pouvoirs, ne peut les exercer que par délégation. La constitution française est représentative.“
Condorcet déclare : “Le peuple m’a envoyé (à la Convention) non pour soutenir ses opinions mais pour exposer les miennes (…)“ Augustin Thierry (Saint Simonien) affirme en 1835 : “Le peuple fait nombre dans la population, mais fait-il pour cela nombre dans la Nation ? La Nation, n’est-ce pas ceux qui pensent, qui jugent (…) le peuple fait bande à part tant qu’il reste peuple.“ On pourrait multiplier les citations. Il en ressort que la conception de l’État républicain relève pour beaucoup d’une conception monarchique : il est l’incarnation, d’un individu collectif. Le caractère divin du pouvoir d’État s’est effacé, demeure son caractère sacré. En surplomb du peuple il représente l’universalité des intérêts, un pouvoir où peut s’incarner, à l’exemple de De Gaulle, l’homme providentiel et s’épanouir dans la Véme République une présidentialisation du système politique.
La fiction de la souveraineté populaire
Il ressort de cet héritage que la démocratie représentative, plus que le peuple, est constitutive de la République. Elle constitue un transfert de la puissance du peuple vers l’État et ses institutions. Le peuple, distinct de ses représentants, n’existe pas comme corps politique. En introduisant des logiques de substitution au lieu de celles de participation populaire, ce mode politique induit la passivité du citoyen, favorise les réflexes délégataires. L’idée, aujourd’hui, que l’élection présidentielle est la rencontre entre une personne et le peuple est le symbole fort d’une dépolitisation de la “société civile“.
“A l’instant qu’un peuple se donne des représentants, il n’est plus libre, il n’est plus.“
Jean-Jacques Rousseau
Dans ce contexte, les séquences électorales valident un système où le politique se confond avec la vie institutionnelle, lieu unique où se règlent les problèmes. D’où la crise politique que nous connaissons car le (la) politique ne peut plus prétendre gérer, in fine, l’ensemble de la société quelles que soient les mesures de démocratisation envisagées, aussi nécessaires soient-elles. Dans les logiques institutionnelles actuelles, la souveraineté populaire s’apparente donc à une fiction, si bien que nous sommes devant la nécessité de nous émanciper de notre propre histoire pour contribuer avec plus d’efficience aux changements qu’appelle la crise de la société. Ce qui est désormais à l’ordre du jour est la priorisation de l’intervention populaire directe, sur toutes les scènes de la vie, de toute la population à la décision, à la direction des affaires. Il s’agit de sortir le peuple de son extériorité au champ institutionnel ; qu’il devienne la force politique majeure.
Comment favoriser l’engagement citoyen ?
Tout d’abord, rétorquons pour le déplorer, que la critique institutionnelle est encore trop faible. Avec le temps, le vieux problème du rapport entre citoyens et représentation est devenu un impensé. Le Plateau et ses élus n’échappent pas à ce constat : la tendance de l’institué à se conduire en représentant et non en mandataire des populations est forte alors même qu’il existe une aspiration réelle à donner son avis, à être entendu. Il conviendrait de prendre appui là-dessus, c’est-à-dire parier sur la créativité et la réactivité citoyennes. Mettre à jour donc de nouveaux modes de représentation et d’implication favorisant le dépassement de la forme délégataire qui réduit le citoyen au rôle d’électeur raisonnable. Dans cette optique, on se doit de repenser les rapports du social et du politique et les rapports des élus aux habitants et associations. Les processus de participation doivent permettre à ces derniers, à leur tour, et pour une période d’être des co-décideurs, des co-évaluateurs, et pas seulement, dans une vision un peu affadie de la démocratie dite participative, consultés et écoutés. Une telle vision, ne conduit en rien à “dévaloriser“ la politique institutionnelle, ni le rôle des élus. Tout au contraire. Dans ces processus, les élus deviennent les participants actifs, informés d’une nouvelle normalité de la vie démocratique. Il ne s’agit plus de “représenter“ mais de prolonger la participation et les choix des citoyens dans les institutions élues. Soulignons-le, la politique ne consiste pas à transmettre ou à s’en remettre à l’avis des experts, mais à construire à partir de la confrontation des différentes expériences et des différents savoirs. Cette construction vise à créer les conditions qui, localement, seraient les plus susceptibles de permettre au plus grand nombre possible, aux associations, de participer, en chaque domaine, concrètement et réellement, aux orientations, aux décisions, qui concernent leur vie, le quotidien comme le global.
Une culture de la participation à inventer
C’est une culture de la participation qu’il faut promouvoir, donc de l’échange, du dialogue d’égal à égal dans une situation de respect et d’écoute, en sachant prendre en considération la diversité des opinions et des propositions émises, même quand elles dérangent. On voit donc que l’exigence d’une participation directe, de son articulation aux institutions élues nécessite bien une remise en cause rigoureuse du mode de fonctionnement actuel de celles-ci. C’est une tâche de long terme mais elle est urgente compte-tenu de la crise de la politique et si l’on veut l’inscrire dans une visée d’émancipation humaine. Raison de plus pour l’entreprendre au plus vite. Précisons en terminant, qu’il ne s’agit pas de créer “un contre pouvoir“. Dans ce cas, on accepte alors l’idée qu’il y a un pouvoir au delà de soi, de nous. Il s’agit bien mieux de subvertir la “moralité institutionnelle“.
Voilà pourquoi on peut dire qu’il n’y a de citoyenneté digne de ce nom, qu’une citoyenneté engagée, c’est à dire le contraire d’une posture d’acceptation de la politique décidée en dehors du plus grand nombre. Oui, le slogan “Prenez le pouvoir“ est juste.
Roger Fidani