Un conseiller régional chargé de la Culture est interpellé par un élu du plateau qui lui soumet un projet culturel porté par quelques associations. Réaction épidermique de Stéphane Cambou (car c’est de lui qu’il s’agit) : “Ah les projets culturels sur le plateau, ça suffit ! Il y en a bien assez comme ça !“
Une présidente de conseil général irritée de voir s’organiser sur son territoire une manifestation à caractère politique qui ne soit pas une sage fête de la Rose, convainc les élus de la commune qui doit l’accueillir de l’interdire... De la même manière que Marie-Françoise Pérol-Dumont (car c’est d’elle qu’il s’agit) avait interdit une exposition qui ne lui convenait pas au musée départemental de Rochechouart en 2004 (Nous avons raconté cela dans IPNS n°16), la tenue des Nuits du 4 août à Eymoutiers ne lui convenait guère davantage...
La même a déjà manifesté publiquement ses désaccords avec les politiques menées sur le plateau en décidant unilatéralement le retrait du département de la Haute-Vienne du Parc naturel régional. Une première en France, comme l’indiquait un de nos collaborateurs dans IPNS n°32 qui complétait : “On sent bien la volonté de déconsidérer les Parcs, et par voie de conséquence de montrer un profond mépris pour les zones rurales et leur avenir, préférant sans doute concentrer ses moyens sur la capitale du Limousin.“ Son retrait du syndicat du Lac de Vassivière relève du reste de la même logique. Depuis, devant la levée de bouclier des élus du PNR, elle est cependant revenue partiellement en arrière, restant dans le parc, mais diminuant sa contribution à une structure qu’elle estime être mal gérée et dispendieuse.
Ces saynètes ne sont pas des fictions, même s’il est peu probable que leurs acteurs principaux les confirment publiquement. Elles révèlent une attitude de méfiance ou de guéguerre avec un certain nombre d’acteurs du territoire. Comment expliquer cela ?
Une explication tient dans l’analyse de quelques résultats électoraux récents. Ceux, en particulier des dernières élections régionales (2010). Le Limousin est en effet la seule région de France où le second tour de ces élections voit le maintien de deux listes de gauche au second tour de la confrontation électorale. Face à une droite minoritaire (elle n’obtient que 32,95% des voix), le Parti socialiste allié à Europe-Écologie recueille 47,95% des suffrages, mais voit presque deux électeurs sur dix lui préférer la liste Limousin Terre de gauche (19,10%) qui réunit le Parti communiste, le Parti de Gauche – qui forment ensemble le Front de gauche – ainsi que le NPA (le Nouveau parti anticapitaliste), les Alternatifs, La Fédération pour une alternative sociale et écologique et les Objecteurs de croissance. À la tête de cette liste : Christian Audouin, président du parc naturel régional et élu du plateau jusqu’en 2004, date à laquelle il était éjecté de son poste de conseiller général de Bugeat par son adversaire de droite.
Un regard sur les cantonales de 2011 complète bien ces résultats, entretenant l’image d’un plateau réfractaire aux adhésions massives au PS majoritaire, même lorsqu’il ne vote pas à droite comme sur la plus grande partie de la Montagne corrézienne. Sur le canton d’Eymoutiers le candidat PS (23,90%) est balayé par le candidat ADS-Terre de gauche Michel Ponchut (70,5%) et plus globalement en Haute-Vienne, si la majorité départementale n’est pas menacée, le PS perd du terrain au profit des candidats de la liste Limousin Terre de gauche. Le Monde parle d’une “amère victoire pour le PS“. Côté creusois si deux cantons vont au PS, deux autres vont à des divers gauche dont celui de La Courtine à Philippe Breuil, qui est un élu plutôt indépendant dans ses prises de positions. On se rappelle entre autres son engagement dans la lutte pour le maintien des services publics (un épisode où il était sur la même longueur d’ondes que beaucoup de ses homologues) mais aussi ses positions critiques vis à vis du parc (il avait publié un article assez cinglant sur le sujet dans IPNS n°18). En Corrèze, enfin, le canton de Sornac, décroché en 2008 par Pierre Coutaud et qui avait permis au département de la Corrèze de basculer à gauche, est détenu là aussi par un élu plutôt indépendant et “atypique“, comme disent les spécialistes...
En 2010, lors d’un colloque organisé à Eymoutiers par Le Certu1, le sociologue André Micoud, spécialiste du monde rural, avait indiqué, parlant du plateau : “Quand on parle d’un territoire comme d’un lieu d’innovation dans certains ministères, ça veut dire évidemment qu’il s’y passe des choses...“ Et de citer “des associations qui pensent et qui travaillent à construire et valoriser des “milieux de vie“, en s’appuyant principalement sur les ressources locales (patrimoines naturels et culturels) que les façons antérieures de penser le développement avaient plus ou moins négligées, qui doivent donc également travailler à se faire reconnaître comme légitimes et qui, pour cela, doivent convaincre les populations, les élus, les services administratifs, argumenter rationnellement pour défendre leurs positions et propositions et conclure des alliances, voire entrer dans le jeu politique…“ La réputation du plateau comme “lieu d’innovation et d’expériences“, repéré, y compris nationalement comme un vivier d’expériences originales, joue aussi certainement dans quelques animosités limougeaudes. Il est vrai que la visibilité de certaines actions et quelques raccourcis peuvent donner l’impression d’un territoire qui aime à soigner sa différence et à afficher son originalité...
La conjonction de cette personnalité qu’un certain nombre de ses habitants affiche de façon peut-être jugée excessive ailleurs, la force électorale du Front de gauche, quelques élus trop “indépendants“, la marque “Plateau“ accolée à de nombreuses contestations (on l’a bien vu l’an dernier au moment du mouvement déclenché par la réforme des retraites, où la presse régionale a parlé plusieurs fois des “insoumis du Plateau“ descendus à Brive ou à Guéret pour effectuer des blocages), tout cela constitue un cocktail qui peut expliquer les irritations et les oppositions. Surtout si on cherche à les comprendre à l’aide des quelques clés que nous vous proposons dans les pages suivantes.
Les choses sont toujours plus complexes qu’on veut bien le dire... Habitués au monopole du pouvoir, les socialistes de Limoges et de la région peuvent percevoir les scores du Front de gauche (mais aussi dans certaines communes, des écologistes) comme l’expression politique évidente du bouillon associatif, “alternatif“ et militant qui s’exprime fortement dans certaines communes du plateau. Or, à y regarder plus finement, il n’y a pas toujours coïncidence des deux phénomènes. Ainsi le vote Front de gauche est fort dans les communes où le communisme rural traditionnel était déjà fort. Il reçoit également les suffrages de l'extrême gauche protestataire. Inversement, parmi les “expérimentateurs“, les “associatifs“ et autres “alternatifs“, il y a beaucoup d’options politiques et le Front de gauche ne capitalise pas la totalité de ces suffrages. On y trouve aussi des électeurs écologistes mais sans doute beaucoup qui votent aussi... socialiste. Sans parler de tous ceux qui ne votent pas du tout, une bonne partie d’entre eux se désintéressant des joutes politiciennes.