abattoir

  • Abattoirs fermés au pays de l’élevage !

    abattoirsLes abattoirs de Guéret et d'Eymoutiers viennent de fermer leurs portes. La perte de ces outils de proximité implique de nombreuses conséquences négatives sur l'activité de certains éleveurs écoulant leur production en vente directe (augmentation des coûts de transport et du temps passé pour se rendre à l'abattoir de Limoges, perte de valeur ajoutée par l'arrêt de la vente directe, pour certains arrêt de la production, problèmes de traçabilité de la marchandise...). De même, les éleveurs pratiquant l'abattage familial et ceux ayant des animaux accidentés ne savent plus où réaliser ces opérations.

    Face à ces fermetures intempestives, plusieurs rencontres rassemblant des éleveurs en vente directe et des bouchers ont eu lieu. Elles ont abouti en début d'année à la création d'une association "Abattre et valoriser la viande en Limousin", association ayant pour objectif de trouver une alternative à ces pertes d'outils de proximité. L'idée est donc d'avoir des lieux d'abattage accessibles c'est à dire bien répartis sur le territoire, multi-espèces, et ouverts à tous (bouchers /abatteurs, particuliers, musulmans, producteurs…).

    Sensible aux préoccupations du collectif, l'ARDEAR (Association Régionale pour le Développement de l'Emploi Agricole et Rural) a donc engagé une stagiaire élève-ingénieur à l'Enita de Clermont-Ferrand, afin de mener une réflexion sur la mise en place d'unités collectives d'abattage de découpe et de transformation de proximité dans le secteur sud est Haute Vienne, sud ouest Creuse et nord est Corrèze. Plusieurs solutions sont envisagées : de la réutilisation de l'existant, à une idée plus innovante mais plus complexe, la mise en place d'un abattoir itinérant, déjà expérimentée dans d'autres pays (Canada, Autriche…). Ce projet pose néanmoins de nombreuses contraintes sanitaires, difficilement contournables vue la réglementation française actuelle. Le travail de l'étudiante est donc dans un premier temps d'identifier les producteurs et utilisateurs potentiellement intéressés et de bien recenser leurs besoins au travers d' enquêtes. Une soixantaine de personnes ont déjà été identifiées. Dans un deuxième temps, elle devra faire des propositions cohérentes avec les attentes des utilisateurs potentiels mais néanmoins réalisables. Espérons que le fruit de ce travail pourra aboutir à la réalisation d'un projet porté collectivement par les producteurs, les bouchers, les particuliers, et qui permettra de maintenir des outils de proximité, adapté aux besoins, valorisant localement les produits du territoire.

     

    Sandrine Martinet

  • La mort des abattoirs

    Décembre 2006 fermeture de l’abattoir de Guéret. Il était le dernier en Creuse. Début 2007 c’est au tour des abattoirs d’Eymoutiers en Haute Vienne et Giat dans le Puy-de-dôme. Il n’en reste plus que neuf en Limousin, quatre en Haute-Vienne et cinq en Corrèze. Quelques bouchers et les éleveurs qui valorisent leur production de viande en vente directe sur le Plateau de Millevaches et en Creuse n’ont plus d’abattoir de proximité. Devant cette situation une vingtaine d’éleveurs soucieux de préserver leur outil de travail ont constitué une association : Collectif Abattre et Valoriser la Viande en Limousin. Ils ont sollicité l’A.R.D.E.A.R. (association régionale pour le développement de l’emploi agricole et rural) pour mener un diagnostic sur la situation en France et en Limousin et leur proposer des éléments de réponses.

     

    abattoirsConcentration et privatisation

    Le secteur d’abattage en France est en constante évolution et caractérisé par la concentration, la spécialisation de l’activité par catégorie d’espèce animale : bovine, ovine, porcine et volailles, et la privatisation. Les abattoirs de proximité non spécialisés ferment les uns après les autres. En 1990 le tonnage moyen annuel par abattoir était de 6 800 tonnes il est à plus de 12 000 tonnes/an aujourd’hui. Il y a désormais plus d’abattoirs privés que de publics. En 1994 les abattoirs publics réalisaient 35 % du tonnage total, ils atteignent 13 % en 2006. Le secteur privé n’a d’autre ambition que sa rentabilité économique et la réduction de ses coûts de production.

    La restructuration du secteur d’abattage est liée à l’évolution et au durcissement des réglementations sanitaires. En 1965 la loi de modernisation du marché de la viande a créé le service d’Etat d’hygiène alimentaire dans «l’intérêt de la protection de la santé publique». La mise aux normes sanitaires entraîne des investissements importants. Dans les années 1970-1990 l’obligation d’agrément aux normes communautaires conduit à la fermeture de trois abattoirs sur cinq. Il s’agit surtout d’établissements modestes et souvent publics.

    Nul doute que la concentration du secteur d’abattage est en lien direct avec la concentration, l’intensification et la spécialisation de l’élevage à l’échelle régionale comme par exemple pour la Bretagne qui à elle seule produit deux tiers du cheptel porcin, avec l’impact désastreux sur la qualité de l’environnement.

     

    Les abattoirs de proximité, un service public

    La disparition des abattoirs de proximité, le plus souvent gérés en partenariat avec les collectivités territoriales porte atteinte aux acteurs du territoire. Aux éleveurs en premier lieu lorsqu’ils développent des filières courtes pour la valorisation de leur production et le maintien de structures d’exploitations à l’échelle humaine. Aux artisans bouchers qui abattent leur marchandise en lien avec une clientèle d’éleveurs pour ne pas être à la merci des grossistes. Aux consommateurs habitants du territoires qui sont assurés d’un produit de qualité à un plus juste prix et dont ils peuvent mesurer la traçabilité tant du côté du bien-être de l’animal que pour leur garantie sanitaire.

    La disparition de ce service de proximité a aussi de graves répercussions sur notre sécurité sanitaire. Un rapport de la Commission économique du Sénat en 2002 a montré combien l’allongement des trajets entre les exploitations et les abattoirs avait de graves répercussions sur les animaux qui perdent du poids et de la qualité par le stress des conditions de transport. Il souligne en outre que l’épidémie de fièvre aphteuse avec la limitation des mouvements d’animaux a montré la nécessité d’établir un réseau d’abattoirs plus conséquent. La rapidité avec laquelle s’est propagée l’épidémie de fièvre aphteuse au Royaume-Uni a montré que le transport des animaux vivants multipliaient les risques de transmission d’épizooties. Plus récemment encore un avis de la Commission de l’agriculture et du développement rural de 2003 a signalé que les règles d’hygiène n’ont pas pu nous protéger de la crise de la vache folle et de la fièvre aphteuse. Et de conclure que pour éviter les épizooties des petites structures, voire des abattoirs mobiles, répondaient mieux aux règles d’hygiène.

    L’agriculture limousine est caractérisée par la production de viande bovine et ovine. Les éleveurs privilégient de plus en plus les conditions naturelles de production, la qualité et la traçabilité des produits. Entre 2000 et 2005 la part des exploitations engagées dans un Signe Officiel de Qualité (Label et autres) est passée de 40 à 48 % toutes productions confondues. La filière ovine du Limousin représente le quart des agneaux français vendus sous signe officiel de qualité. Outre le marché, forme traditionnelle du rapport entre producteurs et consommateurs, de nombreuses formes de circuits courts se sont développées depuis quelques années dans les zones périurbaines et même plus éloignées. Elles ouvrent à de nouveaux échanges entre milieu rural et milieu urbain.

     

    Les propositions des éleveurs limousins engagés dans le Collectif Abattre et Valoriser la Viande en Limousin.

    La perte des abattoirs de Guéret et Eymoutiers pénalise entre autres les éleveurs locaux écoulant toute ou partie de leur production en vente directe. Ils sont alors obligés d’amener leurs animaux dans des abattoirs plus éloignés ce qui a des conséquences négatives sur l’activité : l’augmentation des coûts de transport et du temps passé sur les routes et par conséquent une perte de valeur ajoutée.

    Ensuite les éleveurs amenant un nombre restreint d’animaux ont parfois eu la mauvaise surprise de ne pas récupérer leur carcasse. Dans de grands abattoirs il est plus difficile de surveiller les mouvements de carcasse. Il arrive qu’elles disparaissent.

    Ensuite, une des bases de la vente directe est la confiance qui s’instaure entre l’éleveur et le consommateur. L’éleveur s’engage à lui vendre des produits de sa ferme. Il n’est donc pas acceptable pour les éleveurs de ne pas récupérer les abats de leurs animaux. Or sur de grande chaînes d’abattage il est impossible d’assurer la traçabilité des abats. De plus les grandes chaînes d’abattage ne permettent pas de récupérer les sous produits très bien valorisés en vente directe tels que le sang, la crépine ou encore les testicules d’agneaux...

    A terme la fermeture de l’abattoir peut aboutir à l’arrêt de la vente directe par certains éleveurs, ainsi que la disparition d’ateliers comme les veaux de lait qui sont des animaux fragiles ne supportant pas les transports trop longs. Tout ceci aboutissant à la perte de valeur ajoutée pour les producteurs anciens utilisateurs de ces abattoirs et l’impossibilité pour les consommateurs d’avoir accès à des produits locaux de qualité.

    A la suite d’une enquête auprès de trente quatre éleveurs, les demandes suivantes ont été définies :

    • Obtenir un abattoir de proximité multi-espèces et de petite capacité (environ 300 tonnes équivalent carcasse). Des projets d’abattoir mobile existent déjà au Canada et en Autriche. Un groupe de paysans et d’élus ira début 2008 en Autriche voir cet outil.
    • Besoin d’ateliers de découpe et de transformation sur le territoire. Une formation débute en décembre 2007 pour toute personne intéressée par la vente directe.
    • Besoin d’outils de transport des animaux vivants et des carcasses.
    • Valoriser les animaux accidentés plutôt que de les euthanasier.
    • Eviter le stress des animaux par des transports trop longs.
    • Valorisation des abats.

    Le collectif avec l’appui de l’A.R.D.E.A.R, (en partenariat avec le PNR Millevaches) des organismes agricoles et des collectivités locales, souhaite continuer l’étude sur tout le territoire pour recenser les besoins et les attentes de tous les producteurs et acteurs de la filière afin de proposer des solutions pour la création d’un outil de proximité pour l’abattage, la découpe et la transformation. Réponses dans quelques mois.

     

    A.R.D.E.A.R., Maison de l’agriculture, avenue du Général Leclerc, Limoges,
    Collectif Abattre et Valoriser la Viande en Limousin, Mairie, 23500 Saint-Christophe
  • Les zones rurales condamnées à devenir des espaces récréatifs ?

    Le conseil régional du Limousin a décidé d'élaborer son schéma régional d'aménagement et de développement durable de son territoire. Tous les élus, acteurs économiques et citoyens peuvent se réjouir de cette démarche participative, riche permettant de partager un diagnostic de l'état du territoire et orienter les politiques régionales à l'échelle des 20 ans.

     

    stress plateauCinq groupes de travail se sont réunis avec comme objectif d'enrichir la contribution régionale et construire des scénarios d'évolution conduisant les élus de l'assemblée régionale à décider des choix stratégiques.

    Démographie, économie, espaces, enjeux climatiques, énergies nouvelles, gouvernance, identité, image, zones rurales, urbanisation, pôles structurants, territoires, transports, solidarité, tous ces sujets ont été développés en tenant compte des faits émergents et des ruptures possibles.

    Certaines phrases choc sont restées dans la mémoire des quelques élus présents dans ces réunions de travail :

    • Une poussée importante de l'urbanisation autour des agglomérations et des autoroutes ;
    • Les derniers chiffres de la population limousine font apparaître une augmentation de 4000 habitants installés autour des agglomérations ;
    • Affaiblissement de la zone rurale centrale à l'échelle de la montagne limousine ;
    • Vieillissement de la population rurale et réduction des activités (commerces, entreprises, agriculteurs et services publics) ;
    • Les nouvelles mesures de zonage de l'attribution des aides économiques décidées par l'union européenne vont concentrer les aides autour des agglomérations et des axes routiers ;
    • Ces dotations par habitants pour les territoires ruraux, dans le cadre des futurs contrats de pays ou de parc seront largement inférieures aux dotations des zones urbaines ;
    • Les effets de seuils se font de plus en plus sentir (effectif des écoles, transports, commerces, poste, SNCF …)

    Que vont devenir les zones rurales dans ce contexte ? Seront-elles seulement des espaces récréatifs ne bénéficiant que d'une simple économie résidentielle ? Comment corriger ces tendances lourdes ? C'est un enjeu capital pour la région Limousin et les trois départements.

    Faut-il laisser fermer les gares ? Faut-il faire disparaître tous les abattoirs de proximité pour tout concentrer à Limoges ? Faut-il laisser les agglomérations dessiner les territoires ruraux de demain ?

    C'est bien d'activités réelles dont ont besoin les zones rurales. Chaque fois que l'on voit disparaître une parcelle cultivée, chaque fois qu'un jardin est enfoui sous les ronces, chaque fois qu'un mur en pierre s'écroule, chaque fois qu'une maison se ferme, chaque fois qu'une tourbière se bouche, qu'une lande se boise, qu'une prairie et qu'une rivière ne sont pas entretenues, chaque fois qu'un commerçant ou un artisan disparaît, c'est un " morceau de vie " qui s'estompe.

    Dans un contexte national et européen difficile ou la concurrence entre les territoires est organisée, la responsabilité des élus régionaux et départementaux sera grande… Auront-ils les moyens pour agir ?

     

    Michel Ponchut
    conseiller général du canton d’Eymoutiers
  • Pôle Viandes Locales

    Un outil collectif de transformation des viandes locales.

    À Bourganeuf, le Pôle viandes locales, imaginé depuis plus de 10 ans a commencé son activité depuis le mois d’avril de cette année. En 2007, c’est la fermeture des abattoirs de proximité (Guéret, Eymoutiers, Giat…) qui a mis en route ce projet de Pôle viandes locales porté, à l’époque, par une trentaine d’éleveurs limousins orientés vers la vente directe. 

     

    pole viandes locales

     

    Le Pôle viandes compte à ce jour plus de 70 actionnaires, majoritairement producteurs, ainsi que trois actionnaires particuliers dont le lycée agricole d’Ahun. Cela représente une centaine de producteurs répartis sur les départements de la Creuse, de la Haute-Vienne et de la Corrèze. Ce pôle s’inscrit pleinement dans l’idée de la relocalisation de l’économie. Il est d’ailleurs écrit dans les statuts de la SAS que le pôle a une capacité limitée et n’a pas été conçu pour s’agrandir mais pour être reproductible sur d’autres territoires.

    Ce projet emblématique du territoire s’apparente à une « grosse CUMA » (coopérative d’utilisation de matériel agricole). Plateforme de services de 1 000 m2, il comprend un abattoir multi-espèces, un atelier de découpe, des salles de maturation courte et longue durée, une saucisserie, une légumerie, un fumoir-saloir-séchoir, la possibilité de faire des viandes hachées, des pâtés et plats cuisinés, et de stocker en hibernation.

     

    Un projet innovant pour le bien-être animal

    pole viandes locales interieurLa question de l’abattage a depuis le départ été la plus sensible et les porteurs du projet se sont donnés le temps de poser un nouveau jalon en termes de bientraitance animale. La réflexion de ces paysans limousins respectueux de leurs bêtes a bien sûr été percutée par les campagnes animalistes, notamment celles des activistes de L214, qui ont interpellé les consciences des consommateurs et poussé à une réponse politique. La bientraitance animale (à ne pas confondre avec le bien-être animal) est un élément premier de cet outil multi-espèces avec une bouverie innovante en termes de conditions d’accueil et d’attente des animaux et un prototype de box d’étourdissement multi-espèces.

    Un conseil scientifique accompagnant le projet a mobilisé les recherches les plus poussées en éthologie (étude du comportement animal) en s’appuyant sur les écrits de l’américaine Temple Grandin d’une part, de chercheurs de l’Inra comme Claudia Terlouw ou même de militants de l’Afaad (Association en faveur de l’abattage des animaux dans la dignité). Les membres de ce conseil scientifique ont validé les étapes de la conception. Des PME ont relevé le défi de cet abattoir destiné à accueillir l’équivalent de 10 vaches par semaine et non 80 à l’heure.

    Le parcours, à partir de la sortie de la bétaillère, est conçu dans le moindre détail : pente de la rampe d’accès, lumières bleues, champ de vision restreint, bruits d’eau relaxants, corrals sans angles droits. Les capacités sensorielles des animaux sont différentes des nôtres et entre espèces, il faut en tenir compte à chaque étape de la conception.

    Des caméras suivent l’animal pas à pas. Évacuer le stress, laisser le bovin, l’ovin ou le porcin progresser à son rythme (l’aiguillon électrique est banni), cela fait partie des « avancées ». Lorsqu’il arrive dans le box de contention qui précède l’étourdissement, celui-ci a été nettoyé en profondeur, les animaux étant très sensibles aux phéromones laissées par leurs congénères. L’innovation ultime concerne le processus de mise à mort proprement dit. De façon traditionnelle, c’est un « matador », qui frappe en un point précis du crâne et créé un choc qui plonge l’animal dans le coma. Pas d’approximation humaine possible car la tâche est robotisée. La précision est permise par l’intelligence artificielle nourrie de données fournies par les éleveurs eux-mêmes. Ce box d’étourdissement multi-espèces (bovins, ovins, porcins) est une réalisation de la société Lamartine (Allier), une entreprise qui équipe les parcs zoologiques. L’innovation a coûté 400 000 € et a été soutenue à hauteur de 200 000 € par la région Nouvelle-Aquitaine. Ce « micro-abattoir », voué à être la clef de voûte du pôle viandes locales, sera le dernier outil à entrer en fonctionnement sur le site de Langladure.

     

    La valorisation passe par la maturation et l’affinage des morceaux nobles

    pole viandes locales affinageL’une des stratégies affichées par le pôle viandes locales est celle de la « maturation et de l’affinage », notamment des morceaux nobles des bovins limousins ou charolais. Les plus belles côtes de bœuf maturées sont exposées dans des vitrines réfrigérées de la salle d’accueil du pôle. C’est le principe en somme du « vieillissement » du vin ou du fromage appliqué à la viande.

    À la mode, notamment dans certains restaurants, la viande maturée n’est pas un snobisme, c’est un processus lent de transformation qui permet de transcender le goût des viandes de grande qualité en concentrant les saveurs. Et cela prend le contre-pied de la standardisation du produit recherchée par les industriels. Nous partons sur une maturation et un affinage de 21 jours, mais cela peut aller au-delà en fonction des choix de l’éleveur.

    À partir d’une viande grasse et persillée, la maturation permet de libérer toute la puissance du goût en conservant à la viande toute sa tendresse. Et puis n’est-il pas plus pertinent de manger moins de viande mais de manger une très bonne viande tant en goût qu’en matière de nutrition ? Autre outil déterminant (et très onéreux) : la cellule d’hibernation qui permet une congélation éclair (à -170 °C), sans altération des fibres et du goût. Au moment de parfaite maturation de nos viandes, nous figeons nos viandes grâce à la cellule d’hibernation. Un vent glacial flashe la viande. L’eau contenue dans les fibres n’a pas eu le temps de se cristalliser évitant ainsi de briser les fibres musculaires. Cela évite de déstructurer la viande et un effet bouilli à la cuisson qui gâche tout. La cellule d’hibernation a été la machine la plus coûteuse de notre atelier mais au lieu de congeler vous-mêmes la viande, nous offrons ce service pour une meilleure qualité de conservation. Plus de gaspillage non plus.

     

    Une équipe de bouchers et charcutiers engagés dans ce projet

    Il n’y a pas que la haute technologie : le pôle viandes locales a recruté quatre bouchers-charcutiers, dont Éric, un ancien artisan indépendant creusois, formé à l’ancienne école de la tripe ce qui nous permet de valoriser le cinquième quartier, c’est-à-dire les abats. Une équipe qui a mis la barre haut également côté salaisons. Du saloir et du séchoir sortent déjà des produits susceptibles de faire un tabac dans les boutiques de vente directe tels les saucissons de bœuf ou le jambon d’agneau (tranches fines de gigots séchés).

     

    Mangez local, mangez mieux, mangez tout !

    Aujourd’hui, toutes les conditions sont réunies pour consommer de la viande produite localement. Au-delà des paysannes et paysans auprès de qui vous vous approvisionnez habituellement, vous pouvez aussi, via le site internet www.lesviandespaysannes.net, commander de la viande et venir la chercher sur le site ou vous la faire livrer à domicile. Même votre famille ou vos amis éloignés peuvent être livrés où qu’ils soient en France métropolitaine. Les acteurs de ce projet permettent enfin à notre territoire de valoriser un bien patrimonial qu’est la viande.

     

    Cet outil n’aurait pas vu le jour sans la mobilisation des producteurs certes, mais aussi d’élus tels Jean-Paul Denanot (ancien président de la région Limousin), Christian Audouin (ancien président du PNR Millevaches), Michel Ponchut (ancien conseiller départemental de la Haute-Vienne). La région Nouvelle-Aquitaine avec son président Alain Rousset, Geneviève Barat (vice-présidente en charge de la Ruralité) et Jérôme Orvain soutiennent activement ce beau projet. Enfin, la mobilisation des habitants du territoire est à saluer tant par son implication citoyenne que financière. Que tous nos soutiens, de près ou de loin, soient remerciés.

     

    Guillaume Betton

     

  • Produire local, une nécessité

    Il y a deux ans, IPNS consacrait un premier dossier à l'agriculture sous l'angle de l'autonomie alimentaire (IPNS n° 14). Aujourd'hui nous revenons sur ce sujet en privilégiant, à partir d'initiatives et d'exemples concrets, ce qu'il est possible et urgent de faire si nous voulons nous réapproprier notre alimentation. Dans les pages qui suivent, nous nous interrogerons également sur le rôle que devraient jouer des infrastructures ou des institutions comme un abattoir ou la SAFER pour mener à bien une telle démarche.
    Pour commencer, Yvan Tricard a synthétisé les réflexions issues du forum social limousin sur la question de la relocalisation de l'agriculture. Leçon en quatre points.

     

    Le constat

    Au fil des ans, depuis 1970, on assiste à un recul permanent des ressources alimentaires en Limousin. Les chiffres sont affolants. Le Limousin terre agricole par tradition est devenu une région de totale dépendance alimentaire, cela se résume en un chiffre : la souveraineté alimentaire du Limousin n'est aujourd'hui que de 10%. Dit autrement, seuls 10% des produits alimentaires consommés dans notre Région y ont été produits et transformés, c'est donc 90% de notre alimentation qui est importée d'autres régions ou d'autres pays (voir IPNS n°14). La culture légumière a été quasiment abandonnée (la surface cultivée a été divisée par 25 en Limousin, elle couvre aujourd'hui 23% des besoins , les légumes frais 8%, les œufs 24%, la culture du blé dur 0%...) La production de volaille, de porcins qui dans les années 70 alimentait chaque maison limousine, s'est transformée pour l'essentiel en un élevage intensif hors-sol. Paradoxalement les effectifs de la production hors sol censés nourrir le monde entier ont chuté pour toutes les productions spécialisées hors bovin et ne peuvent répondre aux besoins de la population limousine ! La filière porcine a divisé par 2,2 son cheptel. La filière avicole quant à elle s'est totalement effondrée.

     

    vache

     

    Il existe trois explications majeures à cette situation Il y a tout d'abord l'inadéquation de la production agricole par rapport aux besoins alimentaires standards de la population. La Politique agricole commune voulue par l'Europe et, ici, appuyée par la Chambre agricole et la FNSEA, a spécialisé la production du Limousin sur trois secteurs (bovins, ovins, pommes golden pour l'essentiel) abandonnant la production maraîchère et alimentaire aux seuls aléas du "Marché".

    Il y a aussi la présence insuffisante des filières de transformation dans la Région. Le tissu artisanal ou industriel de la transformation agroalimentaire est très insuffisant, aujourd'hui de nombreuses productions agricoles quittent donc la région pour approvisionner des ateliers et des usines qui sont situés ailleurs. La fermeture des abattoirs de proximité aggrave la situation, obligeant les agriculteurs à rejoindre les filières de la grande industrie de l'agroalimentaire (sur la question des abattoirs, voir dans ce numéro d'IPNS, page 14). Il y a enfin l'emprise forte de la grande distribution. Tous les produits vendus en grande surface sont fournis par leurs centrales d'achat qui n'attachent aucune importance particulière au caractère local des produits proposés dans leurs magasins. Seul acheter " le moins cher possible " les guide, n'hésitant pas à mettre en concurrence la production d'une région contre une autre pour faire chuter les prix. Cette situation n'est pas propre au Limousin, mais reflète à l'échelle nationale une " exception " bien française : l'omniprésence de la grande distribution. Le résumé tient en deux chiffres : 5 centrales d'achat seulement se partagent 90% du commerce de détail en France. Il est impossible aux secteurs agricole et agroalimentaire d'échapper, directement ou indirectement, à l'emprise de la grande distribution : c'est elle qui fixe les règles du jeu. La taille gigantesque des centrales d'achat et leur connivence quant aux pratiques commerciales (derrière une concurrence de façade) mettent n'importe quel fournisseur dans une situation de soumission face au seul critère qui compte à leurs yeux : le prix, même si, bien souvent, c'est au détriment de la qualité (voir les légumes : tomates sans goût, salades d'un jour, ou viande ionisée d'Argentine ou du Brésil). Les productions limousines ne font pas exception à la règle : seules les plus concurrentielles sont encore présentes, spécialisées et concentrées sur quelques produits agricoles ou agroalimentaires… qui seront alors diffusées dans toute la France, voire à l'exportation.

    Les possibilités de distribution en dehors du circuit de la grande distribution sont marginales, et c'est encore plus vrai en Limousin, car les surfaces commerciales par habitant en hyper- et supermarchés sont près de deux fois supérieures à la moyenne nationale.

    En quoi cette situation de faible autonomie alimentaire pose-t-elle problème ? Cette mécanique économique permet de pouvoir vendre et exporter les productions phares du Limousin que sont bovins, pommes et ovins : c'est une conséquence logique d'un fonctionnement en économie ouverte de marché, chaque partenaire territorial se connectant aux autres dans une dynamique d'interdépendance, valorisant ses points forts et profitant en retour de ceux des autres. Ce mode de raisonnement est aujourd'hui généralisé par les tenants de l'économie de marché. Je voudrais en souligner les conséquences négatives en matière environnementale, sociale ou économique.

     

    La catastrophe écologique annoncée

    Ce qui était le cri d'un petit nombre il y a quelques années encore, après le "Grenelle de l'environnement" est admis par tous : du fait de l'activité humaine on va vers un réchauffement climatique dont personne ne peut prévoir le niveau de déréglementation. Une telle situation va réclamer la mise en oeuvre rapide d'actions d'une ampleur inédite. Or faire circuler 90% de nos besoins alimentaires sur souvent des milliers de kilomètres, faire transporter sur ces mêmes distances des produits agricoles pour les transformer (un pot de yaourt parcourt environ 2500 km avant d'arriver dans le rayon de l'hypermarché), est un non sens écologique. C'est une des sources importantes de l'émission des gaz à effet de serre. L'ère des déplacements bon marché, faciles, rapides et sans limites est appelée à prendre fin. De plus, l'agriculture, sous sa forme intensive : mécanisation, engrais, culture hors sol est devenue un secteur dépendant des ressources pétrolières. La politique agricole actuelle, en plus d'être particulièrement énergivore, est grande consommatrice d'intrants agrochimiques particulièrement nocifs pour l'environnement Une catastrophe sociale L'Union Européenne a pris en compte depuis longtemps l'ouverture des marchés, et sa mise en oeuvre en matière agricole, la PAC (Politique Agricole Commune) a provoqué des résultats contradictoires. Elle a renforcé la logique concurrentielle poussant à la spécialisation sur quelques productions et à une productivité agricole à marche forcée. A l'échelle du Limousin, (les éléments présentés plus haut en témoignent) la filière bovine et la filière pomme sont devenues des références de niveau européen en terme de qualité et de notoriété, mais au prix d'une hyper-spécialisation réalisée au détriment des autres productions et du maintien de la souveraineté alimentaire.

    Mais c'est aussi un immense gâchis social !

    Cette agriculture intensive a provoqué un laminage spectaculaire des emplois dans le secteur agricole. C'est vrai au niveau national, cela est vrai en Limousin : toutes exploitations confondues, entre 1970 et 2003, 29 300 exploitants ont jeté l'éponge. Ainsi 2,5 exploitations mettent la clef sous la porte chaque jour depuis maintenant près de 32 ans, soit 60 % des exploitations. 74 600 actifs sur exploitation étaient dénombrés lors du recensement de 1970 pour seulement 25 800 en l'année 2000. Ainsi 48 800 emplois agricoles directs ont été perdus sur le Limousin Demain une nouvelle catastrophe économique La prochaine étape est l'ouverture des marchés mondiaux voulue par l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce ). Cela va encore accentuer l'impact de cette carte truquée "du marché libre et non faussé": les filières exportatrices vont se trouver en concurrence avec la pomme Golden de Chine et les bovins et ovins du Limousin en concurrence avec les grands troupeaux d'Amérique su Sud. Mais au grand jeu des avantages comparatifs dont dispose chacun des concurrents, le Limousin part perdant s'il joue dans la cour mondiale, puisqu'il ne dispose pas d'une carte aujourd'hui maîtresse, celle du dumping social.

     

    D'autre part, les orientations actuelles du gouvernement au nom de la défense "du panier de la ménagère" vont aggraver la main mise de la grande distribution leur permettant de fixer leurs prix et d'avoir les mains totalement libres pour choisir les lieux et les méthodes de production. De même chaque fois qu'un maire autorise ou se bat pour implanter une grande surface sur sa commune (comme c'est le cas à Limoges et à Tulle) c'est un coup de plus porté à l 'agriculture et aux industries de transformations locales. L'autre manière de répondre à ces menaces est de prendre le contre-pied de cette course en avant dévastatrice.

    Consommer une alimentation achetée ou transformée au plus près de son lieu de production est une simple règle de bon sens mais aussi une priorité vis-à-vis de la problématique du réchauffement climatique.

    La reconstitution du système agro-alimentaire d'une région est un pari très compliqué qui devrait être l'objectif n°1 des chambres d'agriculture et des élus régionaux, car cela devra mettre en oeuvre une multitude d'outils de production (maraîchage, arboriculture, pisciculture, apiculture, aviculture, polyculture, élevage...) couplés à une dynamique d'actions dans des domaines aussi complémentaires que la transformation, la commercialisation, la formation et la recherche.

    Relancer, ou relocaliser une partie de la production agricole, et de la transformation des produits, revoir le système de commercialisation, cela demande une volonté politique forte mais c'est pourtant la seule réponse qui existe aux problèmes que je viens de soulever et qui sont devant nous.

    De plus cette démarche est créatrice d'emplois à l'opposé de la l'agriculture intensive et spécialisée actuelle.

    La culture bio, La culture maraîchère, les ateliers de transformation demandent des agriculteurs, des ouvriers, des techniciens. Une étude faite dans le cadre du Schéma d'aménagement de la Région par un atelier du Forum Social Limousin et transmise au Conseil Régional, avait montré que des milliers d'emplois pouvaient être créés dans cette démarche (par exemple le GAEC "Champs libres" à St-Julien-e-Petit a transformé une ferme spécialisée en élevage bovin sur environ 40 ha en une ferme de maraîchage : les emplois sont passés de 1 à 7). Ce qui est un exemple devrait pouvoir se multiplier à condition de bien aborder les trois facteurs : production, transformation, commercialisation.

    En attendant cette prise de conscience des décideurs, toutes les initiatives, les actions, comme le développement de la culture bio ou de la culture paysanne, les AMAP (Aide au Maintien de l'Agriculture Paysanne), les coopératives de production ou de transformation, les ventes directes sont autant de germes pour l'avenir.

     

    Yvan Tricard