Etienne est architecte. Il a 36 ans. Agnès est psychomotricienne. Ils ont trois enfants de 5 à 10 ans. Ils habitent Mulhouse et souhaitent venir vivre en Limousin : "Nous ne sommes pas à la recherche de ruralité dans le sens "exotique", mais tout simplement d'un lieu où nous pourrons réaliser le projet qui sera pour nous le plus source de vie et d'épanouissement". Ils ont pour objectif de créer un gîte d'enfants et d'accueil de familles, tout en exerçant toujours leurs métiers respectifs. Ils expliquent ici ce qui les attire vers le plateau.
C'est peut-être un pied de nez à une société polluée par sa surconsommation, allez savoir ! Ou une passion qui dure, un désir de réaliser ses rêves.
Pourquoi donc Brel a-t-il quitté son confort parisien pour partir vivre aux Marquises ?
En attendant, les idées voyagent entre le plateau de Millevaches et Mulhouse…
Le désir de vivre autrement dans un esprit d'ouverture et d'accueil, de créer un gîte d'enfants et une structure d'accueil pour familles, de rejoindre une centrale d'achat bio direct du producteur au consommateur; de trouver une manière rurale de vivre qui refuse de gaspiller les ressources naturelles, de breveter le vivant, de subventionner l'agriculture intensive, qui refuse encore le pillage systématique de la terre.
Ce qui nous plaît en Limousin et plus particulièrement sur le plateau, ce sont toutes ces initiatives et cette vitalité dont nous avons eu connaissance par divers biais :
Terre à terre sur France Culture le samedi matin, Village magazine, le journal du Conseil Régional, etc...
Et puis… on a envie de se planter, voilà tout ! S'installer ici, parce que c'est une région que l'on aime, où poussent bien les artistes et les résistants. On a envie tranquillement de regarder nos enfants grandir, en harmonie avec la nature, libres… De regarder la terre glaiseuse, le ciel immense et savoir que l'on est de ce pays puisqu'on l'a choisi.
J'ai un gros mythe. Evidemment que ce n'est pas ce que j'avais demandé au génie de la lampe, qu'est-ce que vous croyez ? N'empêche, maintenant il faut que je fasse avec. Depuis toutes ces années, on a fini par s'apprivoiser et même par s'aimer. Il me dit : "Auvergne, Creuse, Corrèze, Limousin… Par là, entre volcans, montagnes et résistance, c'est là qu'elle est ta vie, c'est là que tu vas la construire".
J'ai pourtant bien essayé de m'en défaire de ce mythe. Je l'ai tourné en dérision et j'avais même presque oublié son existence. Et puis le 21 avril 2002, v'là-t-y pas qu'y réapparaît ! Y m'dit : "Non mais t'as vu dans quelle région tu crèches ? 30% de votes pour le gros méchant, tu vas supporter ça encore longtemps ?
Quand est-ce que tu fais tes valises ?"Y r'vient ces mauvais jours de mars 2003 où ma fille, sept ans, rentre de l'école terrorisée :Qu'as tu appris à l'école ma fille aujourd'hui ?Ben la maîtresse elle nous a montré tout ce qu'il faut faire quand il y aura une explosion ou une attaque terroriste à l'usine "Séveso" à côté de l'école…Ah… Et qu'as tu appris à l'école ?Ben aujourd'hui on a appris ce qu'il faudra faire en cas de tremblement de terre…Ah… Et… Et qu'as tu appris ?On a parlé de la pédophilie et des disparitions d'enfants.Ah… Et… Et… Qu'as-tu… ?Si il y a un avion qui bombarde l'école Maman, on l'a pas appris ça, qu'est-ce qu'il faut faire ?Sans commentaire, mais véridique.
Le choix du Limousin de parier sur l’accueil de nouveaux habitants et de nouvelles activités se veut réponse et remède à un mal qui, depuis des décennies, mine notre région : le déclin démographique et ses conséquences.
Réponse incontournable, dans la mesure où, victime d’un exode massif et d’un vieillissement de sa population, le Limousin glisse inexorablement sur la pente de la dépopulation et n’est tout simplement plus en mesure, de ce fait, de compter sur ses seules propres forces pour contrecarrer les corollaires de ce déclin. En somme, il s’agit de parier, en même temps que sur les ressources humaines locales, sur des ressources humaines extérieures, venant combler le vide créé par l’histoire.
Réponse circonstanciée, également, dans la mesure où elle s’inscrit en cohérence avec des mouvements profonds qui animent la société française contemporaine.
Longtemps "pompe aspirante" des campagnes, les grandes villes se voient en effet de plus en plus critiquées pour les conditions de vie qu’elles offrent, jusqu’à engendrer une forme de répulsion dont bénéficient, par contrecoup, des régions rurales et peu denses comme le Limousin.
Favorisé par le développement des transports et l’évolution des communications, ce phénomène se traduit de manière nette dans les statistiques : le Limousin s’avère gagnant au "jeu" de la migration depuis les années 1970. Aujourd’hui, ce sont environ 10 000 personnes qui arrivent chaque année dans la région, contre 8 500 qui en partent. Quant aux français, ils sont 44 % à déclarer vouloir vivre à la campagne dans les 10 prochaines années, selon un sondage IFOP datant de 2001.
Forte de ces constats, la Région Limousin s’est engagée politiquement en 1999 avec la création de la Direction de l’Accueil et de la Promotion et le lancement concomitant d’une politique migratoire, et plus particulièrement d’une politique d’accueil.
Visant explicitement à amplifier les flux d’arrivées constatés, celle-ci a pour ambition de faciliter la prospection, l’installation et l’intégration de nouveaux habitants et de nouvelles activités.
Elle s’articule autour de cinq axes majeurs :
La chaîne de l’installation, qui part des régions périphériques au Limousin ou de l’Ile de France pour arriver jusqu’au bourg, au village, en passant, éventuellement, par le service Accueil du Conseil régional, reste à ce jour incomplète ou, à tout le moins, présente des maillons insuffisamment consolidés.
Cette situation est d’autant plus préjudiciable que la politique d’accueil est une politique faite d’emboîtements successifs, où chaque échelon tient, dans une partition collective, un rôle plus particulier. A la Région Limousin, plutôt la communication vers l’extérieur, la conception et le développement d’outils structurants, la diffusion et la mutualisation de bonnes pratiques ; au local (pays et intercommunalités) l’identification et la qualification des offres d’activités (reprises d’entreprises, richesses locales à valoriser, etc.), des offres de logement ; au micro-local (communes) l’appui à l’intégration du nouvel arrivant.
En l’occurrence, les missions relevant du niveau local, qui supposent la mise en synergie de nombreux partenaires (chambres consulaires, associations, collectivités locales, …), sont actuellement insuffisamment remplies faute de temps, de savoir-faire, voire faute d’un volontarisme politique suffisant.
Si la politique régionale d’accueil ne peut répondre à chacun de ces obstacles, elle tente toutefois, par la mise en œuvre des "pôles locaux d’accueil", de remédier au manque constaté de moyens d’animation et d’action et à ses conséquences.
A l’instar des territoires, le public qui manifeste aujourd’hui l’intention de s’installer à la campagne présente fréquemment un certain nombre de fragilités :
Lorsqu’on sait l’importance de ce public pour des territoires ruraux partiellement anémiés, l’enjeu réside donc dans la capacité à l’épauler, lui mettre le pied à l’étrier pour convertir ce qui, souvent, se révèle une fuite, un rejet d’une situation vécue en un véritable projet d’installation.
Pas de recette miracle en la matière, si ce n’est l’écoute, la rencontre, la formation. Pas d’outils miracles non plus, mais des pistes intéressantes comme l’appui apporté localement par des acteurs associatifs du plateau de Millevaches ou comme la "session de regroupement" organisée conjointement, en 2002, par le Parc Naturel Régional Périgord-Limousin et le Pays d’ouest limousin avec l’appui du service Accueil du Conseil Régional.
Faire de la place sur le plan résidentiel, faire de la place sur le plan professionnel, épauler des porteurs d’idées ou de projet dans un parcours allant du désir à l’installation effective, tels sont donc les termes de la difficile équation de l’accueil que la Région Limousin, avec ses partenaires, doit s’efforcer de résoudre.
Faire de la place dans les têtes, pourrait-on ajouter en guise de conclusion. Car il n’est d’accueil possible que dans un territoire ouvert, acceptant de partager son espace, prêt, tout en se laissant influencer par "l’étranger", à lui offrir une part de soi. Prêt, en somme, à intégrer. Question de confiance en soi, probablement ; question éminemment politique, en tous cas.
Si vous êtes de fidèles lecteurs d’IPNS, vous pourrez constater que le terme de « Montagne Limousine » se substitue de plus en plus au terme de « Plateau ». Vous remarquerez aussi que certains auteurs les utilisent indifféremment. C’est Jean-François Vignaud, de l’IEO, (Institut d'études occitanes) qui a le mieux fait la part des choses à mon sens. Son article dans notre n° 28 (1) évoque « la montanha », et parle à propos du Plateau de Millevaches d’un « mythe toponymique ». Ce texte a très exactement 10 ans, mais évidemment, depuis, rien n’a changé, sauf … (un peu) les mots. On y apprend que la Montagne est de loin le terme le plus ancien. Ainsi, un panneau destiné aux visiteurs du Pont Saint Etienne à Limoges, nous indique-t-il ceci : (au Moyen-Age) « Ici, au Port du Naveix, on déchargeait le bois flotté, venu de la Montagne » (c’est-à dire par la Vienne, la Maulde, la Combade).
Le terme a ensuite été utilisé depuis «belle lurette» par les historiens et les géographes, qui ne sont pas des plaisantins. Définir très précisément notre Montagne Limousine est assez facile, c’est une affaire de critères. Les premiers sont purement géographiques : relief, altitude, climat, nature des sols, richesses en cours d’eau, végétation. L’altitude n’est pas un critère suffisant, ni même absolu. Selon les auteurs, on tracera une carte des zones supérieures à 500 ou 600 m, cette dernière carte étant évidemment plus réduite. Certains élus parlent de ces altitudes avec un petit air de se moquer tout de même, montrant du doigt « un autre monde », sauvage et inculte (les habitants bien sûr !), comme s’ils avaient quelque supériorité à vivre hors de la montagne. La chose amusante est que ce même secteur a bel et bien été une « vraie » montagne, comme les Alpes, assise sur les roches les plus anciennes de la Terre, ici la famille des granites.
Mais c’était il y a 500 millions d’années. Et les millions d’années, ça use. Le relief est bien aujourd’hui celui d’un plateau (tiens, tiens), incliné doucement vers l’ouest depuis l’Auvergne, mais aussi vers le nord et le sud, à partir des hauteurs formant la ligne de partage des eaux. Ce, ou plutôt CES plateaux, sont largement entaillés par les vallées des nombreux cours d’eau, ce qui fait que - circulant dans la Montagne - on passe d’un plateau à l’autre, après avoir descendu puis remonté (les cyclistes connaissent bien ces dénivelés). Là, le climat – dit de moyenne montagne – est plus rude, plus froid (90 jours de gel par an en moyenne) plus humide (nettement plus de neige, et pluviométrie supérieure à 1000 mm). Ne parle-t-on pas de la limite pluie-neige, à environ 500 m ? Avec des paysages et une végétation en conséquence. On évoquera ici les terres peuplées de hêtres, (voir tous les lieux nommés en Faye, Faux) qui se substituent peu à peu vers l’est aux zones à châtaigniers (Chassagne-at). Le chêne est par contre partout chez lui, quand il en reste. Plus de landes, de nombreuses tourbières, voici une autre marque.
Et la forêt dans tout ça ? Il est admis que jusqu’aux environs des années 30, elle n’occupait guère plus de 10 %, contre aujourd’hui 60, chiffres variables selon les secteurs toutefois. La lande à bruyères régnait donc, et les prairies dans les fonds. Il suffit de se reporter aux vieilles cartes postales, avec leurs sommets dénudés. Aujourd’hui, une bruyère n’y reconnaîtrait pas ses petits. Et pourtant, la Montagne a été longtemps une zone extrêmement boisée. Voici ce qu’en disait en 1936 un géographe limousin célèbre, Aimé Perpillou (élève d’Albert Demangeon, cf IPNS n° 66 ) :« souvent la lande, au lieu d’être une formation végétale originale, n’était qu’une formation dérivée, créée par l’homme aux dépens de la forêt. On avait abattu les arbres pour avoir de la terre cultivée, mais le sol s’était épuisé et le paysan avait abandonné ces «champs froids». Graminées, genêts, ajoncs, bruyères avaient pris possession du terrain »
Voilà donc une idée reçue battue en brèche. A une date reculée – vers la fin du Moyen Àge – notre région était déjà couverte de forêts, mais de feuillus exclusivement. Par l’action de l’homme, la lande avait ensuite remplacé la forêt.
L’Etat soucieux d’aménagement – ne riez pas ! - s’est intéressé à la notion de montagne depuis une cinquantaine d’années, avec la création de la DATAR *. On a pu constater comment notre Montagne Limousine a pu évoluer grâce à cette brillante prise de conscience : gestion de la forêt, des services publics, des transports, … coupes rases tous azimuts ; merci pour l’attention. Je rappelle cependant ceci : c’est bien d’après une synthèse des critères naturels et humains que l’Etat a classé certaines communes en « zone de MONTAGNE ». Il suffit de se rendre sur un site gouvernemental – par exemple L’observatoire des territoires – pour reconnaître la pertinence du terme. Pour beaucoup d’élus, cela n’a d’autre forme qu’une tirelire, assez maigre d’ailleurs.
Autrement dit, une usine à gaz.
Un tel classement a cependant un intérêt qui est de mettre les aspects économiques au cœur de la définition : prééminence de l’élevage (remarquez le % ovins-bovins depuis le cœur vers la périphérie), importance de la sylviculture, et du tourisme. Il n’y manque plus que le cannabis thérapeutique et les grands festivals : la culture chez les ploucs , doit-on penser dans les DRAC ** et autres !
Les critères socio-culturels me semblent tout aussi pertinents. Si les animateurs de la Fête de la Montagne limousine ont choisi ce terme, plutôt que celui de «plateau», il doit bien y avoir une (bonne) raison. J’oserais dire qu’il existe désormais (depuis au moins deux décennies) une « civilisation de la Montagne », qui a la particularité d’associer les richesses de deux cultures, qu’on appelle pour simplifier celle des « natifs » et des « néos », synthèse pas encore vraiment aboutie, mais on peut toujours rêver. N’en déplaise aux grincheux (suivez mon regard).
N’oublions pas les critères historiques : importance, durant des siècles, du travail migratoire saisonnier : les maçons, les scieurs de long, et les … nourrices. Nature des clochers (clochers-murs), et prédominance de l’ardoise, déchristianisation précoce (voir le % d’enterrements civils), esprit rebelle, prégnance des idées «de gauche»,... tout çà est cartographié, et je suis sûr que les naturalistes pourraient encore en rajouter. Vous remarquerez que le loup est attendu, plutôt des dédommagements pécuniaires, plus que redouté. Et chez les écolos ? nombreux dans (et pas sur) notre Montagne : la vieille envie de faire de « notre » Montagne une poubelle nucléaire semble en sommeil ! Mais gare ! On vient, ou on reste, ici pour être peinard. Et pas pour voir déferler les bagnoles, les vedettes du show bizz, et autre animaux consommateurs de verdure, à deux pattes.
Cela vaut-il la peine d’aller plus loin ? Beaucoup de lecteurs vont dire « mais votre définition, c’est exactement le plateau ! » Eh bien, non, c’est beaucoup plus compliqué que ça. La Montagne Limousine constitue seulement le cœur des Plateaux limousins. Suite au prochain numéro.
** DRAC : direction régionale des affaires culturelles.
IPNS : Qui est Catherine Lefrançois, l'auteure de cette pièce et comment s'y est-elle prise pour écrire ce texte ?
C M : Catherine Lefrançois vit à Paris ; elle a des origines ariégeoises. Elle a travaillé à partir de sa mémoire et surtout à partir d'un document édité par la Fédération du Pays de Haute-Corrèze : "Les chemins de la réussite". Il s'agit d'une action soutenue par la Région Limousin et destinée à mettre en place "un pôle local d'accueil" (Dispositif d'aide et d'accompagnement à l'installation de nouveaux arrivants et de nouveaux actifs).
IPNS : Il y a donc des références à des expériences ou des personnages réels ?
C M : Le document qui a servi de base au travail de Catherine Lefrançois a été réalisé sous forme de fiches qui relatent en effet les initiatives d'installation des nouveaux arrivants durant ces dix dernières années.
IPNS : On voit apparaître différents personnages, assez typés qui représentent chacun des éléments de la population locale. Pouvez-vous nous en parler ?
C M : La communauté villageoise s'organise autour des mêmes figures : le maire, le curé, le notaire, "l'ancien", le ou la célibataire, celui qui n'a pas de chance, celui qui en a, celui qui a de l'argent, celui qui n'en a pas, les vieilles familles, les nouvelles familles installées…
Le maire c'est l'enfant du pays, dévoué à sa commune ; il essaie d'être dans le coup et d'impliquer ses administrés mais ce n'est pas facile. Il a la soixantaine.
Gustave, le musicien, vit de sa musique ; il "monte" régulièrement à Paris pour son travail. Il fait de la musique traditionnelle, non pas par nostalgie d'un passé révolu, mais plutôt pour faire entendre une culture. Paris est peut-être pour lui un espace qui le préserve de l'étouffement.
Pam, la fermière, enfant du pays, célibataire, 40 ans, est issue d'une vieille famille d'agriculteurs. Elle n'a pas quitté son village. Elle s'adapte en transformant sa ferme en ferme auberge. Elle propose une restauration et une hôtellerie traditionnelles, comme ce qu'elle a toujours connu. Elle est l'opposée de Madame Chantrie, néo-rurale, qui a restauré une gentilhommière et fait partie du réseau grand standing "Relais et manoirs". Reine est la femme de Gustave. Elle travaille "chez Pam et chez la Chantrie". Elle s'ennuie, Gustave est souvent absent ; elle s'habille de façon provocante car elle a envie de vivre et d'être aimée ; elle boit ; elle a trente ans.
Le vieux Cayrol est l'archétype du paysan qui n'a jamais quitté son village. Près de ses sous, grognon, râleur, mais pas plus méchant que ça. Il est contre le progrès, le changement. Il a 80 ans. Et puis… il y a beaucoup d'autres personnages puisqu'au total, ils sont 28 à venir témoigner d'une manière ou d'une autre dans la pièce.
IPNS : Vous avez montré le "choc" de cultures et de visions différentes du rural. Par exemple Cayrol et l'anglaise qui veut racheter sa ferme, ou Madame Chantrie (du "Manoir de la Chantrie") et Pam (de la"Ferme auberge du Pigeonnier").
C M : Dès l'instant où quelqu'un vient d'ailleurs, il y a forcément un choc des cultures. Pour Cayrol, le monde rural est l'espace du travail, des ancêtres. Pour Miss Taylor, c'est une qualité de vie, un espace de liberté qui va lui permettre de vivre sa relation amoureuse avec Marge, son amie. Pour Pam et Madame Chantrie s'affrontent deux visions du monde : pour l'une, la qualité de vie, le patrimoine et la gastronomie sont sources de revenus, pour l'autre, celle qui a toujours vécu là, les maisons en pierres ou la cuisine traditionnelle font partie du décor naturel.
IPNS : Il y a aussi de nouveaux installés qui ont réussi : Madame Benami par exemple…
C M : Pour Madame Bénami qui a une activité a priori citadine, cette installation correspond à un choix de vie ; la vie à la campagne est source d'équilibre et paradoxalement le travail y est plus simple à organiser.
IPNS : Et il y en a d'autres qui fuient une situation économique difficile : Amine et Ismène…
C M : Le couple Amine-Ismène, tous deux nés en France, à Sarcelles, ont des origines qui leur collent à la peau. Par conséquent, trouver du travail n'est pas facile. Le logement, les rapports humains, l'éducation des enfants : tout semble plus compliqué à la ville. Ils viennent à la campagne pour s'installer de manière durable ; ils sont prêts à travailler beaucoup s'il le faut.
Et puis la qualité de la vie, ce n'est pas que l'air pur et les paysages, c'est d'abord les relations. Eux qui viennent des grands ensembles citadins, ils savent ce que cela veut dire.
IPNS : Le maire là-dedans, malgré son côté un peu ridicule du petit notable joue les médiateurs et les assistantes sociales. Son rôle apparaît très fédérateur.
C M : Dans une petite commune, le rôle fédérateur du maire est fondamental et ce maire l'a compris, lui qui est toujours très impliqué dans la vie de sa commune. Il se sent indispensable ; ce n'est pas un notable, mais il se fait tout de même piéger par le pouvoir ; il a du mal à "lâcher le manche". Ce personnage est une véritable peinture sociale. Son discours est un petit morceau d'anthologie.
IPNS : Il y a un autre personnage, Anna, la journaliste venue enquêter sur les néo-ruraux. Il y a une intrigue qui ne se dévoile qu'à la fin et qui relie certains des personnages de l'histoire.
C M : Le rôle d'Anna est fondamental dans cette histoire. Venant faire un article sur les "néo-ruraux" et menant parallèlement elle-même une enquête personnelle sur ses origines, elle libère la parole des uns et des autres. C'est l'occasion pour les gens du village de faire des révélations. On entend alors une parole plus intime.
IPNS : Comment ont réagi les premiers spectateurs locaux (anciens et nouveaux) ?
C M : Ce théâtre est un miroir. Les spectateurs rient et sont touchés par les images qui s'y révèlent. La satire, pourtant mesurée, a provoqué des réactions chez certains élus qui ont parlé de caricature (ce fut le cas seulement pour un ou deux d'entre eux) Les néoruraux ont beaucoup apprécié. Qu'ils soient donc rassurés : leurs administrés ont un regard adulte.
Ce spectacle n'a pas été créé seulement pour suggérer aux nouveaux arrivants que les zones rurales peuvent être des terres d'accueil mais aussi pour dire aux habitants que le premier accueil passe par la relation. S'il existe dans les campagnes des initiatives diverses, intéressantes et originales c'est parce que les néo-ruraux croient en un avenir et ont de l'ambition pour ce qui est devenu désormais leur territoire.
La question est posée par une chercheuse géographe, Nassima Hakimi-Pradels, qui est venue faire plusieurs séjours sur le Plateau. Dans Belgeo, revue belge de géographie, elle pose un regard sur ce qu’elle appelle « la fabrique des hauts-lieux des alternatives sociales et écologiques dans les marges françaises ». Elle prend le cas de la Montagne limousine. « Il est souvent postulé, écrit-elle, que les alternatives y seraient amenées de l’extérieur par des néo-ruraux qui s’installent à la campagne pour mettre en acte leur utopie. L’objectif de cet article est de nuancer cette thèse en développant l’idée selon laquelle, dans ces hauts-lieux des alternatives, les initiatives et les pratiques en décalage avec les normes dominantes ne sont pas uniquement le fait de néo-ruraux à l’ethos alternatif, très conscients des enjeux de soutenabilité et œuvrant intentionnellement à construire une société qu’ils veulent plus juste et plus écologique, mais aussi de personnes qui n’ont pas ce niveau de conscience et/ou qui s’inscrivent dans d’autres intentionnalités. » Une manière de remettre en cause le vieux cliché du clivage « néos-natifs ».
À lire en ligne https://journals.openedition.org/belgeo/48884
Que dire de la notion de développement durable si ce n'est qu'elle est trop souvent mal définie et que très peu de gens en comprenne le sens. Il semble, après lecture de l'article de Jean-François Pressicaud dans le dernier numéro d'IPNS, que ce soit malheureusement le cas de Georges Pérol. Cela m'attriste fortement, d'autant plus au vu des fonctions occupées par ce Monsieur. Il est évident que le développement durable ne peut s'assimiler à une "économie durable". Un territoire ne peut se résumer à sa simple composante économique. Bien qu'il soit certain qu'il doit être viable économiquement pour pouvoir fonctionner correctement, il n'en reste pas moins qu'il existe essentiellement parce que ses habitants se l'approprient. Et ce phénomène d'appropriation passe avant tout par un dynamisme social et culturel avéré, ainsi que par une véritable sensibilité environnementale. Il me parait insensé que le Vice Président du Conseil Général de la Corrèze et du Parc Naturel Régional de Millevaches en Limousin n'en ait pas pris conscience.
La suite de l'article est édifiante. Cet homme d'expérience, possédant une influence conséquente du fait de ses fonctions, en vient à opérer, à l'échelle du département de la Corrèze, une distinction territoriale digne d'intérêt. Selon lui, seuls les territoires qui, à l'heure actuelle, disposent d'un potentiel de croissance économique à court terme, vont être amenés à se développer. D'emblée, deux questions me sont venues à l'esprit : quel avenir réserve-t-il pour les autres territoires, et notamment celui du Plateau de Millevaches ? En outre, en quoi peut-on appliquer l'adjectif durable à ce type de développement, ou plutôt à ce type d'économie, pour reprendre l'expression de l'intéressé ?
M. Pressicaud semble s'être posé les mêmes questions que moi, ce qui me rassure fortement. Je ne suis pas seule à rester perplexe devant l'avenir que nous proposent de telles personnes. Le fatalisme évident dont Monsieur Pérol fait preuve à l'égard du Plateau de Millevaches ne risque pas de servir son territoire. Ce genre d'attitude freine, justement, un certain développement qui, comme le précisait J.-F. Pressicaud, n'apparaît pas encore dans les statistiques. Quoique cela ne soit pas si sûr.
Des études ont été récemment menées sur un phénomène grandissant : l'arrivée de nouvelles populations dans les milieux ruraux profonds. La question de l'habiter est, pour nos sociétés modernes, une problématique essentielle. En effet le lieu, le cadre de vie ont sensiblement pris de l'importance dans les mentalités actuelles. C'est son lieu de vie qui, de plus en plus, détermine le bien-être d'une famille. Elle prend soin de bien le choisir selon ses aspirations. Actuellement, une tendance générale voudrait que ce soit vers lemilieu rural que se tournent principalement les désirs résidentiels : à distance de la ville, il semble offrir des espaces vides, quasiment vierges, infinis.
L'ampleur de ce "retour à la terre", comme on l'appelle parfois, dépasse dans bien des régions le niveau d'un simple phénomène épisodique. Une enquête IPSOS réalisée en juin 2003 et se basant sur la définition statistique de l'INSEE (est considérée comme néo-rurale toute personne habitant la commune depuis moins de 5 ans et dont le précédent lieu de résidence se situait à plus de 50 kilomètres) a dénombré plus de deux millions de néo-ruraux. Des estimations plus anciennes ont montré que dans la période intercensitaire 1982-1990, environ deux millions de personnes s'étaient aussi installées en milieu rural. Il est bien entendu très difficile d'obtenir des chiffres concrets, précis, sur l'ampleur de la mouvance néorurale. Mais nous ne pouvons, sous ce prétexte, faire abstraction de cette réalité : le néo-ruralisme est un phénomène de société de plus en plus marqué et marquant. Il alimente de nombreux articles de journaux. Il révèle notre changement de regard sur la campagne, sur le monde rural. Il est le témoin du rêve entretenu par beaucoup de se "mettre au vert".
L'arrivée de populations nouvelles sur le Plateau de Millevaches, et dans la région, n'est pas un phénomène nouveau, mais son accentuation est récente. Ce phénomène permet, depuis peu, de combler un tant soit peu le déficit démographique que l'on observe en Limousin. Ces nouveaux arrivants sont d'autant plus intéressants qu'ils sont jeunes : jeunes parents, jeunes actifs, etc. Bernard Kayser, grand spécialiste des milieux ruraux et de la mouvance néo-rurale, écrivait déjà en 1989 : "Ce qui est sûr, c'est que la concomitance, au moins approximative, du renversement démographique dans la plupart des pays industriels oblige à y voir bien plus qu'un phénomène superficiel ou passager. Ce qui est sûr, de la même façon, c'est que l'inclusion, dans l'ensemble touché par ce processus, de zones et lieux très dispersés et différenciés fait de ce qui pourrait apparaître localement comme accidentel un véritable phénomène sociétal" .
Du fait de son importance, le phénomène néo-rural ne reste donc pas sans impact sur les territoires concernés par de nombreuses installations. Il présente l'intérêt de contribuer à la revitalisation de régions rurales souvent vidées de leur substance par un exode rural séculaire et, progressivement, transforme assez profondément les mentalités et les conditions de vie dans ces régions dont certaines semblaient jusqu'à maintenant vouées à une désertification sans recours. Néanmoins, il a trop longtemps été considéré comme marginal, notamment par l'Etat, les régions, les communes. Encore maintenant, beaucoup d'hommes politiques, de tous niveaux et de tous bords, ont du mal à en saisir l'importance.
L'arrivée de nouvelles populations et activités constitue un réel enjeu pour l'avenir de ces territoires. Or, il est nécessaire d'appuyer sur le fait que plusieurs problèmes globaux subsistent quant à la mise en place d'une politique d'accueil globale et efficace. Selon moi, le rôle des collectivités territoriales est majeur. Sans elles, seules quelques actions à petite échelle, provenant d'initiatives locales, peuvent être entreprises. Il faut donc qu'elles se sentent de plus en plus impliquées dans ces problématiques d'accueil et qu'elles surmontent plusieurs écueils. Un engagement volontaire et dynamique de la part des collectivités territoriales semble indispensable. Il faut lutter contre l'immobilisme, et le fatalisme, des administrations et des élus. La situation même du territoire lui impose de se donner les moyens de mener une action déterminée et efficace. Pour cela, il faut que les administrations croient en un bel avenir possible pour le Plateau de Millevaches, en un potentiel de développement de la région qui mérite d'être exploité. Sans cette croyance, il y a peude chance que les acteurs se sentent concernés par l'avenir de leur territoire.
En outre, il me semble utile de revenir sur le fait que ce potentiel de développement ne doit pas être perçu comme un développement économique. Au contraire, il serait préférable de miser sur un développement social et culturel du territoire, fondé sur une démarche de préservation de l'environnement et ce, pour deux raisons : les espaces naturels constituent un capital non négligeable, qui peut constituer une solide base dans la construction d'un développement économique respectueux des milieux environnants ; de plus, c'est en misant sur l'accueil de nouveaux habitants, la consolidation de la solidarité entre personnes, l'extension du tissu associatif et la valorisation du patrimoine culturel, qu'il sera possible de renforcer le sentiment de bien-être des habitants. Et c'est bien ce sentiment qui, conditionnant la sensation d'appartenance à un territoire, permet de faire vivre ce même espace, que l'on peut alors qualifier d'"espace vécu", selon l'expression d'Armand Frémont, géographe émérite. Comment qualifier un territoire qui vit si ce n'est de développé ? Et je mets au défi M. Pérol de m'affirmer que le Plateau de Millevaches n'est pas un territoire plein de vie.
Oser se détacher de l'idéologie capitaliste prégnante afin d'imaginer un développement centré sur le bien-être des populations et intégrant, de fait, trois dimensions : sociale, environnementale et économique, c'est cela le développement durable, et certainement pas, comme voudraient nous faire croire certaines personnes, l'application de la logique capitaliste accompagnée de quelques actions à visée pseudo environnementaliste qui aboutissent bien plus souvent à figer les paysages plutôt qu'à les préserver.