IPNS : Qui est Catherine Lefrançois, l'auteure de cette pièce et comment s'y est-elle prise pour écrire ce texte ?
C M : Catherine Lefrançois vit à Paris ; elle a des origines ariégeoises. Elle a travaillé à partir de sa mémoire et surtout à partir d'un document édité par la Fédération du Pays de Haute-Corrèze : "Les chemins de la réussite". Il s'agit d'une action soutenue par la Région Limousin et destinée à mettre en place "un pôle local d'accueil" (Dispositif d'aide et d'accompagnement à l'installation de nouveaux arrivants et de nouveaux actifs).
IPNS : Il y a donc des références à des expériences ou des personnages réels ?
C M : Le document qui a servi de base au travail de Catherine Lefrançois a été réalisé sous forme de fiches qui relatent en effet les initiatives d'installation des nouveaux arrivants durant ces dix dernières années.
IPNS : On voit apparaître différents personnages, assez typés qui représentent chacun des éléments de la population locale. Pouvez-vous nous en parler ?
C M : La communauté villageoise s'organise autour des mêmes figures : le maire, le curé, le notaire, "l'ancien", le ou la célibataire, celui qui n'a pas de chance, celui qui en a, celui qui a de l'argent, celui qui n'en a pas, les vieilles familles, les nouvelles familles installées…
Le maire c'est l'enfant du pays, dévoué à sa commune ; il essaie d'être dans le coup et d'impliquer ses administrés mais ce n'est pas facile. Il a la soixantaine.
Gustave, le musicien, vit de sa musique ; il "monte" régulièrement à Paris pour son travail. Il fait de la musique traditionnelle, non pas par nostalgie d'un passé révolu, mais plutôt pour faire entendre une culture. Paris est peut-être pour lui un espace qui le préserve de l'étouffement.
Pam, la fermière, enfant du pays, célibataire, 40 ans, est issue d'une vieille famille d'agriculteurs. Elle n'a pas quitté son village. Elle s'adapte en transformant sa ferme en ferme auberge. Elle propose une restauration et une hôtellerie traditionnelles, comme ce qu'elle a toujours connu. Elle est l'opposée de Madame Chantrie, néo-rurale, qui a restauré une gentilhommière et fait partie du réseau grand standing "Relais et manoirs". Reine est la femme de Gustave. Elle travaille "chez Pam et chez la Chantrie". Elle s'ennuie, Gustave est souvent absent ; elle s'habille de façon provocante car elle a envie de vivre et d'être aimée ; elle boit ; elle a trente ans.
Le vieux Cayrol est l'archétype du paysan qui n'a jamais quitté son village. Près de ses sous, grognon, râleur, mais pas plus méchant que ça. Il est contre le progrès, le changement. Il a 80 ans. Et puis… il y a beaucoup d'autres personnages puisqu'au total, ils sont 28 à venir témoigner d'une manière ou d'une autre dans la pièce.
IPNS : Vous avez montré le "choc" de cultures et de visions différentes du rural. Par exemple Cayrol et l'anglaise qui veut racheter sa ferme, ou Madame Chantrie (du "Manoir de la Chantrie") et Pam (de la"Ferme auberge du Pigeonnier").
C M : Dès l'instant où quelqu'un vient d'ailleurs, il y a forcément un choc des cultures. Pour Cayrol, le monde rural est l'espace du travail, des ancêtres. Pour Miss Taylor, c'est une qualité de vie, un espace de liberté qui va lui permettre de vivre sa relation amoureuse avec Marge, son amie. Pour Pam et Madame Chantrie s'affrontent deux visions du monde : pour l'une, la qualité de vie, le patrimoine et la gastronomie sont sources de revenus, pour l'autre, celle qui a toujours vécu là, les maisons en pierres ou la cuisine traditionnelle font partie du décor naturel.
IPNS : Il y a aussi de nouveaux installés qui ont réussi : Madame Benami par exemple…
C M : Pour Madame Bénami qui a une activité a priori citadine, cette installation correspond à un choix de vie ; la vie à la campagne est source d'équilibre et paradoxalement le travail y est plus simple à organiser.
IPNS : Et il y en a d'autres qui fuient une situation économique difficile : Amine et Ismène…
C M : Le couple Amine-Ismène, tous deux nés en France, à Sarcelles, ont des origines qui leur collent à la peau. Par conséquent, trouver du travail n'est pas facile. Le logement, les rapports humains, l'éducation des enfants : tout semble plus compliqué à la ville. Ils viennent à la campagne pour s'installer de manière durable ; ils sont prêts à travailler beaucoup s'il le faut.
Et puis la qualité de la vie, ce n'est pas que l'air pur et les paysages, c'est d'abord les relations. Eux qui viennent des grands ensembles citadins, ils savent ce que cela veut dire.
IPNS : Le maire là-dedans, malgré son côté un peu ridicule du petit notable joue les médiateurs et les assistantes sociales. Son rôle apparaît très fédérateur.
C M : Dans une petite commune, le rôle fédérateur du maire est fondamental et ce maire l'a compris, lui qui est toujours très impliqué dans la vie de sa commune. Il se sent indispensable ; ce n'est pas un notable, mais il se fait tout de même piéger par le pouvoir ; il a du mal à "lâcher le manche". Ce personnage est une véritable peinture sociale. Son discours est un petit morceau d'anthologie.
IPNS : Il y a un autre personnage, Anna, la journaliste venue enquêter sur les néo-ruraux. Il y a une intrigue qui ne se dévoile qu'à la fin et qui relie certains des personnages de l'histoire.
C M : Le rôle d'Anna est fondamental dans cette histoire. Venant faire un article sur les "néo-ruraux" et menant parallèlement elle-même une enquête personnelle sur ses origines, elle libère la parole des uns et des autres. C'est l'occasion pour les gens du village de faire des révélations. On entend alors une parole plus intime.
IPNS : Comment ont réagi les premiers spectateurs locaux (anciens et nouveaux) ?
C M : Ce théâtre est un miroir. Les spectateurs rient et sont touchés par les images qui s'y révèlent. La satire, pourtant mesurée, a provoqué des réactions chez certains élus qui ont parlé de caricature (ce fut le cas seulement pour un ou deux d'entre eux) Les néoruraux ont beaucoup apprécié. Qu'ils soient donc rassurés : leurs administrés ont un regard adulte.
Ce spectacle n'a pas été créé seulement pour suggérer aux nouveaux arrivants que les zones rurales peuvent être des terres d'accueil mais aussi pour dire aux habitants que le premier accueil passe par la relation. S'il existe dans les campagnes des initiatives diverses, intéressantes et originales c'est parce que les néo-ruraux croient en un avenir et ont de l'ambition pour ce qui est devenu désormais leur territoire.
Contact : Théâtre La Chélidoine - Lestrade- 19200 Saint Angel- 05 55 72 55 84