Cent, peut être deux cents, en tout cas nombreuses étaient les personnes et les habitant.e.s venues, souvent en famille, aux rencontres de cette journée festive de déambulations champêtres, culturelles et politiques (au sens large). À la Berbeyrolle, au bourg de Tarnac et à Peyrelevade (en veillée) des carrefours dédiés à la résistance, à la poésie, à la mémoire, à l’histoire, à la convivialité... avaient été installés dans les salles municipales, sous des chapiteaux, à la médiathèque Armand Gatti et en plein air, offrant des expositions, des lectures, du théâtre, du cinéma, un repas du cru.
À la Berbeyrolle, dans un îlot de forêt (les alentours sont en coupes), au bord d’un ancien trou du maquis, une plaque fixée sur une haute pierre de granit rappelle que la Résistance est le propre des gens ordinaires. Ce message n’est pas fréquent car la plupart des stèles l’inscrivent sur le mode tragique des victimes ou sur celui de l’exception propre aux héros. Ni héros, ni martyrs, les personnes dont les noms sont gravés ici appartiennent simplement à deux familles de paysans de la commune, ce sont ceux de quatre jeunes citadins, ouvriers ou fils d’ouvriers venant de loin (Nice-Monaco, Marseille, Lyon) et celui d’un passeur italien de la filière communiste conduisant au maquis limousin depuis la Méditerranée. Huit noms gravés en hommage à tous les “légaux”, paysan.ne.s et villageois.e.s, ainsi qu’aux jeunes maquisard à qui ils offraient refuge, nourriture, soins et planque. J’oublie deux noms, mais ceux-ci figurent sur la deuxième stèle. Ils appartiennent d’une part à une jeune fille juive monégasque rescapée des rafles, entrée dans la résistance, dont la famille a été exterminée à Auschwitz, et d’autre part à un révolutionnaire paysan ukrainien.
Ce monument évoque à travers ces dix noms la résistance dans son mode commun, familier et familial, essentiellement modeste. Elle est illustrée ici par une forêt près d’une ferme, par des familles paysannes, des réfugié.e.s, des partisan.e.s. Il s’agit de la résistance universelle - d’ici comme d’ailleurs, de tous temps et à tous les temps - qui s’exprime par les actes concrets de solidarité, de courage et de refus quotidiens venus des gens du peuple, en bas. La pierre du maquis de la Berbeyrolle montre d’abord cela.
Il ne serait pas juste de dire que cette “plaque”, promise en 1996 par l’ancien maire Jean Plazanet au cours d’une discussion avec Armand Gatti2, existerait si ce dernier n’avait pas été en 1943 un des quatre jeunes maquisards de la Berbeyrolle. Devenu un auteur dramatique important et un poète reconnu, Gatti est mort en 2017 après avoir écrit le texte des plaques3 de la forêt de la Berbeyrolle. Il a laissé une œuvre dont les sources, assure-il, proviennent justement de ce plateau éponyme où il est devenu homme et où il aurait voulu voir “sa pierre”. Après 10 ans de persévérance, l’association Le Refuge des résistances Armand Gatti et la mairie de Tarnac ont cependant tenu la promesse du maire, même si ce fut à titre posthume. Le message du poète sur la résistance est désormais délivré au monde depuis l’en bas de ce village ignoré4 dont le maquis lui offrit un devenir d’écrivain “toujours maquisard” (sa “deuxième naissance”).
Revenons à la forêt de la Berbeyrolle où le premier message, familier, celui de la pierre près du trou, se prolonge sur un autre monolithe érigé à quelques pas en contrebas au creux du vallon. Parmi les arbres de la forêt complice, la résistance s’y inscrit en deux phrases exclamatives au ton révolutionnaire. La première, un peu énigmatique, est philosophique : “Prolétaires du monde entier, descendez dans vos propres profondeurs, cherchez-y la vérité, créez-la vous-mêmes ! Vous ne la trouverez nulle part ailleurs”. Nestor Makhno. Armand Gatti mentionne expressément celui qui est considéré comme son auteur, Makhno, un révolutionnaire libertaire, paysan pauvre qui s’est soulevé victorieusement avec son peuple en Ukraine pendant la Révolution d’octobre 1917. Mais n’obéissant pas au parti bolchevik, il fut contraint à l’exil au début des années 20. Cette phrase associée au nom de Makhno n’est pas sans rappeler la démarche et l’histoire de Georges Guingouin, “Premier maquisard de France” et de “Lou gran maquis”, vingt cinq ans après : une parabole philosophique et historique que Gatti à certainement voulu placer à la Berbeyrolle, à un “endroit juste”. Le deuxième slogan inscrit sur le monument sont les derniers mots du refrain de L’Internationale que le poète et ouvrier communard Eugène Pottier lance avec rage à la face de l’humanité pendant La Semaine sanglante : “Nous ne sommes rien soyons tout !”. Ici au maquis, dans la forêt amie, l’écho de cet appel redouble celui de la phrase du paysan révolutionnaire venu d’Ukraine. Il exprime une incommensurable volonté d’émancipation mais aussi la conviction en sa possibilité dans le passé, pour le présent et à l’avenir ; ici et ailleurs.
Mais venez donc sur place faire un tour à la Berbeyrolle ! Il y a “un trou qui vaut le coup”. “Tarnac, village remarquable”, n’est-t-il pas ?
Aux éditions Le Bruit des autres à Limoges.
10 euros. (Pour ceux qui en auraient raté la lecture le 23 septembre dernier à Tarnac, ils pourront compléter la lecture du poème par le visionnage du n°142, novembre 2006, du Magazine du plateau de Télé Millevaches entièrement consacré à Armand Gatti et sa résistance en Limousin).
C'est un petit paradis en son genre. Au dessus du lac Chammet, dans un site magnifique, le domaine de La Cour, d'une surface de plus de 100 hectares, regroupe une grande maison de pierre et tout un ensemble architectural : grange, chapelle, four à pain et vestiges d'une tour médiévale du XIIème siècle. En juin 2005, un rapport du CAUE (Conseil en architecture, urbanisme et environnement) de la Corrèze est réalisé à la demande du maire de Peyrelevade, Pierre Coutaud. L'intérêt patrimonial du domaine est souligné, tant pour la qualité du bâti que pour la richesse exceptionnelle de ses écosystèmes naturels. Ce dernier aspect fait à la même époque l'objet d'une étude écologique menée par le Conservatoire régional des Espaces naturels en Limousin qui souligne la présence de landes sèches, de pelouses sèches à Nard, de tourbières et de hêtraies à houx. La Cour offre donc "un agencement des habitats naturels typiques du plateau de Millevaches", dont certains, comme les pelouses sèches à Nard, "représentent des milieux devenus extrêmement rares sur le plateau". Il ressort de ces deux études que le domaine de La Cour présente une configuration unique en son genre, où intérêts écologique, paysager et pédagogique se conjuguent pour en faire un véritable condensé naturel et patrimonial du Millevaches.
La municipalité de Peyrelevade apprenant que le domaine risquait d'être mis en vente prend les devants. Souhaitant que l'ensemble du domaine garde sa cohérence foncière et son statut de lieu "ouvert" plutôt qu'il ne devienne un lieu clôturé ou qu'il ne soit démantelé, la commune avertit il y a deux ans le parc naturel régional, suggérant que soit étudiée la possibilité d'installer à La Cour la maison du Parc.
Mais le parc ne réagit pas. Ni aux courriers du maire, ni aux rapports du CAUE et du Conservatoire qui lui sont envoyés. Personne ne vient visiter le site. Les mois passent, et... le propriétaire décide de mettre en vente le domaine. Mise à prix : 1 million d'euros (finalement descendu à 800 000 euros). Les premiers candidats à l'achat sont des promoteurs de chasses privées ou des opérateurs touristiques qui voudraient y implanter des gîtes pour les vacanciers. Les craintes de la municipalité se trouvent confirmées au moment même où La Cour fédère diverses initiatives qui pourraient transformer l'endroit en un lieu unique où se conjugueraient, dans l'esprit de résistance du plateau, création, invention, réflexion et action. Une université, un refuge, un théâtre, un carrefour... Les mots ont du mal à résumer le projet protéiforme qui pourrait s'incarner à La Cour. Mais les tergiversations du Parc et l'absence de moyens immédiatement mobilisables de la part de la municipalité ne permettront pas de faire de ce domaine exceptionnel ce qu'il aurait pu être : il vient d'être acheté par un privé décidé à y développer une activité d'élevage équin et d'accueil touristique.
Hélène Chatelain qui porte avec Gatti le projet de Refuge, explique : "Ce lieu préservé, à l’écart des tumultes, pouvait devenir à l’échelle européenne un foyer de création, de partage et d’échanges de pensée, fondamental parce que enraciné. Enraciné dans une terre, une communauté d’esprit, une réflexion sur les apprentissages et les savoirs. Sur un processus de création et de partage et une volonté d’ouverture sur d’autres questions, sur d’autres langues, sur d’autres langages. Une Université ? Un pôle ? Un phare ? Un centre ? Un catalyseur ? (Les mots sont si rapidement colonisés par la voracité langagière actuelle, qu’il faut les manier avec précaution de peur qu’ils ne se dessèchent ou se muent en leur contraire…).
Ce qui est clair, c'est que le futur du domaine était un choix. Profond, radical. Ou il était cédé à des entreprises de rapport fondées sur le tourisme (et chacun sait aujourd’hui qu’elles peuvent devenir l’équivalent moderne des détrousseurs de voyageurs – comptant sur ceux qui passent et non sur ceux qui restent). Ou s'y incarnait la volonté puissante, concrète de renverser la fatalité historique de cette terre. Depuis la nuit des temps, les hommes partent du plateau. Aujourd’hui, ils veulent rester. Non au prix d’un enrichissement fallacieux, mais à celui de la dignité et du respect d’eux-mêmes et de cette terre, autonome, responsable. Des gîtes pour accueillir les passants, des granges où l’on pourra louer des carrioles à la semaine - il y en aura et c’est tant mieux - car la beauté du plateau le mérite.
Le Limousin a été naguère le centre d’un monde.
Le Plateau des mille sources fut le centre d’une résistance.
La Cour pouvait devenir le centre d’une réflexion - multiple - sur le monde qui s’annonce, face à la destruction programmée des langues, des langages et des espèces.
Il y avait là aussi une fatalité á refuser. Et une opportunité - rare - à saisir.
L'occasion perdue ne détruit cependant pas les envies qui s'étaient exprimées. D'autres lieux sur le Plateau, sur la commune même de Peyrelevade, pourraient accueillir le projet de Refuge des résistances ou quelque chose qui n'a pas encore de nom, quelque chose qui n'a pas encore de "programmes" ou de "cahiers des charges", mais qui émane du désir et des rêves de quelques-uns. Quelque chose qui n'a pas encore d'identité, mais déjà une âme.
Autour d'Armand Gatti, de Pierre Coutaud, de leurs amis limousins du plateau, de Limoges (Cercle Gramsci) ou de Tulle (Peuple et Culture), le projet émerge, se construit, se fédère. Il n'est ni limité, ni arrêté. Encore en devenir. Ses promoteurs veulent le partager, l'élargir et appellent tous ceux qui se sentent concernés ou attirés par cette expérience à venir les rejoindre. Déjà des actes concrets sont posés. Un autre lieu est recherché. Une résidence de création au cours de l'été 2008 est prévue sur le Plateau autour de Gatti et de personnes venues de toute l'Europe – résidence à laquelle sont également conviés les gens du Plateau ou du Limousin qui voudraient s'associer à une telle expérience. Un blog existe sur Internet qui donne toutes les informations actuellement disponibles sur le projet de Refuge. Une association sera peut-être créée prochainement. Une réunion enfin est programmée pour présenter le projet en ses limbes et l'accompagner avec tous ceux qui sont motivés par cette idée urgente et nécessaire : il faut résister.
Depuis quelques temps déjà, Armand Gatti revient à la Montagne limousine, sur le plateau de Millevaches. Cet été 2005 encore, en début juillet, Gatti est venu, d'un saut, quelques heures à Tarnac rencontrer et sentir vibrer en lui la vie et la verticalité de "ses morts", de ses arbres….
Il y retrouve une terre-famille, celle qui l'a accueilli, recueilli, planqué à dix huit ans, en 1942 au temps pionnier de la Résistance. Rude terre hospitalière, couvert de la forêt de la Berbeyrolle inspiratrice d'où il a été vite arraché par les forces vichystes ; puis la prison, la déportation…. Terre-famille à laquelle il ne peut que se reporter irrésistiblement, se reconnectant aux ombres intimes de l'inimaginable chemin vital du fugitif errant à pied depuis le nord de l'Allemagne. Longue marche de cet hiver 1944, pavée de mille peines, par laquelle Gatti, évadé de son camp de concentration, dans un effort inouï gagne une deuxième fois sa citadelle limousine.
Et l'évadé trouve à nouveau Pierre Hélie et les siens, la Berbeyrolle, le Grand maquis, Guingouin-Raoul. Puis c'est l'envol, la Libération, les voyages dans les insurrections du monde, l'écriture d'une parole combattante et attentive sans promesse…
Mais, toujours, le retour aux mille sources de la forêt et du plateau limousin : pays constitutif, lieu reconstituant, où l'Homme-paysan en Gatti rejoint familièrement l'Univers et ses forces indicibles, comme le suggère le dernier ouvrage d'Auguste Blanqui, L' Eternité par les astres. Automne 2005 : Hélène Châtelain reçoit à La Maison de l'Arbre à Montreuil trois animateur(e)s du cercle Gramsci de Limoges. L'idée vint alors de proposer à Gatti une lecture publique sur le plateau de Millevaches. Rejoint par Hélène dans la maison familiale piémontaise, Armand Gatti accepte avec joie l'invitation.
A peine revenus d'Italie, voilà nos deux infatigables ami(e)s dans le train de Limoges. Nous sommes le 29 octobre, Guingouin est mort depuis quelques heures. Gatti l'apprend sur le quai de la gare des Bénédictins ; une émotion intense et discrète l'étreint. Mais nous prenons la route pour Gentioux, et voici la salle des fêtes où la "lecture"-repas auberge espagnole-veillée avec Gatti a été soigneusement arrangée par nos camarades du Plateau.
Nous étions près de cent ce soir là pour un moment extraordinaire. Il fut question, pêle-mêle, de la Résistance, de Georges Guingouin/Raoul, de la Chine de la Longue Marche, de physique quantique... Gatti nous conta des malheurs que nous ne soupçonnions pas en nous : la violence et la séparation qui nous habite à cause de nos représentations du monde fondées sur une " connerie grecque ", la géométrie d'Euclide. Celle qui a inventé par commodité la droite (et la gauche !), cette figuration qui lacère comme un coup de couteau mais ne correspond à rien de vrai, de vivant : où est la courbure, alors ?
Il est donc des représentations - des idéologies- qui mutilent en voulant à elles seules capturer le monde en totalité, à en réduire les dimensions, à en inscrire des limites au moyen d'axiomes. Elles s'appellent la géométrie, l'économie, la technoscience, la religion, les sigles… et coupent les humains de la (leur) nature, de l'Univers. Alors, attention ! Au commencement était le verbe et dans les sociétés humaines les paroles font révolution ou enfermement, selon leur caractère.
Car il est d'autres conceptions et cultures - avec leurs langages - issues de pratiques, plus concrètes (la récolte, les saisons..), plus imaginatives, plus relatives et faisant passerelle avec la nature, l'univers, qui nous permettent d'entretenir d'autres relations avec le temps, l'énergie, l'espace, soi-même, les autres... Gatti nous invite à les chercher, à les découvrir, à les apprendre, à les croiser, à traverser leurs langages. Il nous en envoie, à la volée, quelques belles illustrations. Ce sont : les groupes -mathématiques- d'Evariste Gallois, l'art des jardins zen ; les idéogrammes ; le cinquième point cardinal chinois - le milieu ; "la rencontre à un moment donné d'élément sonores et rythmés, donc la notion de musicalité telle que l'entendait Mallarmé" ; la physique quantique ("les incertitudes d'Heisenberg, ce qui me parait capital au sort du monde")…
Puis d'un coup, après de longues digressions dont le secret est d'enrichir son discours sans jamais en perdre le fil, le poète nous invite à une ré(in)surrection passionnée de Roger Rouxel : Roger, son double, jeune résistant lyonnais du groupe Manouchian, fusillé, lui, à dix-neuf ans, dont la dernière lettre, à Mathilde, est une lettre d'amour admirée par Thomas Mann.
Mais encore un fois, avant même de commencer sa lecture, Gatti bifurque. Il nous désigne une autre situation, emblématique de la condition humaine : la déportation, qui l'habite. Et il nous mène vers d'autres lieux, d'autres personnages majeurs sur la carte de sa propre aventure : le camp de Compiègne d'où partait tous les convois de déportés de France, Primo Lévi, Auschwitz, et même Nietzsche qui vécu des scènes de déportation en tant qu'infirmier dans un convoi de blessés durant la guerre de 1870.
Gatti veut que l'humanité s'enrichisse en s'ouvrant délibérément aux damnés de la terre -condamnés, internés, déportés, relégués, loubards. Pour cela il faut forcer les barrières, trouver des voies leur permettant de participer à la création ; de contribuer à l'art. Il rappelle que même sous le nazisme il y eut, dans les prisons et les camps allemands, des créations artistiques - opéras, peintures… Cette matérialisation de la volonté d'arrachement au travail forcé, à l'asservissement, à l'enfermement, à l'idée d'une mort prochaine doit être considérée dans toute sa grandeur, c'est-à-dire comme proprement humaine.
Hélène Châtelain intervient à son tour. Elle nous dit que (pour elle et Gatti) l'idée de revenir ici, en Limousin, sur le plateau de Millevaches, datait d'environ 10 ans, alors qu'ils étaient venus monter dans la région la pièce de Gatti L'Enfant Rat et avaient fait déjà à Tulle et à Limoges de belles rencontres. "Il fallait revenir ici, confie-elle, au 'trou de la Berbeyrolle', pour retrouver 'la conjugaison des mots de la Résistance' que la pratique à répétition des commémorations a pétrifiée.
Pour cela nous avons le très profond désir de fonder ici un lieu de rencontres, d'échanges, de pensée, de création, de partage : un espace naturellement en lien avec les thèmes et questions qui fécondent l'écriture de Gatti, en particulier aujourd'hui. Bien entendu, ce projet ne peut exister que s'il s'appuie sur les désirs et la volonté des gens qui travaillent ici depuis des années, dans cet 'espèce d'humus historique' si particulier que nous cherchons à comprendre".
Avant d'aborder un repas commun émaillé de mille discussions, dont les éléments apportés par chacun avaient été disposés sur une grande table, Gatti nous raconte l'histoire des Femmes en noir de Tarnac. Il s'agit pour lui d'un des plus grands moments de la Résistance.
Cela s'est passé pendant la dernière guerre. Huit jeunes étudiants alsaciens réfugiés à Clermont-Ferrand étaient venus en gazogène, accompagnés de leur chien, rejoindre le maquis sur le plateau de Millevaches.
Arrivés aux abords de Tarnac, il furent arrêtés et abattus par un groupe des forces de l'ordre de Vichy. Après avoir embarqué les corps, dont celui du chien, la troupe vichyste se rendit à la mairie de Tarnac. L'officier ordonna alors au maire de faire creuser huit trous dans le cimetière pour le lendemain matin. Le maire chercha tous les prétextes pour éviter la corvée, mais finit par obtempérer.
Mais quelle ne fut pas la "surprise" des hommes de main de Pétain quand ils virent le lendemain, dressées derrière chacune des huit fosses, huit femmes entièrement revêtues de noir.
En une nuit, malgré les graves restrictions et pénuries de l'époque, ces huit femmes de Tarnac avaient récupéré, habits, voiles et chaussures pour se draper de deuil.
Devant ce spectacle les soudards s'enfuirent et allèrent plus loin dans un bois décharger les cadavres auxquels ils mirent le feu.
Ainsi, sans arme, par la force de leur seule présence et de leur courage, huit femmes avec la complicité de tout le village ont mis en fuite un groupe armé assassin à la botte des nazis.
L'hommage d'Armand Gatti à Georges Guingouin.
Dans un tableau gigantesque intitulé "Le Cyclope", Paul Rebeyrolle avait rendu par la grâce de la peinture, un grandiose hommage à son ami Guingouin.
Il manquait au "premier maquisard de France" un monument de la même trempe, tracé cette fois avec des mots, que seul un poète pouvait construire. C'est chose faite avec un poème fleuve de plus de 120 pages qu'Armand Gatti vient juste de terminer et qu'il a bien voulu nous confier pour que nous en publions ici un (court) extrait.
Ce texte, fort, heurté, imprégné d'Histoire et de luttes, est scandé de mots qui reviennent régulièrement, et d'abord (d'où le titre de l'oeuvre) les cinq noms que porta Guingouin durant la Résistance : Lo Grand comme l'appelaient les gens du pays, Le Chêne qui disait sa puissance, L'Orage nom que lui donnèrent les déserteurs russes faits prisonniers après la bataille du Mont Gargan, Bootstrap nom de guerre que lui attribuèrent les parachutistes anglais du 3ème SAS, et Raoul, son nom de maquis. Gatti explique que ces cinq noms de Résistance furent "les clefs de gamme" de l'épopée de Guingouin. Ce sont aussi les clefs de gamme de son hommage à la "Résistance guérillère" et à son héros. Les combats maquisards sont "comme notes de musique d'une symphonie à inventer" que Gatti, au fil des lignes invente, installe dans la puissance des mots, des phrases et de la mélodie qui rythme ce texte. On l'entend déjà, ce poème symphonique, dans le vent qui souffle l'hiver sur le plateau, dans le balancement des arbres de la forêt de la Berbeyrolle où Gatti rencontra pour la première fois Raoul-Le Chêne-L'Orage-Bootstrap-Lo Grand.
Cinq fois Georges Guingouin
Jaillissant
comme un bouquet de fleurs roses de bruyère
dit que les combats du maquis
sont un parfum
dont les arbres portent la verticalité
Les mille sources du Plateau
se mettent aussitôt à chanter
La Corrèze
La Creuse
La Vézère
et la Vienne en sont la portée
avec comme clef :
- les vieilles hêtraies, les futaies ouvertes
- les couvertures des tourbières avec lesquelles s'abriter de l'intempérie
- les châtaigniers qui avaient plus d'une fois sauvé des familles de paysans de la famine
- la main de l'industrie qui se levait dans le paysage en signe de complicité
- les gorges où les ruisseaux crient la solitude de la pierre
- les traits d'eau dans les sous bois mousseux donnant naissance à des pactes secrets
- deux mille excavations qui disent encore les mines d'or petits reliefs évocateurs des luttes des travailleurs que recouvrent maintenant des friches boisées.
Les sources y sont tutoiement continu.
Le Limousin restera-t-il
la symétrie des pays de la Longue Marche
dont les troubadours médiévaux disaient déjà
qu'en lui
le moindre jardin
valait mieux que la richesse et l'argent
sur une autre terre
Ô Georges Guingouin
Avec ton nom multiplié en Raoul, (lo) Grand,
l'Orage, le Chêne, Bootstrap
les acacias des quatre rivières
élisent en quatre saisons ta présence
Le vent dans les arbres n'est-il point l'univers
qui parle ?
Pour le maquisard
le chêne de la Berbeyrolle était
le psalmiste, en chants de la nature,
dans lequel
s'agrandissait
une façon d'être sur terre
Qu'est-ce qu'un maquisard ?
une bouteille jetée à la mer
La revue A Littérature Action, éditée en Limousin, a consacré son quatrième numéro au “moments limousins“d'Armand Gatti. Christophe Soulié et Francis Juchereau racontent le retour d'Armand Gatti, à la fin de sa vie, sur le plateau de Millevaches, en particulier à Tarnac où il rejoignit un groupe de résistants en 1943.
Un retour qui commence le 29 octobre 2005 à Gentioux, par une “veillée“ qui en annoncera bien d'autres et qui se déroule 2 jours après la mort de Georges Guingouin. Aussitôt Gatti consacre un (très) long poème au résistant, un poème qu'analyse dans ce numéro Jean Rochard.
Par ailleurs, Laurent Doucet y raconte l'expérience qu'il a menée avec Gatti et ses élèves du lycée professionnel Antoine de Saint-Exupéry de Limoges. Le cinquième numéro de A Litterature Action qui vient de sortir est consacré à une autre figure d'écrivain engagé, Frantz Fanon.