La situation avec le vote RN en progression appelle une réflexion localisée. Deux constats : pourquoi sur le Plateau, aucun maire, aucun élu (sauf erreur de ma part) n’a appelé à faire barrage au RN alors même que l’urgence au second tour des législatives était d’en appeler au sursaut républicain devant le danger d’une bifurcation historique du pays ? Pourquoi aucune équipe municipale ne se présente sous une étiquette politique confortant ainsi une dépolitisation des questions municipales ce qui constitue une incongruité manifeste ? Récemment, après les élections législatives une sympathisante du syndicat de la Montagne Limousin, alors qu’il était évoqué la question des gestions communales, affirmait que « l’on vit bien à Faux-la-Montagne » (comme sans doute à Royère, Tarnac ou Gentioux). Le propos se comprend : le rapport aux élus est bon et les relations entre personnes ne posent pas de problème majeur. Mais alors pourquoi le vote RN progresse et que les abstentions sont en moyenne de 20% y compris dans les communes dont les équipes municipales pourraient être classées à gauche ? Manifestement, le propos occulte un pan décisif du réel constitué de deux paramètres : le social et le territorial. Ils sont pourtant présents dans les enquêtes et les sondages qui se sont multipliés ces dernières années : un sentiment d’abandon et de peur devenu dans la ruralité le terreau sur lequel l’arnaque sociale et idéologique du RN prolifère. Quand dans les bourgs, les villages, les campagnes, les revenus (salaires et pensions de retraite) sont bas et parfois très bas ; que le service public de la santé est devenu « un désert médical », que le prix du transport et de l’énergie devient un handicap pour se déplacer et se chauffer, que le café ferme, alors la colère, le simplisme et les mystifications l’emportent sur les arguments rationnels. Et c’est ainsi que dans certaines zones rurales le RN n’a même pas eu besoin de faire campagne pour enregistrer des scores effarants.Or, dans les communes du Plateau, les élus confrontés à un contexte social délétère, produit d’une politique à l’opposé de l’attente des populations, devraient contribuer à leur échelle par un travail d’information, d’explication, de discussion, à éclairer cette situation. Ils ne le font pas alors que nombre d’entre eux « sont porteurs d’une vision un peu clarifiée du devenir de la société », alors même que la politique revient à faire « exister une idée dans une situation » (Alain Badiou).Pourquoi l’action des élus se caractérise-t-elle par un mutisme étonnant face à des orientations si néfastes pour les populations locales et le devenir de leurs collectivités ? Il y a – c’est un point de vue – deux raisons mais qui se renforcent l’une l’autre : la constitution d’équipes municipales sans étiquette politique s’accompagne de l’absence d’expression d’une critique politique alors même que les problématiques auxquelles les élus sont confrontés relèvent de décisions politiques. Mais encore, et cela est visible partout dans les communes du Plateau, l’action des élus est essentiellement confinée dans l’espace représentatif, un espace normé par la gouvernementalité néolibérale qui modèle par la loi, la réglementation, le financement, la pression préfectorale, la conduite des décideurs locaux. Il en résulte une gestion pragmatique, contrainte, finalement apolitique des affaires communales.Conséquences : 1) toute discussion au sein des collectifs municipaux relève d’une discussion purement gestionnaire déconnectée de son contexte pourtant si maltraité qui contribue à une dépolitisation des questions municipales ;
2) cette absence de contestation est un handicap pour la mobilisation citoyenne car la cause des situations subies n'est pas mise en évidence par celles et ceux qui sont bien placés pour le dire.
On le sait, la vision dominante de la politique est celle qui corrèle la politique au champ institutionnel où s’affrontent les formes partisanes et, donc, à ses moments électoraux. Dans ce champ-là, la représentation est une dépossession du pouvoir du corps des citoyens dont on admet seulement la compétence électorale. Cet ordre politique de la représentation disjoint d’une citoyenneté active n’est désormais plus une force propulsive. Il n’assure pas aux forces politiques de l’émancipation de créer les ruptures que supposerait la mise en œuvre d’un programme réellement alternatif au pouvoir de domination de la libre entreprise capitaliste. Une tout autre conception de la politique devrait s’affirmer : celle qui proclame la compétence citoyenne de formuler la volonté générale, les règles du vivre ensemble, de proposer les espaces et les méthodes par lesquels cette compétence peut s’exercer. Elle serait le processus où la « collectivité humaine est à elle-même son propre guide » (Hannah Arendt) qui dans ses multiples formes, syndicales, associatives, collectifs citoyens, entend faire prévaloir sa légitimité dans le champ de la représentation et de ses mécanismes. Ce processus doit rester un processus autonome. Il ne s’absorbe pas dans la représentation. Il ne se réduit pas à une mobilisation lors des mouvements électoraux. La société civile doit participer à la construction de l’alternative émancipatrice dont le pays et le territoire ont besoin.
Nous y sommes. En une seule allocution, et en quelques jours seulement, un président jadis présenté par la caste politico-médiatique dominante comme un prétendu « génie » a posé les germes d'un basculement social majeur en décidant de dissoudre l'Assemblée nationale, faisant peser le risque de voir un parti néofasciste, fondé par des SS et soutenus dans les rues par des groupuscules néonazis violents, accéder au pouvoir pour la première fois depuis Vichy.
La Macronie s’était déjà, dès le premier quinquennat, imposée comme une triste incarnation de la droite extrême la plus brutale, menant sans merci la guerre aux pauvres, aux exilé⸱e⸱s, au musulman⸱e⸱s, aux manifestant⸱e⸱s...
Cependant l'arrivée du Rassemblement National en majorité à l'Assemblée, et donc à Matignon, représenterait un pas supplémentaire dans la fascisation d'une « élite » bunkérisée et bien décidée à pousser la violence capitaliste jusque dans ses derniers retranchements. L’extrême-droite est en outre l’ennemie absolue de la liberté de la presse. Jordan Bardella a d’ailleurs annoncé sa volonté de privatiser l’audiovisuel public.
Syndicat de lutte de la presse libre, le SPPP ne peut qu’analyser et condamner, la lourde responsabilité portée par une grande partie de la profession journalistique, dans des rédactions radio, papier et télévisuelle qu'il nous est difficile de tenir pour « consœur », comme il est coutume de le dire par corporatisme.
A-partisan et indépendant de tout parti, mais résolument politique, solidaire de toutes les luttes pour l'émancipation, le Syndicat de la Presse Pas Pareille ne peut ignorer l’importance des enjeux actuels.
Nous ferons donc tout ce qu'il nous est possible pour que ni la droite extrême ni l'extrême-droite, ni le macronisme ni le fascisme, ne remportent les scrutins législatifs à venir.
Nous pourrons, ponctuellement, relayer les appels à manifester et autres communiqués du Nouveau Front Populaire – ceci ne constituant en aucun cas un blanc-seing accordé à ce regroupement – , et couvrirons surtout les diverses luttes populaires locales qui, à la base, doivent demeurer le cœur du mouvement de contestation, quartier par quartier, rue par rue, de la peste brune.
En partenariat avec tout média indépendant camarade qui le souhaitera, nous proposerons, en papier et en ligne, tous les contenus nécessaire à la compréhension la plus large possible du funeste danger que représente l'extrême-droite.
La riposte se doit aussi d'être médiatique.
Premiers membres du Syndicat de la Presse pas pareille signatairesMouais , L’Empaillé, Le Chiffon, Transural Initiative, Inf’OGM, No Go Zone, L’Age de Faire
Le 9 juin 2024, au soir des élections européennes, la Corrèze, comme plus de 90% des communes françaises, mettait en tête la liste du Rassemblement national (RN). Ce même jour, le département commémorait les 80 ans du massacre de Tulle, commis par la division SS Das Reich à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cruel retour de flamme de l’histoire. Dans la foulée, le président de la République annonçait la dissolution de l’Assemblée nationale, plongeant le pays dans la stupeur et la frénésie d’une folle campagne éclair. Le 7 juillet 2024 au soir, une partie de la France retrouvait son souffle, soulagée du succès du barrage républicain, qui a davantage profité à la majorité sortante, et de l’absence de majorité pour le RN à l’Assemblée nationale. Pourtant, sur le terrain, les plaies sont encore intactes, et nous craignons de n’avoir simplement qu’acheté du temps. La gauche, à travers le Nouveau Front populaire (NFP), est apparue comme la principale force politique en capacité d’endiguer la menace d’extrême droite. Si elle maximise ses scores dans les zones urbaines denses et quelques bastions, elle atteint son plafond de verre dans de nombreux territoires péri-urbains et ruraux.
J’ai suivi de près la campagne électorale en Corrèze pendant trois semaines. J’ai sillonné les routes et les fêtes de village, j’ai discuté avec les élus locaux, les militants, les citoyens, les responsables associatifs. Je voulais en avoir une autre approche que celle plus sensible, personnelle, subjective que j’en ai depuis plus de trente ans.Le premier élément qui m’a marquée, c’est à la fois l’incompréhension face aux scores du RN pour une grande partie de mes interlocuteurs, combinée à une forme d’indifférence de la part de la plupart des personnes non engagées, qui continuaient leur vie comme si de rien n’était. Quand des explications m’ont été fournies, elles ont pris régulièrement appui sur le « ras-le-bol », les difficultés du quotidien, le pouvoir d’achat. Une rapide analyse des résultats aux élections législatives pourrait accréditer cette idée, le RN amplifiant sa progression en périphérie des villes, notamment sur la deuxième circonscription de la Corrèze (Brive-la-Gaillarde) et le long des principaux axes routiers, notamment l’autoroute A20.Pour nombre de Corréziennes et de Corréziens, la baisse du pouvoir d’achat n’est pas un slogan désincarné. Elle se matérialise au quotidien dans le prix des courses, le coût des déplacements contraints en voiture, la hausse des taux d’intérêt des emprunts, la stagnation des salaires… même si paradoxalement l’électorat RN a été plus sensible à la baisse de la TVA qu’à la hausse du Smic et des bas salaires. C’est le cas de ce jeune trentenaire rencontré devant un bureau de vote d’une commune de la première circonscription (bassin de Tulle), qui a dû repousser son projet de construction de maison avant de pouvoir le concrétiser récemment, qui exerce un métier manuel comme beaucoup d’hommes de ces territoires, à plusieurs dizaines de kilomètres en voiture qu’il faut parcourir chaque jour. En ce dimanche après-midi, il a l’air visiblement épuisé. Il passe beaucoup de temps sur la route. Il faut aussi faire le « taxi » pour sa fille qui souhaite poursuivre les activités culturelles et sportives auxquelles elle avait auparavant accès à Brive-la-Gaillarde.Je pense à d’autres histoires de vie qui ne sont pas très éloignées, mais générant un comportement électoral stable dans le temps, avec un vote viscéralement de gauche, comme cette aide soignante en Ehpad. Elle travaille de nuit, parce qu’elle peut avoir plus de temps pour prendre soin des résidents. À la débauche, elle s’occupe de ses trois filles, avant d’aller dormir quatre ou cinq heures et d’enchaîner la journée.Il y a aussi ces familles avec des enfants en situation de handicap qui ne peuvent pas être scolarisés n’importe où, ou avec un proche souffrant d’une grave maladie, ou encore qui doivent prendre soin de leurs aînés, en plus de tout le reste. Je garde aussi en tête ces employés municipaux tant caricaturés, payés au Smic depuis des années, qui ne sont pas toujours à temps plein faute de moyens ou de besoins, et qui font pourtant tourner nos petites communes.Quels sont les responsables politiques qui parlent aujourd’hui de leurs situations concrètes, qui comprennent leurs conditions d’existence, qui se mettent à hauteur de leur rythme de vie ? Et comment comprendre qu’à partir de caractéristiques a priori semblables les électeurs adoptent des comportements divergents ? Ces différences de vote sont-elles vouées à perdurer ? La gauche a-t-elle encore quelque chose à perdre ? C’est en tous cas l’hypothèse que nous ne devons pas écarter et que corrobore cet échange que j’ai pu avoir avec une électrice socialiste de longue date me confiant qu’« ils ne disent pas que des bêtises au RN ».Cette percée continue de l’extrême droite interroge nécessairement les acteurs locaux, à commencer par les élus de terrain, qui ne ménagent ni leur temps ni leur énergie pour améliorer le quotidien et trouver des solutions avec les moyens disponibles. Certains se demandent si ces sacrifices valent encore le coup et s’ils vont repartir en 2026. Ils savent pourtant que ces résultats n’empêcheront pas leur réélection la prochaine fois.
Sur le terrain, la dépolitisation est palpable. Les repères traditionnels ont largement disparu. Les élus locaux, les entrepreneurs, les responsables associatifs ont fait évoluer leur discours. Certains lieux de sociabilité et de formation des consciences collectives ont disparu depuis longtemps. Les listes aux élections municipales sont trans-partisanes, voire a-partisanes. Les appareils politiques, les syndicats, les associations ont perdu de leur force d’influence.J’ai aussi croisé des parents impuissants face à des adolescents captivés par des vidéos de Jordan Bardella qu’ils s’échangent ou regardent ensemble dans la cour du collège ou du lycée, quand ma génération avait été choquée par l’accession au second tour de l’élection présidentielle de Jean-Marie Le Pen en 2002. Que s’est-il donc passé en vingt ans ?Le poids des sociabilités locales semble toujours déterminant dans les dynamiques politiques de chaque commune. C’est l’observation fine de deux communes que je connais bien à l’occasion de ces élections qui m’a fait prendre conscience de ces influences décisives.D’un côté, cette petite commune de moins de 500 habitants de la deuxième circonscription dans la zone d’influence de la ville de Brive-la-Gaillarde, et qui peine à maintenir ouverte son école. Il faut dire que les parents préfèrent parfois mettre leurs enfants dans le secteur privé « à la ville ». La nouvelle équipe municipale, peu politisée, essaie pourtant depuis des années de remettre de la vie dans le bourg, d’organiser des festivités, de diffuser l’information, d’instituer un petit marché le samedi matin toutes les deux semaines, un city stade pour les jeunes… Il y fait a priori bon vivre, comme dans le reste du département. Le cadre de vie est agréable. On y entend pourtant des phrases comme « on ne veut plus de paysans », « ils font tout pour qu’il n’y ait plus d’habitants dans les campagnes », « on est vraiment le trou du cul du monde ». Dans cette commune, quelques électeurs se sont présentés au bureau de vote avec le bulletin du candidat du RN bien visible en main, comme une évidence.Dans une autre commune rurale de moins de 1500 habitants, à la tradition de gauche bien ancrée, dans la première circonscription, aucun comportement de ce type n’a pu être constaté. Cela n’empêche pas le RN de progresser aussi d’élection en élection. Pourtant, une équipe municipale plus politisée comme un tissu associatif solide animé par des sympathisants de gauche façonnent d’autres attitudes sociales et dessinent d’autres frontières entre le dicible et l’indicible. Compte tenu de la taille de ces communes, il est possible d’aller chercher les voix une à une, de créer une relation de confiance, de favoriser des discussions apaisées, d’apporter concrètement des solutions, notamment pour le logement. Mais tout le monde ne sait pas faire, n’y pense pas spontanément ou n’en a pas le temps. Certains, plus éloignés des structures militantes, considèrent aussi que ce n’est pas leur rôle. Cela ne suffit pas toujours d’ailleurs, a fortiori quand l’entreprise de normalisation du RN a produit de puissants résultats, remplacée par la diabolisation d’une partie de la gauche et l’effet repoussoir de certaines figures médiatiques ou de comportements jugés excessifs et irrespectueux.
S’il doit y avoir un enseignement des dernières élections, c’est que l’actuelle stratégie de la gauche a atteint ses limites. Les résultats électoraux en demi-teinte, les réactions sur le terrain, comme la difficulté à proposer une solution rapidement dans la période politique inédite que nous traversons, devraient la conduire à revoir ses cadres de pensée et d’action si elle entend élargir son champ d’influence sur la vie politique française et endiguer efficacement la poussée du RN. Elle fait aujourd’hui face à un quadruple défi d’offre politique, de langage, d’incarnation et de structuration. Il lui faudra faire le pari d’un travail long, collectif et minutieux de reconquête.