En 2018, la préfecture de la Creuse expulsait bien en toute illégalité !
« Dans une société où l’on trouve normal d’être gouvernés par des fonctionnaires, au point que leurs échecs ou leurs fautes n’entraînent pas de conséquences qui soient en proportion, il est logique que ces employés qui sont devenus les maîtres se désintéressent des suites effectives de leurs actes. » - François Sureau, avocat.
Depuis 2014 et l’ouverture des premiers CADA (Centres d’Accueil des Demandeurs d’Asile) et autres centres d’ « accueil » ou d’hébergement d’urgence sur la Montagne limousine, de nombreux habitants se sont mobilisés, dans un premier temps pour accueillir au mieux, en tissant des liens, donnant des cours de français, organisant des occasions de rencontres, puis, rapidement, pour faire face aux problématiques d’hébergement et de survie des personnes « à la rue » car déboutées de leurs demandes d’asile ou tout simplement non prises en charge durant leur parcours de demande d’asile. Ou encore pour les accompagner dans la défense de leurs droits trop souvent bafoués.
C’est ainsi qu’à l’automne 2017, à Faux-la-Montagne, sont arrivés et ont été hébergés par différentes familles plusieurs jeunes Soudanais, demandeurs d’asile sans allocation ni hébergement. Arrivés en France au printemps 2017, ces très jeunes hommes, âgés alors de 19 à 22 ans, ont fui le régime génocidaire du dictateur Omar Al Bachir, ses geôles et ses tortures ainsi que les exactions des milices à sa solde dans le Darfour, leur région d’origine.
Après l’enfer du parcours à-travers la Libye et des situations d’esclavage qu’ils y ont vécues, après l’épreuve terrifiante de la traversée de la Méditerranée, ils sont alors victimes de la machine infernale du règlement européen « de Dublin ». Cet accord de 2013 entre les différents pays européens prévoit que c’est le pays d’entrée en Europe qui est responsable du traitement des demandes d’asile. La géographie étant ce qu’elle est, cela revient à faire porter aux pays du sud de l’Europe, riverains de la Méditerranée (en clair la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal) l’essentiel de la charge de l’accueil pendant que les autres pays regardent ailleurs.
L’obsession de chaque pays étant de ne surtout pas accueillir sur son territoire, s’instaure alors une partie de ping-pong dont les personnes en exil font les frais : la France renvoie ainsi les demandeurs d’asile parvenus sur son territoire vers l’Italie, qui à son tour leur ordonne de quitter son territoire et les renvoie illico vers la France.
Lorsqu’ils arrivent à Faux la Montagne, ces jeunes demandeurs d’asile viennent d’avoir été renvoyés une première fois, par la préfecture de Haute-Vienne, en Italie, qui les a immédiatement chassés vers la France. À leur retour, ils ont pu faire enregistrer une nouvelle demande d’asile mais le droit à l’hébergement et à l’allocation de demandeur d’asile leur a été refusé par l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration). Et ils sont à la merci d’une deuxième expulsion par la préfecture dont ils dépendent désormais, celle de la Creuse.
Ces mesures, l’expulsion (le langage légal et administratif parle de « transfert » pour mieux masquer la violence des situations) comme le droit à l’hébergement ou à l’allocation, sont encadrées par des lois et règlements, internationaux comme nationaux. Mais les préfectures, ainsi que l’OFII, sont fréquemment hors des clous pour le respect de ces textes, profitant de l’ignorance et de l’isolement des personnes concernées.
Parmi les personnes accueillies, une fait exception : par décision de bon sens, considérant les liens établis depuis le début de son séjour, sa volonté d’intégration, sa participation à la vie locale, son suivi assidu de cours de français et l’engagement d’habitants à lui offrir un contexte favorable, le préfet de Haute-Vienne d’alors, faisant application de la clause discrétionnaire prévue au règlement de « Dublin », lui a, quelques jours avant la date prévue pour son renvoi en Italie, accordé la possibilité de déposer sa demande d’asile en France et d’être pendant ce temps hébergé par des habitants de Faux la Montagne.
Car en effet, les textes n’imposent jamais à la France de renvoyer les demandeurs d’asile et lui donnent toujours la possibilité d’examiner leur demande.
La préfecture de la Creuse aurait été bien inspirée de suivre cet exemple. Cela lui aurait évité une série de condamnations pour illégalité des mesures qu’elle a prises tout au long de l’année 2018. Cela lui aurait évité les fortes mobilisations d’habitants de l’été 2018, le recours désastreux à la violence par les forces de gendarmerie pour défendre des mesures illégales. Cela aurait évité au contribuable les dizaines de milliers d’euros dépensés pour les tentatives de renvoi, le recours disproportionné aux forces de l’ordre, les frais de justice et de condamnation à des dommages et intérêts. Surtout, cela aurait évité d’immenses traumatismes à ces jeunes en pleine reconstruction, ne demandant qu’à s’intégrer à la société dans laquelle ils avaient commencé à construire des liens. Enfin, cela aurait évité de saper auprès des jeunes Français devenus leurs amis le peu de confiance qu’ils pouvaient encore avoir dans les institutions républicaines.
Au lieu de cela, la préfecture de la Creuse a tenté à trois reprises d’expulser chacun de ces jeunes.
La première tentative a eu lieu au mois de février 2018. Sans aucune prise en compte de l’engagement des habitants de Faux-la-Montagne et de leur maire, le préfet ordonnait un premier « transfert » en Italie avec assignation à résidence et pointage régulier à la gendarmerie. Le Tribunal Administratif de Limoges, immédiatement saisi avec l’assistance de Me Toulouse, avocat, prenait alors une décision qui évitera à la préfecture de se fourvoyer plus longtemps et de devoir faire face à une mobilisation citoyenne : par ordonnance du 20 février 2018, il décidait que « le préfet de la Creuse n’a pas, avant d’ordonner le transfert […], procédé à un examen suffisamment circonstancié de la situation […] et a donc commis une erreur de droit ». En conséquence, il annulait les arrêtés préfectoraux et condamnait la préfecture au paiement des frais d’avocat.
Incapable de tirer les leçons de cette première décision, la préfecture a persisté. Arrivée en Creuse au printemps, la nouvelle préfète, Magali Debatte qui, tout au long de son séjour en Creuse s’est acharnée à expulser un maximum de personnes et s’est félicitée de faire « mieux » que les objectifs qui lui étaient assignés par le ministère, a tenté le renvoi d’une deuxième personne, cette fois assorti d’un placement en rétention. Une première convocation en gendarmerie de Royère, accompagnée d’une première mobilisation d’habitants, ne lui a pas permis d’envoyer le jeune en rétention, faute de places disponibles ! Une deuxième convocation en gendarmerie de Felletin deux semaines plus tard, malgré les multiples démarches entreprises entretemps par les habitants de Faux et leur maire auprès de la préfecture, donnait lieu à une forte mobilisation d’habitants tentant de s’opposer au transfert en Centre de Rétention Administrative et aboutissait au gazage général des habitants mobilisés, alors même que, selon l’interprétation de la préfecture, la France allait devenir deux jours plus tard responsable de l’examen de la demande d’asile. Traîné entravé hors de la gendarmerie, frappé par un des gendarmes, le jeune faisait l’objet d’une évacuation rocambolesque et douloureuse vers le CRA du Mesnil Amelot (Cf. IPNS n°65).
La préfète avait alors beau marteler qu’elle appliquait la loi et qu’il était « normal » que le jeune soit renvoyé, elle devait accepter, deux jours plus tard, sa libération par la Police aux Frontières au pied des pistes de Roissy. Et deux semaines plus tard, elle battait piteusement en retraite avant l’audience du 24 juillet 2018 au Tribunal Administratif de Limoges en décidant que l’examen de la demande d’asile relevait désormais de la France !
N’ayant plus lieu à statuer, le Tribunal ne pouvait alors se prononcer sur la légalité des mesures prises. Il l’a fait depuis, par décision du 25 mars 2021 faisant droit à une demande d’indemnisation effectuée par le jeune concerné assisté de son avocat, Me Malabre, en estimant que, dès le 26 mai 2018, la France était devenue responsable de la demande d’asile et que « dès lors, en ne se reconnaissant pas responsable de l’examen de la demande d’asile […] à compter du 26 mai 2018 et, par suite, en prenant le 20 juin 2018 un arrêté prononçant le transfert du requérant aux autorités italiennes, en le convoquant le 9 juillet à la gendarmerie nationale de Felletin en vue de l’exécution de l’arrêté du 20 juin 2018, en ordonnant son placement en rétention […] et, enfin, en le déclarant en fuite, la préfète de la Creuse a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat. »
Ce même tribunal, le même jour, estimait à l’encontre de l’OFII que « alors même que la nouvelle demande d’asile de l’intéressé n’a été enregistrée le 9 novembre 2017 qu’en procédure dite « Dublin » », l’OFII avait « commis une faute en refusant d’accorder les conditions matérielles d’accueil à compter de cette date. » L’OFII était à son tour condamné à verser une indemnité du montant des allocations concernées, complétée par une indemnité au titre du « préjudice moral et des troubles dans ses conditions d’existence ».
N’ayant toujours tiré aucun enseignement, la préfète a tenté deux mois plus tard le renvoi d’une troisième personne, convoquée cette fois à la gendarmerie de Guéret. Même mobilisation de nombreux habitants venus s’opposer au transfert en rétention, même gazage par la gendarmerie, même position intransigeante de la préfète et d’Olivier Maurel, secrétaire général de la préfecture, se sentant obligés de se fendre d’un communiqué de presse comminatoire, indiquant qu’il n’y avait « aucune raison de dispenser ce ressortissant soudanais » de sa « réadmission vers l’Italie » « seule compétente désormais » et qu’un retour sur le territoire après transfert constituait désormais « un délit puni de trois ans d’emprisonnement ». Las, une fois encore, deux jours après son envoi en centre de rétention, la libération était ordonnée par le Juge des Libertés et de la Détention d’Evry et, deux semaines plus tard, le Tribunal Administratif de Limoges jugeait qu’il avait été porté « une atteinte grave et manifestement illégale à son droit, constitutionnellement garanti, de solliciter le statut de réfugié » et enjoignait à la préfète d’enregistrer sa demande d’asile en procédure normale dans un délai de huit jours.
Statuant en référé le 23 septembre 2020, le même tribunal accordait au jeune demandeur d’asile assisté lui aussi de Me Malabre, une provision sur indemnités tant à l’encontre de la Préfecture que de l’OFII.
Puis, le 3 février 2022, il se prononçait sur le fond et rappelait qu’en 2018 « les autorités italiennes, confrontées à un afflux massif et sans précédent de demandeurs d’asile, se trouvaient en grande difficulté pour traiter ces demandes dans des conditions conformes à l’ensemble des garanties exigées par le respect du droit d’asile, situation qui était reconnue et déplorée par ces autorités elles-mêmes » et que dans ces conditions, le jeune demandeur d’asile était « fondé à soutenir qu’en ne procédant pas à l’enregistrement de ses demandes d’asile afin de lui permettre de saisir l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et en décidant son transfert aux autorités italiennes […]sans mettre en œuvre la clause discrétionnaire prévue par l’article 17 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, le préfet de la Creuse a commis une erreur manifeste d’appréciation de sa situation au regard des dispositions de cet article, commettant ainsi une illégalité fautive. Par voie de conséquence, la décision par laquelle le préfet de la Creuse l’a placé en rétention administrative le 17 septembre 2018 est illégale et cette illégalité est fautive et de nature à engager la responsabilité de l’Etat. »
Enfin, et tout récemment, par décision du 13 avril 2022, ce même tribunal décidait que c’était à tort que l’OFII avait refusé d’admettre le jeune demandeur d’asile au bénéfice des CMA (Conditions Matérielles d’Accueil) auxquelles il avait droit dès l’enregistrement de sa demande en mars 2018. Il lui reste encore à se prononcer sur le montant définitif de l’indemnisation due par l’OFII, décision qui devrait intervenir dans les prochains mois. Aucune de ces huit ordonnances du Tribunal Administratif, pourtant réputé pour rendre des décisions particulièrement peu favorables aux personnes exilées qui le saisissent, n’a fait l’objet d’un appel, ni de l’Etat, ni de l’OFII.
Ainsi il s’avère que la « loi », sans cesse invoquée dans ces affaires par la préfecture comme par l’OFII pour justifier des décisions inhumaines, a systématiquement été bafouée alors qu’elle était bien du côté des habitants mobilisés pour la défense des droits et des personnes exilées subissant l’acharnement cruel des représentants de l’Etat.
Depuis, ces personnes accueillies à Faux ont obtenu l’asile. Mais dans le même temps, combien d’autres, qui pouvaient y prétendre tout aussi légitimement, ont été empêchées de le faire, faute de bénéficier de connaissances et d’appuis dans la population et ainsi d’un accompagnement humain et juridique ?
dit Manu 1er le Cynique,
qui réussissez le prodige de vous faire passer en Europe pour un défenseur du droit d’asile ;
qui mettez en valeur les quelques dizaines de demandeurs d’asile que vous vous résignez enfin à accueillir, sous la pression médiatique et après les images dévastatrices de bateaux humanitaires coincés en Espagne après avoir été refusés par l’Italie et vous-même, masquant sous ce coup de projecteur les milliers d’autres que vous faites sans cesse expulser ou que vous refusez d’accueillir ;
qui vous permettez de donner des leçons à l’Italie alors que la France ne respecte pas les faibles engagements pris pour une répartition européenne plus “équilibrée“ ;
qui contribuez à financer les gardes-côtes libyens, alors que vous ne pouvez ignorer le sort réservé là-bas aux migrants, violentés et réduits en esclavage ;
qui tentez de faire supprimer, dans le cadre de la négociation des “accords de Dublin 4“, le délai de fin de responsabilité de l’État d’entrée ou la clause dérogatoire permettant à la France de traiter la demande d’asile de migrants, même s’ils sont arrivés en Europe par un autre pays ;
qui avez osé appeler “votre“ loi : “pour une intégration réussie“ ;
qui l’avez présentée à l’assemblée comme un moyen de contrer la progression lepéniste, en oubliant qu’en reprenant et assumant les idées que vous prétendez combattre vous vous en faites au contraire le promoteur ;
qui avez fait fermer des points d’eau publics à Lyon pour que les personnes à la rue ne puissent pas y boire ;
qui ne cessez de marteler que “c’est la loi !“ et qui, soit vous dégonflez quand vous passez devant un tribunal, soit faites l’objet de condamnations ;
qui félicitez vos services de gendarmerie quand ils gazent une population qui défend un innocent, sans vous demander si vos gendarmes sont, eux, fiers de ce que vous leur faites faire ;
qui, par votre méconnaissance du territoire et de ses habitants, réussissez la prouesse après quelques mois de présence de vous mettre à dos élus et habitants ;
qui prétendez que nous sommes une infime minorité et osez affirmer que nous sommes aussi dangereux que des terroristes ;
qui gaspillez les fonds publics par votre incompétence et votre obstination (nous avons estimé que la tentative d’expulsion ratée d’Abdel, pour laquelle vous avez été condamnée hier, avait mobilisé au bas mot 55 000 € d’argent public compte tenu de tout ce que vous avez dû mettre en œuvre pour tenter de la mener à terme) ;
qui faites de tout cela une affaire personnelle ;
qui vous croyez en guerre contre le territoire au service duquel vous seriez censé être ;
qui gérez le département comme vous gériez une prison ;
qui avez le cynisme de dire “ce n’est que l’Italie“, sans vous poser un seul instant ce que cela représente pour des personnes intégrées en France, ayant fait l’objet d’actes de racisme en Italie, et risquant d’y être renvoyées vers le pays qu’elles ont fui ;
Vous tous qui sabotez soigneusement et méticuleusement tout le travail d’intégration et de construction sociale que nous et plein d’autres à travers la France menons ;
Vous tous qui ordonnez des chasses à l’homme et à l’enfant à vos policiers ;
Vous tous qui privez des innocents, adultes ou enfants, de liberté ;
Vous tous qui, par vos mesures, condamnez à l’errance entre les pays, faites dormir sous les ponts, réduisez des gens au désespoir ;
Vous tous qui, par les politiques que vous menez, portez des milliers de fois plus de responsabilités dans la venue de ces personnes qu’elles-mêmes, victimes d’une histoire qui les dépasse ;
Vous qui, quotidiennement, au nom de la République, bafouez non seulement la fraternité mais aussi la liberté et l’égalité, rendant ainsi risible la journée d’intégration à la citoyenneté à laquelle ces personnes, si elles accèdent à l’asile vont devoir se soumettre. Comment pensez-vous un seul instant qu’elles puissent y adhérer après les formidables leçons “d’instruction civique“ à taille réelle que vous leur avez fait subir ?
Vous tentez de nous discréditer en nous traitant d’angéliques. Mais c’est vous qui êtes diaboliques. Avec tout le mépris dont vous êtes capables, vous nous qualifiez de “belles âmes“ et il est évident qu’il ne s’agit pas d’un compliment. Par quelle curieuse inversion avez-vous réussi à faire accroire qu’il vaut mieux être une “âme noire“ ?
Vous ressassez à n’en plus finir “on ne peut pas accueillir toute la misère de monde“ alors que vous êtes incapables de voir que ce n’est pas la misère que nous accueillons, mais la jeunesse, une formidable force de vie, de projets, de construction. La misère, ces personnes l’ont laissée dans les pays d’où elles viennent et où vous l’avez-vous-même créée et continuez de l’entretenir par vos politiques. La misère, elle est dans les conditions de vie que vous leur imposez en les condamnant à l’errance. La misère, elle est dans vos pauvres têtes incapables de sortir d’un mode de pensée colonialiste.
Cette force de vie qui les anime, cette espérance qui les porte, cette foi en ce que devraient être nos valeurs, ce sont elles que vous détruisez, et pour cela vous êtes impardonnables.
Vous nous parlez de réalisme et vous nous reprochez son absence, pourtant c’est nous qui construisons, et vous qui devriez avoir le courage de dire la vérité.
Mesdames, Messieurs j’aimerais que vous puissiez rencontrer les mères de ces jeunes gens. Leurs pères, ce ne sera plus possible, ils ont déjà été exécutés, comme eux-mêmes l’auraient été s’ils n’avaient pas fui. Qu’auriez-vous à leur dire ? “On applique la loi“ ? Cette loi, ces lois que vous avez faites, et que vous ne cessez de durcir. Ce “code de la honte“ qui vient d’être voté. Comment leur expliquerez-vous que vous n’avez pas utilisé votre liberté, qui reste totale malgré ces lois ou plutôt en vertu d’elles-mêmes, d’accueillir leurs enfants ?
Vous portez la responsabilité pleine, entière et personnelle des actes que vous commettez et qu’il faut bien appeler pour ce qu’ils sont : des traitements inhumains et dégradants.
Face à cela, ce qui me frappe c’est l’incroyable dignité des personnes qui les subissent, leur capacité à encore sourire, leurs salutations quand je les rencontre dans les rues de la Chapelle à Paris ou dans un parc à Limoges. Et pourtant l’angoisse, la boule d’anxiété qui envahissent le ventre, la poitrine, la gorge, l’absence de perspectives et la crainte qui plus encore que le froid des nuits sans abri empêchent de dormir, tout cela ils vous le doivent.
Pour toutes ces raisons et au premier chef, pour avoir souillé, saboté, foulé au pied les trois principes fondamentaux de la République, aussi bien la liberté, que l’égalité et la fraternité, vous méritez la déchéance de nationalité évidement accompagnée d’un OQTF (Ordre de Quitter le Territoire Français) et d’une IRTF (Interdiction de Retour sur le Territoire Français), ces mesures que vous savez distribuer si généreusement.
Voici l’avion pour effectuer le vol que nous vous offrons. Il m’a semblé que la destination de la Libye semblait la plus appropriée. Vous avez investi beaucoup d’argent français pour que les libyens puissent vous accueillir et vous retenir chez eux. Je ne doute pas qu’ils sauront utiliser une partie de cet argent pour vous réserver un accueil digne.
Évidemment, il y a le risque que votre avion s’abîme en Méditerranée et que vous vous trouviez dans l’immensité des flots sans rien que la mer autour. Peut-être alors la panique, l’effroi intense s’empareront-ils de vous et comprendrez-vous ce que toutes ces personnes ont pu éprouver. Et malheureusement pas de bateau humanitaire pour vous secourir : vous et vos collègues de tous les gouvernements d’Europe vous êtes suffisamment employés à criminaliser leur action et à la rendre impossible. Il restait bien l’Aquarius jusqu’il y a peu, mais, coincé à quai par vos mesures quand il serait si simple de lui accorder un pavillon, il ne pourra venir à votre rencontre.
Alors ? Alors je ne vous souhaite pas cette fin atroce, connue depuis le début de l’année, grâce à vous, par plus de 1 700 personnes, venues rejoindre au fond de cette Méditerranée leurs dizaines de milliers de frères et sœurs. Mais n’ayez crainte, il y aura bien une des frégates offertes par l’Italie à la Libye pour venir vous repêcher.
Il me reste à vous souhaiter un agréable voyage en bonne compagnie.“3
C’est avec un mélange de joie et d’affliction que nous venons d’apprendre que notre préfète, en poste dans notre beau département depuis deux ans, vient d’être nommée dans le vôtre. Joie que nous n’avons pu réprimée et affliction pour vous, chères Charentaises et Charentais, qui allez devoir la supporter pendant quelques années.
Madame Magali Debatte est appelée à représenter l’État dans votre département et à y imprimer la marque de politiques nationales avec lesquelles nous sommes tous, peu ou prou, contraints de faire. En ce sens, ce sera une préfète comme une autre et il n’y aurait certainement pas à faire de sa mutation tout un tintouin. Mais Madame Magali Debatte est aussi une préfète particulièrement zélée, un brin plus royaliste que le roi, qui a un sens exacerbé de sa fonction au point de la concevoir avec un aplomb et une rectitude qui confinent à la condescendance, au mépris et à l’insolence. Présentée comme une « préfète de choc » lorsqu’elle a débarqué sur nos terres, elle s’y est illustrée avec une remarquable persévérance comme une fonctionnaire d’une grande raideur qui n’hésita, ni à braver la légalité lorsqu’elle se mit en tête d’appliquer des mesures contestables, ni à mentir effrontément dans les médias pour défendre ses positions, ni à stigmatiser une partie de la population de son département lorsque celle-ci manifestait vis-à-vis de son action une critique ou une opposition.
À peine arrivée, elle s’est mise à dos une grande partie des élus creusois en laissant entendre qu’ils étaient tous à l’ombre de leur clocher, sans ambition et sans idée, « dépourvus de vision stratégique ». « On n’est pas dans Good-bye Lenine, on doit faire certaines choses contre la tendance naturelle à ne rien toucher. Pour ça, je suis prête à mon serment de Koufra » claironnait-elle un mois après son parachutage, faisant référence au serment du Maréchal Leclerc en 1941 de continuer le combat jusqu’à ce que le drapeau français flotte à nouveau sur la cathédrale de Strasbourg ! Bref la préfète affichait son combat : partir en guerre contre un territoire passif et y imposer sa vision du développement. Dans cette optique elle osait demander à 70 communes du département de fusionner pour n’en plus former que 23. Les communes en question disposaient, généreuse libéralité, de dix jours pour se décider ! Une précipitation qui frisait l’incompétence – et qui au demeurant s’est soldée par une fin de non-recevoir.
Notre héroïque porte-drapeau n’a pas seulement su froisser des élus, mais également des habitantes et habitants engagés dans des actions qu’elle considérait comme contraire à ses vues. L’accueil de migrants, voilà par exemple un sujet sur lequel il ne fallait pas la titiller. Elle était très fière d’avoir, dans un de ses postes précédents, dépassé les quotas d’expulsion qu’on lui avait demandé d’opérer. Elle a sans doute voulu faire de même en Creuse où, avec une persévérance quasi obsessionnelle, elle a tout fait pour reconduire hors de France quelques malheureux rescapés de dictatures africaines, de l’esclavage en Libye et d’une traversée périlleuse de la Méditerranée. Et, malgré de fortes mobilisations populaires et le soutien de nombreuses Creusoises et Creusois, elle a outrepassé ses droits en procédant à des tentatives d’expulsion que la justice a considérées a posteriori comme illégales. C’est du reste la raison pour laquelle Madame Magali Debatte est actuellement en attente d’une convocation devant les juges pour répondre aux demandes de dommages et intérêts qui ont été déposées contre elle par plusieurs jeunes migrants, aujourd’hui titulaires d’un statut officiel de réfugié. Peut-être devra-t-elle s’absenter quelques jours d’Angoulême pour venir répondre de ses actes devant le tribunal de Guéret...
Quand on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage. C’est ainsi que, dans cette même affaire, Madame Magali Debatte a agi envers les nombreuses habitantes et habitants qui se sont mobilisés pour soutenir ces jeunes migrants. Puisque ceux-ci s’opposaient à son action, elle les a affublés de quelques noms à ses yeux disqualifiants : ce n’étaient que militants d’ultra-gauche, extrémistes dangereux, anarchistes, zadistes, furieux, violents, infime minorité, etc., toute cette sempiternelle litanie de qualificatifs qui rêvent l’autre comme dangereux pour mieux ignorer ce qu’il dit ou défend. Ceci s’est traduit concrètement vis-à-vis de certaines communes ou associations de notre département par quelques mesures de rétorsions, non officiellement assumées bien sûr (ici une subvention annulée, là la suppression de quelques emplois aidés, ailleurs un acharnement gendarmesque dans les contrôles et la surveillance – y compris par hélicoptère !).
Voilà donc à qui nous avons dû nous confronter durant deux années au cours desquelles le départ de la préfète faisait partie des événements les plus attendus. Nous le lui avions du reste dit clairement quelques mois après son arrivée en organisant un « pot de départ » sur la grande place de Guéret, au cours duquel Magali Debatte et son sinistre secrétaire général (Monsieur Olivier Maurel, aujourd’hui sous-préfet de Riom) ont été expulsés en effigie dans un charter d’Air OQTF*. La plaisanterie ne fut pas de son goût : contre 200 pacifiques et joyeux manifestants qui organisèrent ce charivari bon enfant, elle déploya une centaine de CRS, ferma la préfecture au public et boucla une partie du centre ville !
Aujourd’hui, presque deux ans après ce pot de départ anticipé, Magali s’en va enfin. Nous en sommes très heureux et compatissons sincèrement aux affres que la Charente risque de connaître. Mais chères Charentaises et Charentais, ne désespérez pas ! Dans deux ou trois ans, vous aussi, vous en serez débarrassés !
Avec tous nos encouragements,Des Creusoises et des Creusois outragés, pourchassés, vilipendés, mais aujourd’hui li-bé-rés !
J’étais avec d’autres devant les grilles de la gendarmerie de Felletin, lundi 9 juillet, parce qu’un texto d’amis m’avait prévenu : “Besoin de monde devant la gendarmerie, un jeune soudanais va être expulsé du territoire, sa vie est en danger au Soudan.“
La phrase n’était pas compliquée, je l’ai comprise toute de suite. La phrase n’est pas compliquée, n’est-ce pas ?
J’y suis allé, avec mes courses dans la voiture.
J’étais en tong, en short, et je n’ai pas dépareillé. Une centaine de personnes, des poubelles et des barrières de chantier qu’une voiture sans permis aurait suffi à écarter. Il y avait des amis, des gens que je ne connaissais pas, un monsieur très calme avec un porte-voix qui expliquait qu’on essayait de contacter la préfète, qu’elle avait le droit discrétionnaire d’autoriser le jeune migrant à rester 48 heures de plus sur le territoire français, le temps pour lui de faire une demande d’asile politique. Là, sans en savoir beaucoup plus (mais j’avais déjà compris la phrase du texto et en toutes lettres les mots “expulsé“, “vie en danger“ et “Soudan“), là, donc, précisons que le président du Soudan fait l’objet d’un mandat d’arrêt international pour génocide et crimes contre l’humanité, et que la famille de ce jeune soudanais, Nordeen Essak, a été assassinée là-bas. Il est orphelin, et il était là, dans la gendarmerie de l’autre côté des grilles, où il s’était rendu volontairement à sa convocation.
Je vais rarement sur le plateau de Millevaches, mais je connais quelques têtes de ceux que l’on étiquette rapidement ultra-gauche, chose qui ne saurait leur faire plus plaisir. Une étiquette, quel plaisir quand elle fait frémir dans les chaumières. Plus sexy, ultra-gauche, que migrant, ou même soudanais, habitant d’un pays où les manifestations ne se terminent pas tout à fait comme à Felletin.
Ils étaient là, le péril jeune, rouge, ultras de que dalle, au milieu des familles en tenues estivales et pas plus organisés que moi avec mes produits frais qui cuisaient dans mon coffre. Pas même un slogan qui sonnait bien, les pros de la subversion : Pas d’expulsion ! non, non, non ! Aucun équipement non plus, jusqu’à l’un d’entre eux qui demandait à la ronde si quelqu’un n’avait pas, par hasard, une chaîne et un cadenas pour les grilles de la gendarmerie… Il n’était pas venu équipé.
Les seuls qui faisaient quelque chose étaient ceux qui tentaient d’avoir la sous-préfète ou la préfète au téléphone. Je suis resté une heure à discuter avec des gens, de trente ans à l’âge de la retraite, de Felletin ou du coin, des artisans avec encore leurs chaussures de sécurité et de la poussière dans les cheveux.
Et puis la nouvelle est arrivée, que la préfète (je n’avais pas envie d’écrire quoique ce soit avant cette conférence de presse, madame, que vous avez donnée, dans laquelle vous avez tout ramené à trois clichés, trois personnes et trois détails, sans parvenir à prouver et loin s’en faut, que vous étiez capable de comprendre les mots “expulsé“, “vie en danger“, “Soudan“ ; mais là, après de telles âneries, difficile de résister à l’envie de me foutre un peu de vous et de la direction centrale), la nouvelle est arrivée donc, que vous n’alliez pas faire un geste pour aider ce jeune migrant qui essayait de refaire sa vie en Creuse. Avec l’aide de quelques personnes généreuses qui ne sont ni des ultras, ni des baba-cools. C’est que les étiquettes sont nombreuses, fusent et volent bas en ce moment, de la préfecture aux gazettes internet des commerçants de la grande et belle ville de Felletin, dont les élus — ne les oublions surtout pas — n’ont pas pointé le nez quand une cinquantaine de leurs votants, avec d’autres citoyens, se sont plus tard fait gazer pour un délit de solidarité qui a bien failli rester dans la loi (êtes-vous vraiment, madame la préfète, la représentante et un bras armé d’un gouvernement qui a voulu interdire la solidarité ?...) : certains élus felletinois ont osé prétendre qu’ils n’étaient pas au courant de ce qui se passait. On voit quasiment la gendarmerie depuis la mairie. 150 personnes pendant 5 heures, plus d’une dizaine de camionnettes de gendarmerie, une cinquantaine de militaires, des sirènes et des gyrophares, dans un lieu où un pétard de fête foraine s’entend d’un bout à l’autre du village… On n’était pas au courant… Bande de lâches, de vaches à herbe, de moins que rien.
Moi non plus, avant de recevoir un texto, je n’étais pas au courant. J’étais ensuite sur les lieux en deux minutes. J’étais deux fois plus loin de là que la mairie.
Bon, peut-être que les élus de Felletin et de la com-com vont se rattraper bien vite, protester, intervenir, vous expliquer que des familles ont été arrosées de gaz lacrymogènes pour avoir voulu aider un jeune type de vingt ans auprès de qui vous pourriez prendre quelques leçons de courage et d’humilité ?
Alors on en était là. Pas de négociation…
Je suis rentré chez moi, j’ai laissé mes enfants se coucher tout seuls, j’ai mis mes courses au frigo, un jean et des chaussures, et je suis reparti.
Un peu plus de monde, côté gendarmes et manifestants, et les barrages bloquant l’accès aux bâtiments s’étaient épaissis de voitures. Là, ça ne passait plus aussi simplement. Et votre ordre, de faire usage de tous les moyens pour sortir de la gendarmerie ce dangereux orphelin — que par un habituel mélange rhétorique, vous assimilez dans votre conférence de presse aux menaces de l’islamisme radical, aux terroristes de gauches et qui sais-je encore — votre ordre a commencé à faire monter la pression.
Il devenait évident que des manifestants étaient décidés à rester, et plus flagrant encore que personne n’était préparé à faire vraiment face. Même du côté de votre obsession, l’ultra-gauche rabâchée, obsession étayée par de bien piètres informations et à ce moment-là sans doute par les descriptions des gendarmes, à l’intérieur des bâtiments. Saura-t-on un jour ce qu’ils vous ont dit ? Nous voyons des familles, des gens qui plaisantent et discutent, trois ou quatre têtes connues du plateau, des membres de l’association qui ont accueillis Nordeen Essak. Il y a des barrages mais nous sommes bien assez nombreux pour contrôler la situation. Dans ce cas-là, pourquoi donner l’ordre de disperser et sortir par tous les moyens, madame la stratège militaire ? Ou bien, pris de panique, avec leurs appareils photos et leurs fichiers établis sur la base de rien, du vent, des commérages et des préjugés locaux arrangés ensuite à sa sauce par votre impartiale et sage direction centrale, les gendarmes ont-ils décrit l’apocalypse ? C’est une émeute populaire, ils sont organisés et agressifs. Nous craignons pour la sécurité des hommes et des biens, les enfants eux-mêmes semblent servir de boucliers humains ! Là, oui, on comprendrait la grave décision que vous avez prise de faire donner la troupe et les gaz… Mais saurons-nous ce que vous vous êtes dit ? Non, je ne pense pas que ça arrive.
Peu importe, la conclusion est au fond la même : que vous ayez pris votre décision sciemment ou par ignorance (enfer, aucune des deux propositions ne fait une excuse digne), vous avez démontré que vous ne connaissiez rien au territoire dans lequel vous venez de vous enliser gravement pour deux ans —la durée de vos CDD de préfets.
Quant à votre remarque sur le nombre de policiers, proportionnel au nombre des manifestants, c’était sans doute de l’humour policier que nous ne pouvons pas comprendre.
50 gendarmes, armes à feu, tazers, casques, boucliers, un berger allemand, des gaz lacrymogènes, des membres du PSIG (peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie, dont la spécialité n’est pas exactement la négociation), tout ça contre 150 manifestants dont seulement trente ou quarante sont restés à pousser les poubelles quand vos militaires ont forcé le passage ? Proportionné ? Vous vous foutez de qui ?
Ha ! Et deux gendarmes blessés.
Il me semble en effet que le sang n’a toujours pas fini de sécher dans la cour intérieure de la gendarmerie, tant l’assaut populaire a été violent et innombrables les coups échangés à travers les barreaux des grilles... Mais comment avons-nous pu rater les photos d’une vieille dame paniquée et hurlant, gazée à bout portant, de gens abasourdis par les méthodes des gendarmes, criant à la honte, pleurant, crachant, essayant de tenir le plus longtemps possible, une ou deux minutes, avant de se disperser, impuissants. Il est resté ensuite les insultes, coups de gueules parfois audibles, souvent ridicules ou puérils. Mais peut-être parliez-vous de blessures plus profondes des forces de l’ordre, des écorchures faites aux ego et aux sensibilités des gendarmes casqués, touchés par ces invectives grossières, les appels à leur humanité ou leur démission ?
Oui, des ados du Plateau (on aura compris qu’il ne s’agit pas d’un âge, mais d’une posture bien sûr, combattante et courageuse, élégante, subtile et constructive, dont le seul but était de servir la cause du jeune migrant) ont jeté des bouteilles ; les autres manifestants leur ont tout de suite demandé d’arrêter, dit que cela ne servait à rien sinon justifier la réaction policière et, ce qui est une fois de plus vérifié, à vous fournir les éléments de langages coutumiers ; ceux de votre conférence de presse, l’ordre et la loi, le dispositif sécuritaire, blablabla… Quel désespoir, madame la préfète de Creuse, de vous entendre aussi pauvre en idées, vocabulaire, personnalité et courage. Mais vous n’êtes pas seule. Je vous renvoie dos-à-dos avec les ados, qui ne sont pas beaucoup plus originaux. Car finalement, qu’est-ce que vous vous retrouvez bien à chaque fois, ensemble, pour faire tourner la machine. Vous, pour justifier vos actes, votre fonction, votre politique. Eux, pour donner un sens à leurs existences et régler des comptes avec quelque figure paternelle mal digérée, en balançant des bouteilles et des insultes à des flics armés.
Comment vous échapper, à vous, ambitieux et banals fonctionnaires d’État moulés à la louche, et vous, lanceurs de bouteilles et de mots d’ordres creux, qui ont fait lundi 9 juillet un marteau et une enclume à des retraités, des artistes, des enseignants et des artisans. Des gens rassemblés par un réflexe de solidarité, dont certains sont les acteurs d’initiatives locales, associatives ou commerciales, ayant reçu des félicitations de vos prédécesseurs à la préfecture, madame.
Ensemble, flics et anti-flics, vous avez fait de cet événement pourtant d’une simplicité désarmante (LES MOTS DU TEXTO, BORDEL !), un magnifique exemple de ratage, de laideur, de stupidité, de mensonge, un ratage qui fait de cette toute petite manifestation, de ce seul jeune soudanais, dans un village qui n’est même pas une sous-préfecture, un exemple percutant de tout ce qui fait vomir en ce moment dans une France noyée par la désinformation.
Il semble, comble d’une ironie qui fait pisser de rire comme il est agréable de pleurer des gaz lacrymos, que le jeune Nordeen Essak, le lendemain de cette échauffourée, ait pu rester à Paris, et qu’il soit en mesure désormais de faire ici sa demande d’asile politique.
Ce qui signifie, préfète, que ce qui est arrivé sous vos ordres, à Felletin, est arrivé pour rien…
Et qu’est-il arrivé ?
Ces gens qui s’étaient rassemblés, à une majorité écrasante pacifiquement, vous en avez fait des motivés, qui se réunissent depuis, que vous retrouverez en plus grand nombre à la prochaine expulsion, et qui pourraient avoir envie, avant d’être gazés, de venir mieux préparés. Vous avez fait d’une gendarmerie de village un lieu de conflit et un symbole puant, des relations entre des dizaines d’habitants avec leurs élus, leur préfecture et des gendarmes, un petit poison.
Vous avez fait gazer quelques solides poignées de gens qui se bougent ici pour qu’il se passe quelque chose, que ça vive, que ça ne crève pas de mort lente et de désertification, que les associations ne servent pas qu’à renégocier chaque année la subvention allouée à la journée des commerçants. Certains d’entre nous, gazés, ont été pris en exemple par votre gouvernement, comme modèles des plans de relance de votre président pour l’ultra… ruralité.
Votre obstination à suivre des ordres et non votre conscience, ou ne serait-ce que le bon sens politique, ne va pas faciliter la suite de votre temps ici, pas mieux que les mutations des gendarmes de Felletin que vous finirez bien par soutenir, pour leur épargner les désagréments de leur poste dans les mois à venir —y compris pour ceux qui, dans les pavillons de fonction à l’intérieur des grilles, avaient le cœur qui penchait du côté du jeune Nordeen Essak. Ce jeune homme dont il est toujours question, dont le père et le frère ont été assassinés au Soudan. Devant lui. Vous vous souvenez ? Besoin d’un texto de rappel ?
Vous espérez que la force fera loi ?
Vous êtes vraiment malade.
C’est exactement ce que vous cultivez, la loi de la force. Celle qui ment toujours sur les véritables enchaînements des actions et des réactions, sur les nombres, les raisons profondes, les enjeux, sur les divisions qu’elle entretient, sur l’utilité des grilles et l’identité de ceux qu’elle place de chaque côté d’elles.
Vous n’avez toujours pas appris qu’à inventer des étiquettes aux gens, elles finissent par coller.
Ici, vous devenez un vous plus large, chère préfète ; et cette vexation que vous ressentez, cette envie de vous justifier, d’échapper à l’assimilation, de vous débattre contre la généralisation, tout cela est naturel, ne vous en inquiétez pas. Respirez. Vous être en train d’être essentialisée et instrumentalisée.
Je ne suis pas un écrivain engagé. Mais après une lettre pareille, souffrante comme vous l’êtes d’une atrophie de l’imagination, vous me collerez cette appellation, qui autorise ensuite à expliquer qu’un écrivain ne doit pas écrire ; comme vous ne vous privez pas de dire et légiférer, pour le faire entrer dans les têtes, qu’un enseignant ne doit pas enseigner, qu’un artiste ne doit ni créer ni subvertir, qu’un artisan ne doit pas faire autre chose que son travail et qu’un passant ne doit pas se renseigner sur un rassemblement devant une gendarmerie. Les policiers seront-ils les derniers à qui vous accorderez le droit de policer ?... Voilà, du coup, la foule qui les appelle à la démission !
Ce que ce petit événement felletinois adu moins prouvé, c’est que votre stratégie d’interdiction d’être soi fonctionne belle et bien pour certaines catégories de la population : parmi elles les élus, qui, à la hauteur des politiques de leur temps, sont restés chez eux et ont gentiment laissé au clou leur droit de s’interposer entre des gendarmes et des manifestants, entre vos généralisations et les vraies raisons d’une manifestation, entre les critiques de la population locale — prompte à la caricature — et le soutien politique et humain dont tout élu avec une colonne vertébrale aurait dû faire preuve.
Une idée — une expérience sociologique — pour la mairie de Felletin et d’autres, histoire de faire mentir les urnes, les accroches médiatiques et les stratégies gagnantes de division : s’il y avait une liste de numéros de téléphone des habitants de la commune, pour les situations d’urgence, et que, par exemple, lundi 9 juillet 2018, tous les felletinois ou même tous les habitants de la com-com avaient reçu ce texto : “Besoin de monde devant la gendarmerie, le jeune Nordeen Essak, vingt ans, orphelin, accueilli depuis huit mois, doit être expulsé vers l’Italie puis le Soudan, où sa famille a été assassinée et où il risque la mort. Par votre présence pacifique, venez aider à négocier une solution avec la préfecture.“ Combien de gens seraient venus ? Bien plus, j’en suis certain, que le pourcentage local de votants sans autre idée que le bulletin Front National pour échapper à vos interdictions d’être soi.
Et en dernier ressort (quel joli mot), voici ce que vous avez provoqué avec cet ordre bête donné à des hommes et des femmes, de faire usage de la force : vous vous êtes fabriqué de vrais opposants, que vous ne pourchassiez jusqu’ici qu’en rêve.
Je n’irai pas plus à des réunions d’associations que je ne le faisais auparavant, mais lorsque des amis et des semblables de Nordeen Essak se retrouveront dans la même situation, d’être expulsés, à quelques minutes de chez moi, je serai à nouveau là.
Ils le disaient, les lanceurs de bouteilles : Qu’ils comprennent que les expulsions et leurs méthodes ont un prix !
Les résistances sont de toutes formes et les moyens à discuter ; ou pas, pour ceux qui ne veulent plus débattre.
Mais merde. Ils avaient raison les lanceurs. Voyez, madame la préfète, ce que vous venez de lire et le prix que vous payez déjà : ces blessures à votre ego et, espérons-le aussi, à votre sensibilité.
Le jeune Soudanais que la préfète de la Creuse, Magali Debatte, a cherché à expulser en 2018 et pour lequel une forte mobilisation s’était constituée, vient d’obtenir son statut de réfugié. La France reconnaît enfin qu’il est légitime de l’accueillir sur le territoire national ! Une victoire pour ceux qui s’étaient mobilisés en juillet 2018 devant la gendarmerie de Felletin ou en occupant la mairie de Guéret deux mois plus tard. De son côté, Magali attend d’être convoquée au tribunal pour répondre aux demandes de dommages et intérêts qui ont été déposées contre elle dans cette affaire et dans une autre similaire, les décisions qu’elle a prises et tentées d’appliquer à l’époque ayant été reconnues illégales.