dit Manu 1er le Cynique,
qui réussissez le prodige de vous faire passer en Europe pour un défenseur du droit d’asile ;
qui mettez en valeur les quelques dizaines de demandeurs d’asile que vous vous résignez enfin à accueillir, sous la pression médiatique et après les images dévastatrices de bateaux humanitaires coincés en Espagne après avoir été refusés par l’Italie et vous-même, masquant sous ce coup de projecteur les milliers d’autres que vous faites sans cesse expulser ou que vous refusez d’accueillir ;
qui vous permettez de donner des leçons à l’Italie alors que la France ne respecte pas les faibles engagements pris pour une répartition européenne plus “équilibrée“ ;
qui contribuez à financer les gardes-côtes libyens, alors que vous ne pouvez ignorer le sort réservé là-bas aux migrants, violentés et réduits en esclavage ;
qui tentez de faire supprimer, dans le cadre de la négociation des “accords de Dublin 4“, le délai de fin de responsabilité de l’État d’entrée ou la clause dérogatoire permettant à la France de traiter la demande d’asile de migrants, même s’ils sont arrivés en Europe par un autre pays ;
qui avez osé appeler “votre“ loi : “pour une intégration réussie“ ;
qui l’avez présentée à l’assemblée comme un moyen de contrer la progression lepéniste, en oubliant qu’en reprenant et assumant les idées que vous prétendez combattre vous vous en faites au contraire le promoteur ;
qui avez fait fermer des points d’eau publics à Lyon pour que les personnes à la rue ne puissent pas y boire ;
qui ne cessez de marteler que “c’est la loi !“ et qui, soit vous dégonflez quand vous passez devant un tribunal, soit faites l’objet de condamnations ;
qui félicitez vos services de gendarmerie quand ils gazent une population qui défend un innocent, sans vous demander si vos gendarmes sont, eux, fiers de ce que vous leur faites faire ;
qui, par votre méconnaissance du territoire et de ses habitants, réussissez la prouesse après quelques mois de présence de vous mettre à dos élus et habitants ;
qui prétendez que nous sommes une infime minorité et osez affirmer que nous sommes aussi dangereux que des terroristes ;
qui gaspillez les fonds publics par votre incompétence et votre obstination (nous avons estimé que la tentative d’expulsion ratée d’Abdel, pour laquelle vous avez été condamnée hier, avait mobilisé au bas mot 55 000 € d’argent public compte tenu de tout ce que vous avez dû mettre en œuvre pour tenter de la mener à terme) ;
qui faites de tout cela une affaire personnelle ;
qui vous croyez en guerre contre le territoire au service duquel vous seriez censé être ;
qui gérez le département comme vous gériez une prison ;
qui avez le cynisme de dire “ce n’est que l’Italie“, sans vous poser un seul instant ce que cela représente pour des personnes intégrées en France, ayant fait l’objet d’actes de racisme en Italie, et risquant d’y être renvoyées vers le pays qu’elles ont fui ;
Vous tous qui sabotez soigneusement et méticuleusement tout le travail d’intégration et de construction sociale que nous et plein d’autres à travers la France menons ;
Vous tous qui ordonnez des chasses à l’homme et à l’enfant à vos policiers ;
Vous tous qui privez des innocents, adultes ou enfants, de liberté ;
Vous tous qui, par vos mesures, condamnez à l’errance entre les pays, faites dormir sous les ponts, réduisez des gens au désespoir ;
Vous tous qui, par les politiques que vous menez, portez des milliers de fois plus de responsabilités dans la venue de ces personnes qu’elles-mêmes, victimes d’une histoire qui les dépasse ;
Vous qui, quotidiennement, au nom de la République, bafouez non seulement la fraternité mais aussi la liberté et l’égalité, rendant ainsi risible la journée d’intégration à la citoyenneté à laquelle ces personnes, si elles accèdent à l’asile vont devoir se soumettre. Comment pensez-vous un seul instant qu’elles puissent y adhérer après les formidables leçons “d’instruction civique“ à taille réelle que vous leur avez fait subir ?
Vous tentez de nous discréditer en nous traitant d’angéliques. Mais c’est vous qui êtes diaboliques. Avec tout le mépris dont vous êtes capables, vous nous qualifiez de “belles âmes“ et il est évident qu’il ne s’agit pas d’un compliment. Par quelle curieuse inversion avez-vous réussi à faire accroire qu’il vaut mieux être une “âme noire“ ?
Vous ressassez à n’en plus finir “on ne peut pas accueillir toute la misère de monde“ alors que vous êtes incapables de voir que ce n’est pas la misère que nous accueillons, mais la jeunesse, une formidable force de vie, de projets, de construction. La misère, ces personnes l’ont laissée dans les pays d’où elles viennent et où vous l’avez-vous-même créée et continuez de l’entretenir par vos politiques. La misère, elle est dans les conditions de vie que vous leur imposez en les condamnant à l’errance. La misère, elle est dans vos pauvres têtes incapables de sortir d’un mode de pensée colonialiste.
Cette force de vie qui les anime, cette espérance qui les porte, cette foi en ce que devraient être nos valeurs, ce sont elles que vous détruisez, et pour cela vous êtes impardonnables.
Vous nous parlez de réalisme et vous nous reprochez son absence, pourtant c’est nous qui construisons, et vous qui devriez avoir le courage de dire la vérité.
Mesdames, Messieurs j’aimerais que vous puissiez rencontrer les mères de ces jeunes gens. Leurs pères, ce ne sera plus possible, ils ont déjà été exécutés, comme eux-mêmes l’auraient été s’ils n’avaient pas fui. Qu’auriez-vous à leur dire ? “On applique la loi“ ? Cette loi, ces lois que vous avez faites, et que vous ne cessez de durcir. Ce “code de la honte“ qui vient d’être voté. Comment leur expliquerez-vous que vous n’avez pas utilisé votre liberté, qui reste totale malgré ces lois ou plutôt en vertu d’elles-mêmes, d’accueillir leurs enfants ?
Vous portez la responsabilité pleine, entière et personnelle des actes que vous commettez et qu’il faut bien appeler pour ce qu’ils sont : des traitements inhumains et dégradants.
Face à cela, ce qui me frappe c’est l’incroyable dignité des personnes qui les subissent, leur capacité à encore sourire, leurs salutations quand je les rencontre dans les rues de la Chapelle à Paris ou dans un parc à Limoges. Et pourtant l’angoisse, la boule d’anxiété qui envahissent le ventre, la poitrine, la gorge, l’absence de perspectives et la crainte qui plus encore que le froid des nuits sans abri empêchent de dormir, tout cela ils vous le doivent.
Pour toutes ces raisons et au premier chef, pour avoir souillé, saboté, foulé au pied les trois principes fondamentaux de la République, aussi bien la liberté, que l’égalité et la fraternité, vous méritez la déchéance de nationalité évidement accompagnée d’un OQTF (Ordre de Quitter le Territoire Français) et d’une IRTF (Interdiction de Retour sur le Territoire Français), ces mesures que vous savez distribuer si généreusement.
Voici l’avion pour effectuer le vol que nous vous offrons. Il m’a semblé que la destination de la Libye semblait la plus appropriée. Vous avez investi beaucoup d’argent français pour que les libyens puissent vous accueillir et vous retenir chez eux. Je ne doute pas qu’ils sauront utiliser une partie de cet argent pour vous réserver un accueil digne.
Évidemment, il y a le risque que votre avion s’abîme en Méditerranée et que vous vous trouviez dans l’immensité des flots sans rien que la mer autour. Peut-être alors la panique, l’effroi intense s’empareront-ils de vous et comprendrez-vous ce que toutes ces personnes ont pu éprouver. Et malheureusement pas de bateau humanitaire pour vous secourir : vous et vos collègues de tous les gouvernements d’Europe vous êtes suffisamment employés à criminaliser leur action et à la rendre impossible. Il restait bien l’Aquarius jusqu’il y a peu, mais, coincé à quai par vos mesures quand il serait si simple de lui accorder un pavillon, il ne pourra venir à votre rencontre.
Alors ? Alors je ne vous souhaite pas cette fin atroce, connue depuis le début de l’année, grâce à vous, par plus de 1 700 personnes, venues rejoindre au fond de cette Méditerranée leurs dizaines de milliers de frères et sœurs. Mais n’ayez crainte, il y aura bien une des frégates offertes par l’Italie à la Libye pour venir vous repêcher.
Il me reste à vous souhaiter un agréable voyage en bonne compagnie.“3
Marc Bourgeois