Un gîte pour vivre sa vie jusqu'à la fin
Notre société contemporaine est traversée par une question qui interpelle les soignants, les institutions de santé, les collectivités locales, les familles des patients, la société toute entière. Elle concerne la fin de vie, l’euthanasie, le droit à mourir dignement. Et si, avant de parler de la mort, nous parlions ensemble de la vie ? L'association l'Arbre, née à Eymoutiers il y a tout juste un an, s'est donnée comme objectif la création d'une maison pour accueillir des personnes en fin de vie.
Lorsque la médecine ne peut plus rien faire d’autre que d’atténuer la douleur, lorsque toute décision d’intervention relèverait d’une obstination déraisonnable, la mort apparaît comme un processus naturel, une évidence à laquelle notre société et notre culture nous préparent mal. Nous voilà, parfois soudainement ou brutalement, confrontés à un temps de “reste à vivre“ qui peut s’avérer assez long pour envisager toutes sortes de projets, demander d’inventer de nouveaux modes d’organisation du quotidien, investir des relations humaines inédites. Bref, la vie, quoi ! Mais alors, quelles solutions existent pour accompagner ceux qui veulent considérer que cette dernière étape de la vie vaut le coup d’être vécue pleinement ? Notre espace public est-il doté de lieux et de compétences pour répondre à ce besoin ? Faut-il laisser ce temps précieux aux seules mains des médecins ou prendrons-nous la mesure de nos responsabilités citoyennes sociales, politiques, humanistes ?
Maintenir la qualité de vie jusqu’à la fin
Imaginant ce que seront nos derniers mois sur cette terre, nous sommes nombreux à dire que nous voudrions rester à domicile, dans nos meubles et nos habitudes, auprès de nos proches et dans un environnement qui nous est familier. Mais cette solution n’est pas toujours réaliste. La solitude pèse lourd, les soignants s’épuisent. La dépendance, la mobilité réduite, la nécessité de soins, le manque d’autonomie qui affecte tous les gestes du quotidien sont bien souvent des sources de préoccupations, une charge lourde à porter dans des logements qui s’avèrent rapidement inadaptés. C’est plus vrai encore dans nos campagnes où s’ajoute l’éloignement séparant les hameaux des centres bourgs et les habitations entre elles. Ces distances parcourues par les infirmier(es) et aides-soignant(e)s représentent un coût humain et financier non négligeable pour la collectivité. La télé-médecine qui suscite tant d’appels à investissements publics et privés apportera-t-elle un changement significatif ? La révolution technologique espérée n’apportera pas le geste chaleureux, le lien social, l’énergie vitale dont le patient a besoin bien au-delà des médicaments et des soins du corps.
Il manque dans le paysage médico-social actuel un lieu permettant aux patients de vivre pleinement leur vie jusqu’à la fin
Une alternative à l'hôpital
L’hospitalisation est bien souvent un choix contraint. On redoute de quitter son domicile pour partir dans une structure qu’on juge éloignée et anonyme. N’entend-on pas très souvent dans les médias ou dans les cercles d’amis que les soignants y sont épuisés, maltraités, contraints à des actes médicaux quantifiés selon des critères financiers ou en temps imparti ? Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sont plus mal jugés encore. La critique se fait plus vive pour dénoncer le manque ou la non-qualification des personnels, leurs conditions d’exercice des soins qui confinent parfois à la maltraitance, les visées de rentabilité pour rémunérer un actionnariat qui fait de la fin de vie un placement financier. L’association l’Arbre ne souhaite pas apporter de l’eau au moulin des détracteurs du service public, ses adhérents n’ont pas la prétention collective de changer le modèle économique dominant, ni de mettre en cause la décentralisation de l’administration territoriale de la République ou le rapport entre les techniciens et les élus, moins encore le savoir expert des soignants. Mais quand même. Ils ne veulent pas rester sans rien faire et veulent participer à des évolutions qu’ils jugent nécessaires. Leur postulat est d’apparence simple : entre hôpital et domicile, il manque dans le paysage médico-social actuel un lieu permettant aux patients de vivre pleinement leur vie jusqu’à la fin. Il faut élargir l’offre.
Imaginant ce que seront nos derniers mois sur cette terre, nous sommes nombreux à dire que nous voudrions rester à domicile, dans nos meubles et nos habitudes, auprès de nos proches
Une maison pour finir sa vie
L’association l’Arbre s’est donné pour objet de préfigurer une maison d’accueil, d’accompagnement et de répit à orientation palliative. Ses adhérents sont des médecins, des infirmiers et aides-soignants, des psychologues et des assistantes sociales, des élus et des citoyens. Cette maison sera conçue comme un gîte d’étape AOC, reflet du terroir, de ses habitants, de l’économie et de la culture locales. Un lieu de vie où les soins sont dispensés par les médecins et soignants habituels, où les rythmes de chacun sont respectés, où l’art et les loisirs ne sont pas oubliés, où le quotidien s’organise “comme chez soi“, à l’écoute des besoins et des projets des résidents. Ceux-ci seront des personnes en fin de vie, ou accueillis pour un séjour pendant lequel leurs soignants bénéficieront d’un répit nécessaire. C’est un projet à taille humaine dans une organisation institutionnelle qui a une fâcheuse tendance à segmenter les compétences “en tuyaux d’orgue“, qui souhaite orchestrer harmonieusement différents savoirs et savoir-faire. C’est un projet humaniste qui affirme qu’une fois éradiquée la douleur, il est tout aussi important de penser aux autres souffrances, de veiller à l’accompagnement fraternel du patient sur le plan psychologique, à la recherche de quiétude et de sérénité. C’est un projet politique qui nécessite de mobiliser la société locale, demandant d’être soutenu par les élus qui y verront un levier de développement de la collectivité qu’ils animent, et de façon plus large, au maintien de l’activité et des habitants sur le plateau de Millevaches et en Limousin.
Coopération
Les adhérents de l’Arbre sont déterminés, prêts à faire valoir les idées et les arguments qu’ils ont forgés à l’écoute des contraintes et des projets de leurs interlocuteurs : praticiens, patients, familles, autorités institutionnelles. Mais ils sont aussi des citoyens qui savent se tenir à leur juste place. Pas question de s’ériger en maîtres d’oeuvre du projet, mais plutôt en animateurs, mettant en lien les uns et les autres. Ainsi, la réalisation de l’établissement sera confiée à un comité de pilotage réunissant tous les partenaires susceptibles d’être impliqués : autorités de tutelle, institutions du soin et du médico-social, associations d’usagers, praticiens (médecins, infirmières, aides-soignants, organismes gestionnaires et financiers, responsables territoriaux,...). Cette volonté de coopération entre les acteurs pour co-construire la maison qui s’intègrera parfaitement dans son environnement est centrale dans le projet de l’association, aujourd’hui pour en définir les contours, demain pour définir le cahier des charges de son fonctionnement. Cela le rend aussi un peu plus complexe. La démarche en effet propose de reconsidérer des décisions implicites bien installées dans nos habitudes collectives, pour les remettre en question et vérifier qu’elles sont toujours opportunes. La culture palliative qui nourrit l’Arbre est une réflexion globale. Comment faire société locale, solidaire, impliquant et reconnaissant chacun comme capable de prendre les décisions qui le concernent ? Vaste projet qui invite le patient à dialoguer avec son médecin, le contribuable avec les gestionnaires de l’argent public, l’électeur avec ses mandataires élus, l’agriculteur avec son voisin néo-rural... L’initiative citoyenne dérange, provoque du débat, fait naître des résistances.
Transformer le paysage économique...
La maison que souhaite créer l’Arbre va sans doute participer à transformer le paysage local et global dans lequel elle va s’implanter. Dans le paysage économique d’abord. Entre les deux modèles idéologiques qui opposent une économie administrée par l’État à une économie dirigée par la rentabilité des marchés financiers, faisons reconnaître l’économie du partage, de la solidarité, de la citoyenneté active. Les experts connaissent la part importante de cette économie dans les échanges locaux ou mondiaux. Ils savent par exemple que les inventeurs du co-voiturage et des parkings-relais aux abords des péages d’autoroute ont d’abord été des citoyens s’organisant pour diminuer leurs frais de transports et leur empreinte écologique. A l’heure où l’on entend trop souvent que l’argent public se fait rare, la participation des citoyens à une plus juste répartition des biens publics montrera le bien-fondé concret de la notion d’économie alternative. Dans nos territoires ruraux, l’enjeu d’une coopération entre tous les acteurs économiques n’est pas mince.
… institutionnel ...
Dans le paysage institutionnel ensuite. Faisons valoir l’expérience pratique des patients-usagers pour établir un diagnostic, participer à définir un traitement, administrer les services. La Loi Claeys-Léonetti nous reconnaît ce droit. Le savoir des médecins et le savoir-faire des techniciens du soin ne peuvent qu’en être augmentés. La médecine clinique n’est-elle fondamentalement celle qui s’appuie sur le savoir du patient ? La démocratie sanitaire n’est pas une lutte contre le pouvoir médical ? Elle met le patient à sa juste place, c’est à dire au centre des préoccupations de tous. C’est un choix de gestion plus raisonnable que celui conduit par les lobbys de la chimie qui ont pour priorité la commercialisation des médicaments.
… et démocratique
Dans le paysage démocratique enfin. Sous l’impulsion d’associations citoyennes locales, nationales, altermondialistes, des coopérations se nouent entre la population, les techniciens de l’administration et les politiques. Il existe des conseils de résidents qui organisent les liens sociaux dans un quartier, des conseils de développement dont les membres débattent des données économiques et sociales d’un territoire et proposent des solutions aux élus, des budgets participatifs organisés dans des établissements scolaires par exemple : ils associent élèves, parents, enseignants et personnel administratif pour décider des investissements à privilégier. Avec ces dispositifs, les élus, loin de perdre les prérogatives de leur mandat électif voient celui-ci se légitimer et se renforcer. A l’heure de la crise de la représentation, voilà un aspect positif qui n’est pas négligeable.
Le projet de l’Arbre est dans l’air du temps. Ses racines sont encore à nu, mais gageons qu’elles trouveront bientôt à s’implanter en terre limousine. Des projets semblables viennent de naître en région Centre et en Occitanie. Ils suivent l’exemple de nombreux autres, plus de 500 en Europe.
Association l’Arbre
Johan Jooren (
- “On ne meurt pas bien en France“
Dans une tribune à son initiative signée par 156 députés dont Sophie Beaudouin-Hubière, députée de Haute-Vienne, le député du Rhône Jean-Louis Touraine constate que l’offre de soins palliatifs ne satisfait pas à la multiplicité des situations individuelles et des souffrances des personnes en fin de vie. Des souffrances accentuées par l’impossibilité pour chacun de “choisir sa fin de vie“. Si quelques progrès ont été enregistrés avec la loi Claeys-Leonetti, force est de constater que celle-ci n’a pas permis d’introduire d’innovations significatives. Le problème actuel est qu’il manque – et c’est crucial ! – une liberté, un droit au choix. Il ajoutait qu’un pourcentage infime de Français avaient connaissance et accès aux propositions de soins palliatifs.
Cinq types d'offres de soins palliatifs en Limousin
- Les soins à domicile
- L’hospitalisation à domicile (HAD) et les services infirmiers de soins à domicile.
- Les unités de soins alliatifs (USP) sont des petits services au sein d’un hôpital accueillant les patients pour une durée limitée. Le CHU de Limoges est ainsi doté d’une USP de 12 lits.
- Les équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP) apportent un soutien global et une écoute active aux soignants. L’EMSP prend en charge la douleur, l’accompagnement psychologique et psychosocial du patient, les conditions de son retour et du maintien à domicile, la sensibilisation aux soins palliatifs et à la réflexion éthique. Il existe une EMSP par département.
- Les lits identifiés en soins palliatifs (LISP) sont situés au sein d’établissements hospitaliers. Ils permettent une ouverture et un lien entre le domicile et les établissements.
- Une journée à la Maison de l’Arbre*
Présentation du projet de Maison de soins à orientation palliative à Eymoutiers
Suzanne vient d’arriver. Dans la cuisine, elle partage un café avec sa collègue, l’infirmière de nuit et Nelly, la bénévole qui a passé la nuit auprès de Maurice qui avait demandé une présence auprès de lui.
Le gîte s’éveille. Si quelques stores sont fermés, c’est parce que certains patients dorment encore. Pour ceux-là, les soins peuvent bien attendre ! Tout à l’heure, c’est avec une bénévole qu’elle donnera sa toilette à madame Pénicaud. Ce moment, pourtant délicat au point de vue technique, sera un temps de partage et d’intimité, témoignage d’un profond respect mutuel entre patients et soignants.
Cette ancienne institutrice était seule, dans sa maison que son invalidité grandissante rendait inhospitalière. Alors, quand la maladie s’est brusquement aggravée, madame Pénicaud s’est souvenue que dans le hameau voisin, le gîte « l’Arbre » avait ouvert ses portes. De prime abord, elle n’avait pas compris comment cette ancienne grande maison bourgeoise pourrait accueillir des patients en fin de vie. Cela ne ressemblait pas à un hôpital ! Puis elle a finalement accepté de suivre les conseils de son médecin. Lui et l’infirmière du réseau local pourraient continuer de la visiter régulièrement.
Ce matin, Suzanne choisit de finir sa tournée par la chambre de Pierre, nouvel arrivé d’hier. Elle pourra lui consacrer le temps nécessaire pour un premier contact, même si elle a le sentiment de déjà le connaître un peu grâce à la présentation faite par le médecin coordonnateur ayant annoncé son arrivée prochaine au cours des précédentes réunions de maison. Elle l’accompagnera, s’il le souhaite, pour déjeuner à la grande table de la salle à manger commune.
Car les bonnes odeurs de cuisine qui envahissent déjà toute la maison annoncent le repas, convivial ou dans les chambres. Suzanne se rappelle qu’elle doit demander à Johan comment il réalise son fameux pain de légumes qui a régalé tout le monde hier.
On est jeudi : le temps de sieste des hôtes est, pour les bénévoles et les soignants, l’opportunité d’une séance de travail collectif animée par Laurence - la psychologue à disposition des patients et des aidants - sur la question du soin et de la souffrance. Au même moment la directrice coordinatrice reçoit les représentants de la mutuelle, de l’ARS et de l’hôpital de Saint Léonard pour le point administratif et financier semestriel.
En fin d’après-midi, Lorie va venir jouer du violoncelle dans le hall : les portes des chambres seront grandes ouvertes et ceux qui peuvent pourront s’installer devant la grande baie vitrée qui donne sur le plateau de Millevaches.
Avant de rentrer à son domicile, Suzanne va se recueillir auprès de la dépouille de Kevin, le jeune patient. Les aides-soignantes ont fait sa toilette mortuaire. Elles se sont appliquées à préserver une belle attitude au jeune homme qui aura été, ces dernières semaines, le centre de toutes leurs attentions et de leur tendresse. Les larmes ne sont pas loin, bien sûr, mais elle sait qu’après la visite de la famille, elle pourra partager un moment de deuil avec ses collègues. C’est cette unité et cette fraternité qui lui donneront, demain matin, la force et la joie de venir exercer un métier empli d’humanité.
(*) Récit librement inspiré par la lecture du livre de M.de Hennezel “La Mort intime“
- Droits des malades et fin de vie
La Loi Léonetti (2004) est la seule loi de la Ve république votée à l’unanimité des députés. Le texte a pour objet d'éviter les pratiques d'euthanasie et d’empêcher également l’“obstination déraisonnable“ sous forme d’acharnement thérapeutique en fin de vie. Cette loi propose de développer les soins palliatifs donnés aux patients en fin de vie, afin de prendre en compte leurs souffrances psychologiques et sociales. De nouveaux droits des patients sont définis dans la loi Claeys-Léonetti (2013) et notamment l’instauration des directives anticipées (document écrit, daté et signé par une personne qui rédige ses volontés quant aux soins médicaux qu’elle souhaite ou non recevoir, dans le cas où elle se trouverait dans l’incapacité de les exprimer) et de la personne de confiance qui accompagne le patient dans ses démarches de santé et transmet les volontés du patient devenu hors d’état de s’exprimer.
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ThèmeSanté
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IPNS - 23340 Faux-la-Montagne - ISSN 2110-5758 -
©2011 le journal IPNS - Journal d'information et de débat du plateau de Millevaches - Publication papier trimestrielle.
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