Je me souviens de Paris-Limoges 1954 : Valentin Huot, le régional (de Dordogne) gagne cette classique longue de près de 400 km, au nez et à la barbe des meilleurs professionnels français et belges (2e : Van Geneugden, 3e : Sabbadini). Auparavant, il s'était seulement illustré dans des compétitions régionales. Il faut rappeler que, dans les années 50 et jusqu'en 1963, la Dordogne faisait partie du comité du Limousin de cyclisme, avec les trois départements de la future région Limousin. Les journaux régionaux célébrèrent donc la victoire d'un coureur local, ce qui n'était jamais arrivé depuis les débuts de l'épreuve, et donna un écho formidable à ce succès.
Je me souviens du Tour de France 1956, durant lequel Georges Briquet – le plus célèbre radio-reporter de l'époque (originaire de Limoges) – prononçait “huotte“ et narrait les exploits en montagne de Valentin, rivalisant avec Bahamontès et Gaul. Notre dordognaud termina 3e du Grand Prix de la Montagne.
Je me souviens des championnats de France de 1957 et 58, qui permirent à Valentin Huot de se vêtir deux ans de suite du maillot tricolore. Son premier titre, remporté au sprint face à Rohrbach, donna lieu à une polémique accusant Huot d'avoir profité du travail de son compagnon d'échappée. Par contre, son deuxième sacre national ne souffrit, lui, d'aucune réserve. À Belvès, en Dordogne, tout près de chez lui, il l'emporta au finish sur un parcours très sélectif, devant Raphaël Géminiani et Francis Mahé. C'était vraiment la consécration pour Valentin, qui confirma son niveau en terminant 6e du championnat du monde à Reims. Jouant la 3e place au sprint face à Darrigade, alors que Baldini l'emportait devant Bobet.
Dans l'abondant palmarès de Valentin Huot, nous nous contenterons d'évoquer le Grand Prix du Midi Libre en 1960. Ce coureur était un individualiste, se pliant difficilement à la discipline d'équipe. Ce qui explique que, malgré 6 participations au Tour de France, il ne courut jamais dans l'équipe nationale, mais toujours dans l'équipe régionale “Sud ouest“. Il a arrêté sa carrière en 1964, devenant fraisiculteur à Manzac sur Vern, tout près de Creyssensac, son lieu de naissance (1929). Dans les environs de Vergt, capitale de la fraise en Dordogne.
Je me souviens de sa tentation pour l'écriture : en 1999, Huot publia un livre de souvenirs : Clous et vélo percé, sous-titré Noblesse du pauvre. Présenté comme un ouvrage sportif original, il aborde beaucoup de sujets, comme “le dopage, l'âme de la vertu face à l'arbre de la science“. On voit avec ces citations qu'il n'hésitait pas à énoncer des phrases ronflantes ! Il raconte aussi une histoire difficilement crédible : à l'issue d'une étape de Tour de France disputée sous la canicule, il était tellement déshydraté qu'il avait bu 40 litres d'eau minérale dans la soirée !
Valentin Huot : un personnage haut en couleurs, un petit qui n'avait pas peur des gros, s'est éteint le 21.11.2017 à 88 ans.
Jean-François Pressicaud