L’immeuble, propriété de l’ODHAC (Office public de l’habitat de la Haute-Vienne), comprend 10 logements dont 8 F1 et 2 F2, en relativement bon état, bien que quelques travaux aient été nécessaires avant d’y recevoir les personnes qui y sont hébergées. Certaines, à la rue, étaient en demande d’asile et ont intégré le Centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) d’Eymoutiers, ce qui a permis la continuité de la scolarité des enfants. Une famille contrainte par la préfecture à quitter le Cada après un refus OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) a finalement obtenu l’asile suite à un recours auprès de la CNDA (Cour nationale du droit d’asile). Des mineurs non accompagnés, en attente de la reconnaissance de leur minorité par le juge des enfants, ont été également accueillis. Certains ont vu leur minorité confirmée et doivent donc être pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance. Plusieurs célibataires ont été hébergés et sont accompagnés pour le parcours de leur demande d’asile ou de titre de séjour. La vie s’organise autour des accompagnements aux démarches à Limoges, vers l’assistante sociale, la Cimade, les Restos du cœur, le Secours populaire de Peyrat-le-Château, ou par la participation à certains événements. Des réunions de fonctionnement ont lieu plusieurs fois par mois pour l’entretien des locaux ou pour donner des informations suite à une visite de la gendarmerie (il n’y a pas d’obligation à ouvrir sa porte, de donner son nom et son téléphone). Les mineurs non accompagnés participent à la prise en charge des enfants et les emmènent jouer au pré Lanaud, des cours de français sont dispensés par la Cimade et, depuis septembre 2022, une cantine solidaire ouvre le deuxième samedi de chaque mois, après le marché ouverte à tous, à prix libre.Ainsi, le bâtiment de la rue de la République ne se contente pas d’héberger des personnes sans papiers mais il accueille des personnes dont la situation est en attente de décisions qui se sont avérées à terme positives : obtention d’un statut de réfugié, accueil en Cada ou reconnaissance de minorité. Il vient donc clairement pallier les manquements de l’État et, pour les mineurs, du Département.
En juillet 2022, contre la demande d’expulsion de l’ODHAC, une pétition avait réuni 670 signatures en deux semaines. La décision du tribunal de surseoir à l’expulsion pendant un an, jusqu’au 27 juillet 2023, avait réjoui l’ensemble des personnes impliquées dans cette démarche d’accueil. Malheureusement, l’ODHAC a fait appel du jugement sur deux points. Le premier concerne le paiement de l’électricité. La facturation débute en janvier. En effet au début de l’occupation aucun compteur n’était fermé. Si l’association a payé ce qui a été consommé depuis avril elle refuse de payer la consommation entre janvier et avril 2022, pour le second, L’ODHAC exige également une indemnité d’occupation pour privation de jouissance de 2 945,51 €/mois... alors que ces locaux étaient vacants depuis plus de 6 ans ! L’ODHAC a toujours refusé la signature d’une convention d’utilisation des locaux dans l’attente d’une vente et n’a, à ce jour, plus aucune relation avec l’association Montagne accueil solidarité (MAS) qui gère le squat. Bref, l’ODHAC veut se faire de l’argent avec un immeuble qui ne lui rapportait rien jusqu’alors... On a beau se présenter comme ayant une « vocation sociale », avec l’immeuble d’Eymoutiers, celle-ci est toute relative.
À l’automne 2014, nous manifestions afin d’obtenir un logement pour Maria et ses deux enfants déboutés du droit d’asile et contraints de quitter le CADA (Centre d’accueil de demandeurs d’asile) sans solution d’hébergement. L’ouverture du CADA à Eymoutiers quelques mois plus tôt avait suscité un vaste élan de solidarité envers les résidents de la part de particuliers, des associations et des élus, tous désireux d’accueillir dignement ces nouveaux habitants. À l’été 2014 nous hébergions et accompagnions les premiers déboutés. Seule une minorité de demandeurs obtiennent l’asile (avec des taux très variables selon les nationalités). En effet, les critères d’obtention de l’asile sont très restrictifs et ne couvrent pas tous les cas où les personnes sont en danger. Souvent les personnes ont des difficultés à prouver ce qu’elles disent : les persécuteurs ne délivrent pas d’attestations de persécution ! Parfois, elles ont tout simplement du mal à raconter ce qui s’est passé. Se voir refuser l’asile ne signifie pas que l’on n’a pas de droit au séjour à un autre titre, mais il faut quand même quitter le CADA et c’est la fin de l’allocation de demandeur d’asile. C’est le règlement imposé par le ministère. Que deviennent alors les liens créés entre les gens : « Au revoir et merci pour la rencontre ; bon retour chez vous » ? Ou bien… C’est dans ce contexte que fin 2014, nous décidions de créer l’association Le Mas (Montagne Accueil Solidarité) officiellement créée début 2015.
Depuis 7 ans, Le Mas a assuré l’hébergement de 92 personnes (adultes et enfants) dans des appartements mis à disposition gratuitement par des particuliers, la paroisse et la mairie. Nous avons toujours trouvé une solution pour ne pas laisser des personnes à la rue mais cela a parfois tenu du miracle, de même que pour nos finances ! Le Mas a géré les déménagements, l’ameublement et l’entretien des logements (petits travaux), veillé à la scolarisation des enfants, payé les assurances et les fluides, les fournitures scolaires, assuré les covoiturages vers Limoges, prêté les sommes nécessaires au paiement des titres de séjour (à ce jour, parfois jusque
475 € par adulte). Nous avons un temps animé un groupe de parole au CADA. Pour nous financer nous avons organisé et participé à de nombreux événements festifs ou militants en fournissant des repas préparés conjointement par les bénévoles et des personnes étrangères, hébergées ou non, tout en médiatisant nos actions. Cela a aussi permis des rencontres entre hébergés et habitants.
Nous ne mettons pas de limite de temps à notre accueil tant que les personnes ne sont pas régularisées. Certaines sont parties tenter leur chance ailleurs. D’autres ont obtenu des titres de séjour, mais il a fallu du temps. Pour Maria ce fut 6 ans. Elles ont quitté l’association, travaillent et sont à ce jour parfaitement intégrées.
Le Mas compte aujourd’hui une vingtaine de bénévoles actifs et est soutenu par une centaine de sympathisants. L’association s’inscrit dans un vaste réseau créé au fil des années en Limousin autour des CADA de Peyrelevade et d’Eymoutiers, de l’HUDA (Hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile) de Peyrat-le-Château et de diverses associations de soutien aux exilés. Nous avons établi des partenariats avec des acteurs multiples, associatifs, caritatifs, des élus, des mairies, des assistants sociaux de secteur, des enseignants, etc…
Fin 2021, au détour d’une rencontre inter associative sur le Plateau de Millevaches qui a réuni 80 personnes, nous avons fait le constat du manque chronique de solutions d’hébergement et de l’aberration d’interdiction de travailler pour les exilés.
Au fil des différentes réformes (3 depuis 2014) il est devenu de plus en difficile pour les étrangers d’obtenir des papiers. La réforme de 2016, qui a transféré le traitement des demandes de séjour pour soins du ministère de la Santé à celui de l’Intérieur, a considérablement réduit l’octroi de ces titres particulièrement pour celles et ceux qui souffrent de troubles post traumatiques (1). Même avec des promesses fermes d’embauche, y compris dans des métiers en manque de personnel, il est devenu impossible d’obtenir la régularisation nécessaire pour avoir le droit de travailler.
En 2021 nous avons perdu la jouissance de plusieurs logements que les propriétaires ont vendus ou reloués et à l’été 2021 nous avons même dû héberger sous tente et sous une pluie battante une famille de 9 personnes avec plusieurs jeunes enfants avant de trouver une solution...
Durant l’hiver 2022 c’est une famille de 6 avec des enfants en bas âge qui est contrainte de quitter le CADA. Nous n’avions de solution d’hébergement que très temporaire. C’est alors que nous décidons d’occuper un immeuble vacant. Début avril 2022, une occasion fortuite nous permet de visiter un immeuble, propriété de l’ODHAC, 29 rue de la République à Eymoutiers. L’immeuble est vide depuis 6 ans. Il comporte 11 logements T1 et T2. Nous sommes surpris par son bon état et nous décidons de l’occuper le 6 avril 2022. Au départ de l’occupation, la mairie d’Eymoutiers nous a proposé une médiation avec l’ODHAC. De ce rendez-vous est ressorti une menace d’expulsion, mais la porte restait ouverte pour une possible convention (type commodat) entre l’ODHAC et notre association pour pérenniser l’utilisation du lieu et mettre les familles en sécurité. Nous nous engagerions à payer les fluides et les assurances, assurer le petit entretien et le gardiennage. Nous avons le soutien de la fondation Abbé Pierre.
Le 29 avril 2022, nous avons reçu l’assignation au tribunal en vue d’une expulsion. L’ODHAC a expliqué par voie de presse qu’il ne pouvait héberger des sans-papiers (2). Fin mars 2022, le Conseil départemental avait annoncé dans son magazine “La Haute-Vienne terre d’accueil et de solidarité […] pourra mettre une trentaine de logements à disposition. L’ODHAC réserve de son côté des logements qui pourront accueillir une centaine de réfugiés”... ukrainiens. Ironie de l’histoire : la première famille que nous avions accompagnée en 2014 était ukrainienne !
À l’automne 2016, à la suite des démantèlements de la “jungle“ de Calais et de camps parisiens, des demandeurs d’asile sont relocalisés en Haute-Vienne. En complément des CADA (Centres d'accueil pour demandeurs d'asile) et d’un CAO (Centre d'accueil et d'orientation) déjà en place, de nouvelles structures sont ouvertes. Un CAO provisoire est ainsi créé à Saint-Léger-la-Montagne, dans les Monts d’Ambazac, dans un centre de vacances du comité d’entreprise de la SNCF. L’arrivée de ces réfugiés fait grincer des dents : des réfugiés à la télé, oui, mais pas devant sa porte… Un collectif local de solidarité avec les migrants commence à se constituer pour répondre à ces inquiétudes. Quelques semaines plus tard, une quarantaine de personnes arrive sur Limoges dans des locaux de l’Afpa, rue de Babylone, servant également de CAO.
Début novembre 2016, une cinquantaine de personnes, représentant des associations, des syndicats, ou des partis politiques, et quelques électrons libres, décide de mettre en place un collectif de soutien aux migrants. Son nom, Chabatz d’entrar, “finissez d’entrer“, reprend la traditionnelle formule d’accueil occitane. Le collectif tente de prendre contact avec les responsables du CAO de la rue de Babylone, mais il est perçu avec une connotation trop politique et se voit refuser l’entrée du centre. Des réfugiés viennent néanmoins à quelques réunions et manifestent leur besoin de suivre des cours de français, même s’ils bénéficient déjà de cours au CAO. Ce n'est pas assez à leur goût car ils ont soif d’apprendre rapidement la langue pour se débrouiller dans leur quotidien et s’intégrer comme on leur demande si bien… Un groupe se forme pour animer des cours de français et du soutien scolaire, pour jeunes mineurs scolarisés, à la bibliothèque municipale de Limoges. Très vite les membres “réguliers“ du collectif se retrouvent confrontés au problème de l’hébergement. Une première tentative de réponse, avec plus ou moins de succès, se concrétise par des hébergements chez des tiers, des nuits d’hôtels payées grâce au soutien financier de l’association des sans-papiers et de l’argent récolté lors de manifestations organisées par le collectif.
Novembre 2017, l’assemblée générale de Chabatz d’entrar réunit une soixantaine de personnes. Sont dégagées des perspectives, dont la plus urgente est de se faire entendre sur la place publique sur la question de l’hébergement d’urgence. La décision est prise, si rien ne se passe après la trêve hivernale (fin mars), d’ouvrir un lieu pour dénoncer les carences de l’État. Pour préparer cette manifestation et étayer ses demandes, des membres du collectif maraudent dans les rues de Limoges. Il suffira d’une seconde maraude pour rencontrer trois familles avec des enfants dans la rue. Le 115 est contacté : “Désolé, il n’y a pas de place, nous vous mettons sur la liste d’attente“. Les membres du collectif ne peuvent repartir chez eux en laissant ces familles dehors. La raison humaine l'emporte sur la raison politique. Une solution temporaire est trouvée, puis des nuits d’hôtels sont payées, mais le bas de laine s’épuise très vite. Le problème de l’hébergement devient de plus en plus crucial et fragilise le groupe. Si le collectif n’a pas vocation à se substituer aux défaillances des pouvoirs publics, nombre de ses membres sont pris au dépourvu face à la détresse de ces personnes qui dorment à la rue. Diverses possibilités d’ouverture d’un squat sont alors étudiées et un lieu retient particulièrement l’attention : les locaux inoccupés depuis huit ans de l’ancien Centre régional de documentation pédagogique (CRDP), installés sur le campus de la faculté de Lettres. Les locaux sont suffisamment spacieux pour accueillir un nombre important de personnes et pas trop dégradés pour permettre une vie quotidienne presque normale.
Le 11 mai 2018, au nez et à la barbe de voisins bienveillants qui appelleront aussitôt la police, les militants aident les premières familles à s’installer dans ce squat, ce qui leur permet de ne pas dormir dans la rue, à la gare ou dans un jardin public. Tant bien que mal, le lieu a été aménagé pour que les occupants y trouvent un minimum de “confort“ et de repos. Le lieu a été investi progressivement et au bout de quelques temps l’occupation est complète sur trois étages jusqu'à accueillir plus de 70 personnes exilées dont un tiers d’enfants de tous âges.
Le collectif ne se satisfait pas pour autant de cette solution précaire qui n’est pas si simple à vivre pour les habitants. Alors, il continue ses actions : rencontre avec le secrétaire général du préfet qui, droit dans ses bottes, déclare que la préfecture n’a pas pour vocation de reloger des personnes qui sont en situation irrégulière ; conférence de presse ; courrier au doyen de la faculté de Lettres ; rencontre de la région Nouvelle-Aquitaine (propriétaire des locaux). Celle-ci se dit fort embêtée car elle a le projet de réaliser dans ces bâtiments un pôle de formation sanitaire et social et, évidemment, prévoit de commencer les travaux très rapidement. Néanmoins, elle souhaite rassurer le collectif : “Nous ne vous expulserons pas… Nous souhaitons une solution d’hébergement pour tous afin que vous puissiez libérer les lieux. Aussi, il nous est nécessaire de connaître le nombre de familles vivant au squat, etc.“ Le collectif laisse venir et ne fait aucune réponse très précise. De leur côté, les représentants de la région, dont Monsieur Vincent, conseiller régional, tente de rassurer – “La région souhaite une solution humaine à une situation inhumaine.“ – tout en évitant de prendre tout engagement écrit quant à la revendication du collectif : la création d'au moins 200 places d’hébergement en Haute-Vienne.
Le 14 août 2018, la Région dépose finalement une requête en référé auprès du tribunal administratif de Limoges demandant l’expulsion en urgence des occupants (y compris durant la trêve hivernale !) arguant que “l’urgence est constituée par le projet de réhabilitation du bâtiment“, que “le bâtiment est occupé […] dans des conditions particulièrement précaires“ et que “l’occupation est illégale en raison de l’absence de tout titre et droit de ses occupants“. Le 29 août, le tribunal administratif décide que la demande en référé, donc en urgence, ne se justifie pas. Il estime que le projet de pôle de formation sanitaire et social que la région veut implanter dans le bâtiment n’est pas suffisamment avancé pour que l’expulsion des migrants soit ordonnée.
Depuis ce premier procès, le collectif n’a cessé de se mobiliser, invitant le préfet de la Haute-Vienne et ses services, le président de Nouvelle-Aquitaine, le président du conseil départemental, le président de l’agglomération de Limoges, le maire de Limoges et le directeur du SIAO (Service intégré de l'accueil et de l'orientation) à une table ronde “pour discuter de la possibilité qu’un ou des lieux d’hébergement pérennes soient installés, permettant de répondre tout à la fois à la nécessité de l’hébergement inconditionnel, en proposant également l’accompagnement social indispensable“. La seule réponse de ces autorités a été de faire passer une commission de sécurité le 12 octobre 2019...
Ce squat en plus d’être un lieu de vie, a permis de développer de nombreux ateliers et activités. L’association PAN! (Phénomènes Artistiques Non !dentifiés) y organise un café-géo permettant de raconter les trajectoires de vies des migrant.e.s. Des étudiants proposent une cantine collective à prix libre pour les étudiants et militants et gratuite pour les résidents du CRDP. Yamina, une algérienne de 40 ans, témoigne : “C'est trop bien parce que malgré la différence d'âge, on est à l'aise ici. Il y a tout, comme pour les autres. On a des cours de français, des activités sportives et même du théâtre pour les enfants. S'il y a un autre endroit mieux que ça, on ira, mais sinon, on reste ici !“ Un Camerounais complète : “On a trouvé une enceinte familiale. Et un partage pour tous. Nous qui vivons ici depuis un certain temps, c'est comme si on était coupé du monde. C'est comme si la société nous repoussait. Mais des hommes de bonne volonté, de bonne moralité, sont venus ici pour nous aider. Ça nous réconforte.“
Évidemment la région Nouvelle-Aquitaine a de nouveau demandé au tribunal administratif de se prononcer sur l’expulsion des résidents du CRDP. Le procès a eu lieu le 5 avril 2019. Alors que lors du premier procès l’avocat de la Région n’avait pu démontrer l’urgence des travaux projetés, il produit cette fois un dossier de 416 pages pour prouver l’urgence de la rénovation des lieux dans le cadre de “l’université du futur“ pour installer 950 étudiants en septembre 2020. Le tribunal décide le 10 avril que les lieux doivent être libérés sous quinze jours, bien qu'il n'y ait aucune solution de relogement pour les occupants du CRDP. Le collectif tout comme les occupants ont l'impression de s'être faits “balader“ par la région et déplorent l'absence des collectivités locales et de l’État sur le dossier : “Il n'est pas possible de mettre 30 enfants, 60 adultes à la rue tout simplement parce que les collectivités locales et l’État n'assument pas leurs responsabilités. Il y a une mission d'hébergement , et quand on appelle le 115, le 115 est plein !“
La menace d'expulsion n'est pas facile à vivre pour les résidents comme Amelia. Persécutée en Angola, elle est arrivée en France il y a 3 ans et vit au CRDP depuis septembre 2018 avec ses 4 enfants : “On a créé une intimité avec les gens ici, avec cet endroit, avec les étudiants. On sait qu'un jour on va partir d'ici, mais c'est une tristesse, c’est une angoisse qui reste dans nos cœurs. On ne sait pas où on peut aller. Cela fait 9 mois que j’appelle le 115 et qu'ils disent qu'ils n'ont pas de place. La région veut récupérer cet endroit. Où est-ce qu'on va aller ?“ Un sursis d'un mois est généreusement accordé par la Région, ce qui repousse l'expulsion au 25 mai. 75 personnes (dont 25 enfants) allaient se retrouver à la rue. C'était sans compter avec la détermination du collectif Chabatz d'entrar qui vient donc d'installer tout ce monde rue du Pont-Saint-Martial. Mais pour combien de temps ? La question de l'hébergement d'urgence reste toujours posée.
IPNS : Pourquoi avoir ouvert ce squat sur le plateau Millevaches ?Notre démarche est de créer un réseau d’affiliations politiques au travers de la France entre militants libertaires et écologistes. Dans le cas précis de cette ouverture de squat, notre volonté était de créer un ancrage sur le plateau de Millevaches qui représente pour nous un terreau intéressant pour notre démarche politique tirée de notre expérience dans des ZAD (Zone à défendre) et que nous concevons en 3 pôles : un « pôle médiation » qui accompagne la transition des populations n’ayant pas eu l’opportunité d’être confrontées à cette culture militante, en visibilisant la finalité des deux suivants ; un « pôle insurrectionnel » objectant par les faits l’emprise des capitalismes sur l’espace et les ressources disponibles, visibilisant les vulnérabilités du système en vigueur pour laisser la place… au « pôle alternatif » se voulant innovateur, expérimental, à la recherche d’un modèle plus consciencieux de l’équilibre social et du vivant et selon nous particulièrement vigoureux sur le plateau (avec ses zones forestières et agricoles préservées, altitude, terreau militant, sauvegarde des traditions paysannes etc).
Pourquoi être passés par l’ouverture d’un nouveau squat alors que le plateau de Millevaches regorge de lieux d’accueil, d’alternatives et d’organisation ? Le fait d’être accueilli nous place dans un rapport délicat, on attend de nous une certaine conduite adaptée au lieu alors que nous cherchons une liberté, celle d’expérimenter nos propres règles de vie pour innover. Par ce fait, nous nous exposons à des échecs pouvant compromettre la relation et les attentes de la personne accueillante. En bref, l’accueil place dans un rapport de domination. Au-delà de l’accueil, nous pensons que le fait d’être propriétaire n’est pas souhaitable. La propriété crée une dépendance à la sécurité qu’elle procure et fait glisser vers un conservatisme. Nous ne voulons pas être bridés par ces contraintes pour expérimenter des mouvements révolutionnaires dont nous nous inspirons (notamment le mouvement libertaire durant la guerre civile espagnole, la commune de Paris) et qui prônent notamment la propriété d’usage, l’abolition de l’argent et la redistribution des ressources collectivisées en fonction des besoins des membres, et non en fonction de leur contribution.
Vous avez rendu public l’occupation de ce bâtiment au même moment que la fête de la Montagne limousine qui se déroulait dans la commune voisine de Felletin. Pouvez-vous éclaircir le lien entre l’ouverture de ce squat et la fête de la Montagne ?Cet été a été marqué par l’expulsion des dernières ZAD restantes en France, et s’inscrit dans un contexte d’amplification de la répression anti-squat. Beaucoup sont les militants jusqu’alors investis à plein temps dans ces lieux qui se retrouvent sans repères après l’expulsion. Dispersés, précaires, ils se retrouvent souvent isolés par manque de solutions de repli. Sur le plateau, malgré des perspectives intéressantes nous n’avons pas répertorié de lieu favorable à l’accueil inconditionnel, un cadre où la lutte pourrait proliférer selon nos convictions. Pour répondre à ce besoin nous avons décidé de créer ces conditions. La fête de la Montagne était un prétexte intéressant pour que ces gens venus de différents horizons puissent rencontrer les locaux et cerner le pouls politique de cette région et inversement. Nous n’avions aucun lien avec les organisateurs.Le choix d’occuper cette maison a été aussi vivement discuté : d’une part, on vous a reproché d’occuper une maison décrite par ses propriétaires, comme leur maison secondaire qu’ils occupaient régulièrement et donc non vacante. De l’autre, on vous a reproché un choix de cible manquant de finesse, sans prise en compte du contexte de la commune et de l’identité des propriétaires, incluant un ancien élu local.Cette personne a choisi de signifier que la maison était régulièrement occupée, ce qui est faux au vu des témoignages du voisinage n’ayant jamais vu une quelconque trace de passage au moins depuis 2006. De plus, d’autres éléments comme l’entretien de la maison (toiles d’araignées occultants les passages entres les portes, cadavres d’abeilles accumulées dans la cheminée indiquant sa non-utilisation etc) et des mesures anti-squats (volets condamnés, barbelés au fenêtre) nous permettent d’affirmer que les propriétaires ne résidaient plus régulièrement dans ce bâtiment. L’objectif sous-jacent à nos besoins de logement, c’est celui de s’attaquer à une élite méprisante qui n’hésite pas à orienter l’information pour se positionner en victime. Ils sont prêts à mentir éhontément à la population, aux forces de l’ordre et à la justice pour conserver un patrimoine dont ils n’ont nullement l’utilité, tandis que ce même patrimoine pourrait permettre de créer des dynamiques politiques et de loger des sans-abris. Nous ne venons pas réclamer la réquisition du logement, nous l’organisons.
Comprenez-vous le fait que certaines personnes aient été en désaccord avec votre méthode ? Certaines personnes ont regretté l’absence de concertation avec d’autres habitants pour la recherche d’un lieu adéquat, comme cela a été fait pour d’autres squats auparavant, et déplorent la fragilisation des relations tissées depuis plusieurs années avec des élus et d’autres habitants choqués par cette occupation ?Nous n’avons pas le même constat de l’urgence que ces personnes. Nous pensons que l’heure n’est plus à la sensibilisation des plus frileux, mais qu’il est temps de se montrer offensif contre ceux qui saccagent la planète. Notre combat n’est pas local, nous nous battons contre des institutions et des dynamiques sociales. On ne s’attaque pas à ce propriétaire, mais à ce qu’il représente : nous faisons de lui un exemple. Ses pairs sauront alors que l’impunité n’est plus, que la justice sociale peut sévir. Il y aura forcément des intérêts locaux et personnels qui iront à l’encontre de nos initiatives. Nous pensons qu’il est impossible d’obtenir le consentement général. La tendance c’est de critiquer les initiatives, qui comportent leurs lots d’erreur ; mais que fait-on de la censure, l’inaction et la demi-mesure, qui cause à mon gout bien plus de problématiques.
A la suite de votre avis d’expulsion et à votre départ, avez-vous commis des dégradations dans le bâtiment comme décrit dans certains médias ?Des fresques ont effectivement été peintes, par souci d’esthétisme, et sur un papier peint attaqué par la moisissure. Nous avons commencé à arracher les endroits critiques pour éviter la propagation. Par ailleurs on insiste beaucoup sur les dégradations superficielles mais rien n’a été signalé par rapport aux rénovations effectuées, le ménage, le rangement, l’entretien, les réparations, le débroussaillage… Concernant les dégradations, nous l’assumons comme une menace qui doit planer sur tous les propriétaires indignes qui laissent des logements vacants, favorisant alors la précarisation du logement et laissant alors mourir de froid les personnes de la rue. Les forces de l’ordre et leur drôle de transparence et les médias mainstream qui orientent l’information au profit de leurs propres propriétaires, manquent de crédibilité et cette affaire le démontre une fois encore. Nous tenons à rappeler que les dommages collatéraux occasionnés, restent anecdotiques face aux déboires du capitalisme que l’on cherche à endiguer.
Les premier.es d’entre nous ont débarqué un peu par hasard à Royère-de-Vassivière, le dernier jour de neige de février 2020. D’autres ami.es, rencontré.es dans de précédentes aventures collectives, sont arrivé.es au fil des mois. Fatigué.es des tournures que prenaient nos vies, en ville ou dans des campagnes-dortoirs, nous avons été attiré.es par les échos nous parvenant de ce coin du Limousin. Leur voyage jusqu’à nos oreilles ne les avait pas déformées, et nous avons donc cherché un endroit où nous installer ensemble.
Pourtant située à trois jets de pierre de l’église de Royère-de-Vassivière, l’impasse de la rue du Lavoir n’est guère animée, sauf quand des voitures viennent y effectuer leur demi-tour. Lorsqu’on s’y promène, on remarque de loin une grande bâtisse un peu défraîchie : elle arbore encore son passé de bar sur le linteau de l’entrée. Comme d’autres bâtiments du centre-bourg aujourd’hui vacants, cette inscription gravée dans la pierre nous ramène à une époque où nous n’aurions pas eu assez de nos deux mains pour compter les bars du village. Au gré des rencontres et discussions avec les gens du bourg, l’histoire contrastée de ce bâtiment abandonné dans la rue du Lavoir se dévoile : salle de bal, hôtel, restaurant, bar, et finalement accueil d’enfants placés. Le départ précipité de la famille d’accueil ouvre une période de vacance d’une dizaine d’années, jusqu’à ce que nous entrions en juin dernier par la porte du garage, restée par chance entre-ouverte.
Nous avons en effet décidé de nous y installer sans demander d’autorisation préalable à la propriétaire actuelle. Cette appropriation du lieu – qui, tant qu’elle n’était pas faite, ne permettait pas de se présenter avant aux habitant.es – a dû sembler brutale et inappropriée à certain.es, comme nous avons pu le comprendre lors de plusieurs échanges. Nous espérons que nos recettes de gâteaux, et le temps qui passe, ont pu adoucir les plus réticent.es. Cette méthode d’installation est pour notre part un choix réfléchi, qui nous paraissait pertinent pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, il est compliqué de trouver de grandes maisons à louer sur le plateau de Millevaches, et les propriétaires de maisons inhabitées n’ont souvent ni l’envie ni le besoin de faire les démarches pour mettre leur bien en location. Cela peut se comprendre vu le faible loyer qu’ils toucheraient, mais c’est au risque du vide et de la détérioration progressive des centres-bourgs ou des villages, comme le montre la brochure sur les biens vacants du syndicat de la Montagne limousine, ou comme nous pouvons le constater nous-mêmes. Il y a plusieurs dizaines d’années s’élevaient juste derrière chez nous deux belles maisons en pierre. Aujourd’hui les bouleaux poussent au travers, et quand il vente un peu fort, des pierres en tombent dans un bruit sourd...
Ensuite, nous avions déjà eu quelques expériences de ce type en ville, et nous avons eu envie d’essayer dans le centre-bourg d’un village pour côtoyer et parler avec des personnes qui ne sont pas forcément habituées à ces pratiques, pour essayer de changer l’idée que l’on s’en fait.
Durant ces premiers mois, nous avons principalement été occupé.es à vider, nettoyer et aménager les différents étages du bâtiment, afin de pouvoir passer l’hiver sereinement. Nous en profitons pour remercier ici les nombreuses personnes qui sont venues spontanément nous déposer du matériel, et celles qui nous rendent service au quotidien. En dehors de nos activités à l’hôtel du Lavoir, nous avons essayé de donner des coups de main le plus largement possible pour rencontrer les gens qui habitent autour de nous. Nous sommes très loin de connaître tout le monde, alors n’hésitez pas à nous contacter ou à passer nous dire bonjour !
Au fil de ces quelques mois, nous nous sommes attaché.es au bâtiment, aux villages alentours et à celles et ceux qui les peuplent. Notre collectif s’est formé en investissant l’ancien hôtel de la rue du Lavoir et son occupation nous a permis d’imaginer quels en pourraient être les futurs usages. Nous aimerions y rester pour construire un espace de logements et d’activités collectives sur le long terme, comme cela peut se voir ailleurs sur le plateau de Millevaches ou au-delà. Le bâtiment et ses différents espaces offrent en effet de belles possibilités. Les étages seraient des habitations. Nous aimerions venir en aide à des gens qui, comme nous, se confronteraient au manque de logement sur le territoire et auraient besoin d’un endroit où atterrir, sur le court ou moyen terme. L’architecture intérieure de cet ancien hôtel nous permettrait de garder des chambres au deuxième étage, ainsi que plusieurs dortoirs et des espaces de vie commune pour les résident.es au premier étage.
Le rez-de-chaussée serait ouvert au public. La plus grande salle servirait aux personnes ou associations souhaitant y organiser des activités récurrentes ou des événements (réunions publiques, projections de films, cantines, vide-greniers...). Les autres espaces pourraient accueillir différents services, le premier étant l’installation d’une laverie. Nous voudrions aussi proposer un point d’accès internet avec des ordinateurs en libre accès ainsi que des temps d’initiation et d’aide à l’usage des outils informatiques. Il reste de la place pour d’autres envies et besoins, à définir avec celles et ceux qui souhaitent s’y investir. Pour pouvoir construire cela, nous ambitionnons de pérenniser notre installation par un rachat du bâtiment via des structures déjà existantes, comme par exemple l’Arban. Cette possibilité est bien sûr soumise au bon vouloir de l’actuelle propriétaire du bâtiment. S’ouvrirait alors une période relativement conséquente de travaux avant d’aboutir à ce que nous venons de décrire, mais nous sommes prêt.es à nous retrousser les manches pendant plusieurs années !