Au milieu de l'overdose de publications en tous genres, les commémorations du centenaire de la guerre de 14-18, nous ont offert quelques bonnes surprises. Ainsi la bande dessinée “Maudite soit la guerre“ des très connus Didier Daeninkx et Pef (2014, éditions Rue du Monde). Le scénario, qu'on pourrait croire farfelu a priori, imagine qu'un enfant creusois part rejoindre son père sur le front. Son but est de lui faire lire une rédaction pour laquelle il a obtenu une bonne note. Or, cet enfant, vous le reconnaîtrez aisément : c'est l'orphelin du monument de Gentioux, avec sa blouse, son écharpe, et sa casquette. Le gamin s'appelle Fulbert, ce qui avouons le, n'est pas vraiment limousin. L'arrivée du gosse sur le front a ce caractère miraculeux : une trêve ! Au-delà de l'invraisemblable d'une telle situation, les belles pages de Pef, proches du dessin animé pour enfants, ont été très bien documentées. Elles présentent aussi bien la vie à l'arrière dans la campagne creusoise – et Paris - que la vie dans les tranchées. Ainsi deux scènes fortes : le paysage lunaire du “no man's land“, bien connu, beaucoup plus que ce cheval avec un masque, symbolisant le danger permanent des gaz asphyxiants. Plus loin, on croisera un tirailleur sénégalais ou un lancier hindou. Les retrouvailles sont émouvantes : l'enfant reçoit autant de félicitations pour son travail scolaire que d'eng... pour l'angoisse où il a plongé sa mère. C'est une bd pour enfants (9-10 ans), mais je la trouve plutôt tout public, et la conseille donc à tout le monde. Son fond pacifiste est clair et assumé, ce qui m'amène à revenir aux commémorations.
J'avais beaucoup regretté en 2014 l'idée qu'on célébrait le début de la guerre. J'aurais préféré qu'on ne célèbre que la fin. Celle qui a permis de renvoyer auprès de leurs parents, de leur femme ou fiancée, de leur fils, tous ces petits gars de chez nous, et beaucoup trop d'invalides et de cercueils. D'une certaine manière, le bénéfice principal de cette ribambelle de livres, films, spectacles, … aura été de redonner un peu d'humanité à tous ces noms égrenés sur les monuments aux morts, et les tombes des cimetières. Et de mieux rappeler leurs souffrances. Par contre, l'impression d'ensemble me laisse assez amer. Les autorités civiles et militaires ont réussi un pari inavouable : glorifier le “génie national“, souligner - comme sur le monument de Royère-de-Vassivière - que nos troufions étaient morts “pour la civilisation“. Sans jamais remettre en cause les ignobles condamnations à mort “pour l'exemple“, les exécutions sommaires, et l'înfâme commandement. Quand un obscur ministre socialiste refusa qu'une chorale entonne à Verdun la célèbre chanson de Craonne, on eut peut-être le pire exemple de lâcheté et d'hypocrisie de nos élites politiques : “car nous sommes tous condamnés, nous sommes les sacrifiés“. Il paraît que la chanson était trop longue. Pour moi, ça veut beaucoup et même tout dire. Ici, sur le plateau, un préfet éphémère (chouette) s'est même déshonoré en évoquant l'histoire des Russes de La Courtine : “manifestation (le centenaire) qui est un outil précieux pour sensibiliser la nouvelle génération aux enjeux de défense et de sécurité“ Voyez-vous où il voulait en venir ? Et ceci sans jamais citer les mots : La Courtine, mutinerie, paix, pas plus que liberté, égalité, fraternité d'ailleurs. Puis en comparant lors de son discours la lutte actuelle contre le terrorisme, à l'engagement de nos poilus de 14. Il fallait oser, il l'a fait. Eh bien continuons alors, Monsieur le Préfet. C'est vrai, nous Français, nous avons toujours défendu de “belles et nobles“ causes, n'est-ce pas ? Au prix de combien de vies, de malheurs et de souffrances ?
Cela me fait penser à ces phrases de la chanson “the green fields of France“ (Eric Bogle, version française : Renaud)
As-tu vraiment imaginé que cette guerre serait la dernière ?
Voilà, la souffrance, la tristesse, la gloire, la honte
Le meurtre et la mort, ont été infligés en vain
Oh Willy McBride tout cela s’est reproduit
Et encore, et encore, et encore, et encore ...
Ainsi, le 11 novembre 2018 ne sera pas le dernier, le der des der. Essayons donc de donner aux suivants un autre sens. Le souvenir de nos anciens, les sacrifiés, n'en sera que plus sensible et digne.
En annexe de leur récit, Daeninckx et Pef ont écrit : à Gentioux “DES PACIFISTES“ se retrouvent. S'ils savaient, les pauvres !