Qui parvient à regarder au-delà du Mont Bessou ne peut que voir l’extraordinaire tumulte qui a saisi le monde entier. Les échos de soulèvements, d’une intensité inconnue depuis des décennies, d’un bout à l’autre de la planète et jusqu’à la France elle-même, parviennent par bribes jusqu’ici par la vertu de moyens de communication inconnus ou presque il y a encore vingt ans.
Tout se déroule devant nos yeux. Le réchauffement toujours plus apocalyptique de l’atmosphère – dont les effets réels sont devenus sensibles même aux plus incrédules – les extinctions de masse, les guerres contre-insurrectionnelles, la crise énergétique, le délitement des liens communautaires, les massacres, le pillage des dernières ressources par ceux qui en ont encore les moyens, la destruction méthodique des derniers lambeaux de « l’État social ». Et face à cela, des peuples qu’on croyait endormis qui se dressent et font face, même aux balles. Plus personne ne peut prétendre ne pas savoir.
Dans tous les palais du pouvoir, on fait mine d’être concernés, on consulte, on met en œuvre des politiques de « transition énergétique », on caresse les arguments que, hier encore, on accueillait d’un rire gras. Le monde de l’entreprise, les politiques se saisissent – « enfin » diront certains – de la brûlante question de l’écologie. Cette soudaine prise de conscience n’arrive pas seulement trop tard, elle cache à peine une tentative ultime de prolonger encore un peu la gabegie qui nous a amenés là, sous le masque avenant de la « transition ».
Les agriculteurs, les forestiers, les entrepreneurs ne sont, dit-on, que des victimes parmi les victimes, forcées depuis des décennies à l’endettement pour tenir dans la course à la rentabilité. Ici comme ailleurs, les élus locaux, tout à leur louable souci de l’« intérêt général », font corps avec eux, face aux calomnies, face aux menaces, face au rejet dont une grandissante frange « radicalisée » de la population les accable. Chacun, chacune, joue sa partition, les uns suivent des formations de communicants pour vendre leur efforts et leurs bonnes pratiques, les autres (les élus corréziens de l’Association de soutien au développement économique de la Haute-Corrèze, entre autres) font voter des motions pour demander aux « services de l’État » (joli euphémisme pour parler des forces de l’ordre) de protéger les premiers contre (sans la nommer formellement) cette nouvelle espèce invasive que sont les « ultras », les « khmers verts », les « anti-tout », les « ultra-individualistes », les « totalitaires », les « violents », bref... les « anti-républicains ». Tout cela constituant une « mouvance » qui serait par avance coupable de tous les maux.
On s’émeut, dans une même phrase, d’incendies qui restent inexpliqués (celui de Lubrizol ?), des constructions hors normes, des subsides de la CAF à des espaces de vie sociale du Plateau, des instituteurs-trices « prosélytes », et de quelques échanges de paroles un peu véhéments lors de réunions publiques.
On comprend bien, dans un tel climat de terreur, où les agents économiques du territoire en sont à raser les murs à cause de quelques « chevreuils » impénitents, que cette campagne électorale pour les municipales s’ouvre sur des airs grinçants. Ça n’aura d’ailleurs pas échappé au staff de campagne corrézien du Rassemblement National tout près à voler au secours des élus locaux assiégés en se proposant de présenter des listes au cœur de la bête, comme à Tarnac par exemple. Ce climat relativement soudain – si on excepte celui qui brillait déjà de ses prophéties avant-gardistes sur le grand-remplacement local aux dernières élections municipales, Dominique Simonneau, « maîtresse » de Gentioux – ce climat, donc, ne tombe pas du ciel. Des incendies il y en a eu avant, bien avant même, pour toutes sortes de mobiles, des mouvements pour s’inquiéter de tel ou tel projet industriel aussi, des cabanes et des yourtes... aussi. Ce qui a changé ces derniers mois et années, c’est que, d’un côté, ce qui passait pour des lubies de « choubabs » (l’effondrement biologique) est passé, en catastrophe, au statut de vérité télévisée, et que, de l’autre, quelques politiciens locaux sans vergogne se sont mis en tête de capitaliser électoralement sur le désarroi (bien compréhensible) de ce qu’il reste de classes laborieuses rurales. Le magnifique sursaut populaire incarné par les Gilets Jaunes, qui ne s'en laissent pas conter, a déjà largement compromis leur stratégie cynique, mais pour combien de temps ?
Voilà plusieurs années que le coup se prépare entre le conseil départemental de la Corrèze, la rédaction de La Montagne, les permanences de tel ou tel député ou sénateur, les couloirs de tel ou tel conseil communautaire. À coup de publi-reportages qui ne disent par leur nom, sur la filière-bois, sur la filière-viande, sur le mal-être des agriculteurs, sur la menace d’« ultra-gauche » ou « écolo-activiste », à coup de petites phrases dispensées à l’envie sur l’antenne de France Bleu Limousin, dans telle ou telle réunion ou inauguration, dans la rubrique « indiscrétions » du journal La Montagne, dans un reportage de complaisance du 19/20 de France 3 Limousin à Gentioux en plein mois d’août. Rien d’étonnant dès lors que ce petit foyer de ressentiment rural régulièrement attisé, notamment par Pascal Coste depuis son arrivée au conseil départemental de la Corrèze, suscite aujourd’hui la convoitise pèle-mêle de La République En Marche, en la personne du député Jean-Baptiste Moreau, ou du Rassemblement National qui ont l’un et l’autre besoin de se refaire dans le secteur.
Depuis des mois donc on prépare les cœurs et les esprits à un grand règlement de comptes, où l’on fera dans un grand brouhaha fleurant bon le pogrom, passer les « ultras » du Plateau ou d’ailleurs et tout ce qui s’en rapproche de près ou de loin, pour responsables du malheur du bon peuple des campagnes. Oui ce sont eux et elles LE problème, bien plus que le démantèlement des services publics, la politique agricole, la fermeture des écoles, des postes, des trésors publics, l’augmentation des prix des carburants, les déremboursements de médicaments, les retards au versement des primes, la sécheresse, la pénurie d’eau, les déserts médicaux, les trop petites retraites, le traitement inhumain des anciens et de celles et ceux qu’on paye au lance-pierre pour les gérer, la baisse des dotations municipales, la prolifération des normes, la disparition des truites, du train et de l’hôpital, celle de L’Écho, les coupes rases à perte de vue, l’érosion partout visible, et bien sûr la fin de l’eau potable au robinet.
Benjamin Rosoux